(Dé)passer la frontière

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Des dons à l’action directe : solidarité queer avec les migrant·es au Royaume-Uni

, par LGSM

Le terme « queer » désigne l’ensemble de la communauté LGBTIQ+, c’est-à-dire toutes les personnes qui ne se reconnaissent pas dans les catégories d’hommes ou de femmes hétérosexuel·les. Il renvoie à la fois à la diversité sexuelle (identité sexuelle non-hétéro) et/ou à une identité de genre divergente (trans, non-binaire, etc.).

Quand et pourquoi avez-vous décidé, en tant que collectif LGBTIQ+, d’ap-porter votre soutien aux droits des migrant·es ?
Le collectif LGSMigrants - Lesbians and Gays Support the Migrants (« Lesbiennes et homosexuels en soutien aux migrant·es ») – s’est formé en 2015 face à la gestion désastreuse de l’actuelle « crise » des réfugié·es par le gouvernement du Royaume-Uni. L’exécutif britannique fermait les yeux sur la détresse des réfugié·es à Calais, tandis que les médias de masse ne cessaient de s’en prendre aux migrant·es et aux réfugié·es. Le mouvement anti-migrant·es gagnait du terrain dans un pays soumis depuis près de dix ans à une politique d’austérité, aussi nous, queers, avons ressenti le besoin d’agir.

Pour comprendre pourquoi LGSMigrants a décidé de montrer sa solidarité avec les migrant·es, il faut reconstituer l’histoire de la communauté militante queer au Royaume-Uni. Dans les années 1960 et 70, les personnes ouvertement queers étaient souvent considérées comme des « illégales », ce qui n’est pas sans rappeler la façon dont les médias de masse ont traité et traitent encore les migrant·es et les réfugié·es. Il fallut attendre 1967 pour que les actes homosexuels soient dépénalisés au Royaume-Uni, et même dans la décennie qui suivit, les queers étaient fréquemment expulsé·es des pubs et des bars par la police, ne bénéficiaient d’aucune mesure de protection au travail et étaient souvent victimes d’oppression dans leur quotidien.

C’est de cette époque que date la rédaction, par des militant·es queers, du mani-feste du Gay Liberation Front. Ce brûlot appelait à un changement et infléchit la vision que la société se faisait de la communauté queer. Les militant·es lancèrent des actions coup de poing contre la droite organisée. Une décennie plus tard, une nouvelle ère de militantisme solidaire s’ouvrit dans les années qui suivirent la crise du VIH/sida, qui obligea la communauté queer à s’organiser.

Le programme économique néolibéral du gouvernement Thatcher décima les communautés minières ouvrières à travers le Royaume-Uni. Celles et ceux qui décidèrent d’affirmer leurs droits de travailleur·ses en faisant grève endurèrent de longues périodes sans revenus ou presque et furent durement réprimé·es par l’État. C’est dans ce contexte que vit le jour un collectif londonien baptisé Lesbians and Gays Support the Miners (« Lesbiennes et homosexuels en soutien aux mineurs »), en solidarité avec une communauté minière du Pays de Galles. Le collectif organisa des levées de fonds et coordonna des actions en appui aux manifestations des mineurs. Considérant que les deux communautés étaient la cible de la même violence étatique, tout en reconnaissant que leurs revendications n’étaient pas du tout les mêmes, ce fut un admirable exemple de solidarité.

Réaffirmant la tradition du militantisme solidaire de la communauté queer, le collectif Lesbians and Gays Support the Migrants applique les enseignements des dernières décennies au contexte politique actuel. Dans les années qui ont précédé le vote sur le Brexit et depuis lors, les migrant·es ont servi de boucs émissaires, à qui ont été attribués tous les maux socio-économiques causés par la politique d’austérité imposée à ce pays.

Comment soutenez-vous les migrant·es ? Quel genre d’actions entreprenez-vous ?

Nous estimons qu’il faut être présent·es sur plusieurs fronts, aussi nous aidons les migrant·es de plusieurs façons. D’abord, nous lançons régulièrement des collectes de fonds en faveur de groupes de migrant·es auto-organisé·es qui se battent pour défendre leurs droits. Par exemple, lors des fêtes de Noël, nous avons levé des fonds pour le Refugee Legal Support Athens, une ONG qui fournit une assistance juridique aux réfugié·es. En effet, nous avons estimé que, en 2018, il fallait aussi se battre contre le régime frontalier de l’« Europe-forteresse », et pas uniquement contre les injustices à la frontière entre le Royaume-Uni et la France. Nous avons réuni des milliers de livres sterling en faveur des migrant·es en lançant des collectes d’argent dans les bars, en vendant des produits et en organisant des levées de fonds.

Pour nous, les actions concrètes sont essentielles pour aider les migrant·es et déconstruire les discours xénophobes. La détention des demandeur·ses d’asile dans des centres de détention et les déportations quotidiennes de migrant·es contre leur gré sont une forme de violence, plus sournoise, contre les migrant·es. Reconnaître l’existence de cette violence envers les migrant·es, c’est reconnaître qu’il faut entreprendre immédiatement des actions directes. L’aviation est un secteur éminemment complice du régime frontalier, puisque les compagnies aériennes permettent que leurs avions soient utilisés pour déporter les migrant·es et les demandeur·ses d’asile. Ces mêmes entreprises dépensent chaque année des dizaines de milliers de livres sterling pour parrainer des manifestations LGBT au Royaume-Uni et instrumentalisent ainsi les identités queers pour parfaire leur image de marque. LGSMigrants a lancé une campagne très médiatisée contre la compagnie aérienne Virgin Atlantic, le plus gros sponsor de la London Pride2018. La compagnie s’est engagée à ne plus autoriser l’utilisation de ses appareils pour déporter quiconque contre son gré. LGSMigrants poursuit actuellement sur cette lancée en exigeant activement de la compagnie aérienne concurrente British Airways qu’elle fasse de même. Nous menons des actions directes pour que la compagnie cesse de tirer profit de ces déportations.

Enfin, nous soutenons également les initiatives d’autres collectifs tels que End Deportation qui se bat pour mettre un terme aux vols affrétés spécialement pour les déportations en masse. LGSMigrants exprime sa solidarité avec les Stansted 15, un groupe de 15 militant·es qui sont parvenu·es à empêcher le décollage d’un vol charter qui devait déporter plus de 60 migrant·es, principalement vers le Ghana et le Nigeria. Onze d’entre elles et eux allaient être déporté·es alors que leur demande d’asile était en cours de traitement et au moins deux autres ont depuis été reconnu·es victimes de la traite. Malgré cela, les quinze activistes ont depuis été reconnu·es coupables de délits de terrorisme. Amnesty International a condamné la décision du tribunal, estimant qu’elle faisait de ces défenseur·es des droits humains des criminel·les. Les condamnations des Stansted 15 leur seront remises suite au verdict, le 6 février 2019.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ou faire passer un message au nom du collectif Lesbians and Gays Support the Migrants ?
LGSMigrants appelle tous les groupes queers d’Europe à faire entendre leur voix et à exprimer concrètement leur solidarité avec les migrant·es et les réfugié·es car personne ne devrait être illégal·e. Ces dernières décennies, les personnes queers ont certes gagné de nouveaux droits et de nouvelles mesures de protection, mais nous devons plus que jamais entretenir la flamme de la solidarité. Les remparts de l’Europe-forteresse doivent être abattus.