(Dé)passer la frontière

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Un monde qui s’emmure

, par CDTM-La FLèche

30 ans après la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, le monde est loin d’en avoir fini avec ses murs. Ils sont entre 70 et 75 construits ou annoncés autour du globe, s’étalant d’ores et déjà sur une totalité d’environ 40 000 km. Construits pour lutter contre l’immigration, les trafics de drogue, le terrorisme ou les conflits militaires, les murs, barrières et autres clôtures de séparation hérissées de barbelés se multiplient sur toute la planète.

La barrière Mexique – États-Unis

S’étendant sur environ 1 200 km, elle a pour but de freiner l’arrivée des clandestin·es venu·es d’Amérique centrale. Chaque année plus de 700 000 Mexicain·es et centraméricain·es tenteraient leur chance et, malgré les techniques sophistiquées de repérage, près de la moitié des candidat·es parviendrait à passer, laissant derrière elles et eux des milliers de cadavres dans les déserts de l’Arizona et du Texas. « Construire le mur » avait été la promesse de campagne la plus spectaculaire de Donald Trump en 2016. Deux ans plus tard, cette promesse est à la source d’un vif conflit avec les Démocrates et a provoqué la paralysie partielle de l’administration fédérale, avec le shutdown le plus long de l’histoire des États-Unis. Donald Trump réclame plus de 5 milliards de dollars pour édifier son mur et ses adversaires politiques s’y opposent, estimant qu’avec un coût d’au moins 26 milliards de dollars, le projet oscille entre inutilité et infaisabilité. La cristallisation politique autour du « mur » est le meilleur symbole de la crispation de la société états-unienne sur les questions migratoires.

Le mur Inde-Bangladesh

Dès 1993, l’Inde a entamé la construction d’un mur de 3 200 km la séparant du Bangladesh voisin pour empêcher l’entrée des migrant·es. Ce mur-barrière, censé protéger, est une véritable source de violences. Toute la région frontalière a vu son économie anéantie, les villages enclavés sont privés d’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins et à l’éducation, et la police indienne des frontières (Border Security Force) fait régner la terreur sur ceux et celles qui essaient de le franchir.

Nogales, ville-frontière du côté mexicain, et la barrière hérissée de barbelés séparant les deux pays. @Peg Hunter (CC BY-NC 2.0)

Le mur Birmanie-Inde

Construit sur 1 600 km, il a été érigé contre le trafic de drogue et contre le terrorisme. Totalement ubuesque dans son tracé, il multiplie les enclaves indiennes en territoire birman et vice-versa.

Le mur Israël-Territoire palestinien occupé

C’est un mur particulièrement emblématique qu’Israël a construit à partir de 2002 pour séparer l’état hébreu des territoires palestiniens, afin de prévenir les « intrusions de terroristes ». Il s’étend sur 723 km, empiète sur le territoire de la Cisjordanie, englobe les colonies israéliennes et les principaux puits de la région. Il restreint la liberté de mouvement des Palestinien·nes, désorganise les liens familiaux et sociaux, perturbe la vie économique des Territoires occupés... Le mur a été déclaré illégal par la Cour internationale de justice en 2004.

La forteresse de Ceuta-Melilla

Construite entre 1998 et 2001, en pleine période d’euphorie post-chute du mur de Berlin, elle vise à « mettre un terme aux assauts des migrant·es africain·es » face aux deux enclaves espagnoles en terre marocaine. Les triples grilles hérissées de barbelés semblent ne plus suffire à arrêter les migrant·es puisque des travaux de renforcement ont commencé en 2014 : une nouvelle barrière de 3 à 5 m de hauteur et équipée de lames tranchantes viendra renforcer le dispositif... Toujours plus !

Le mur des sables au Sahara occidental

Érigé à partir de 1980, ce mur de plus de 2 500 km construit par l’armée marocaine pour geler les opérations militaires sahraouies, sépare les zones de contrôle du Maroc et du Polisario, coupant le territoire du Sahara occidental en deux. Pour son entretien, ce mur coûte entre 2 et 4 millions de dollars par jour.

Le mur Algérie-Maroc

En 1994, après l’attentat terroriste commis à Marrakech qui avait impliqué trois jeunes Algériens, Rabat impose un visa aux voyageur·ses algérien·nes. Alger répond alors en fermant sa frontière terrestre. C’est ainsi que s’érige la frontière fermée la plus longue du monde : un no man’s land de 1600 km qui sépare Algérie et Maroc. Vingt ans après ce verrouillage de la frontière terrestre, le Maroc érige un mur ; l’Algérie, de son côté, creuse des tranchées. Motifs invoqués à Rabat et Alger : la lutte contre les réseaux de contrebande et le terrorisme dans le Sahel.

Les barrières dans l’espace européen

En réponse à la « crise migratoire », une dizaine de nouvelles constructions sont apparues en Europe depuis 2015, notamment entre la France et la Grande-Bretagne, entre la Hongrie et la Serbie et la Croatie, la Macédoine et la Grèce, la Slovénie et la Croatie, et l’Autriche et la Slovénie. Et avant celles-là encore, entre la Grèce et la Turquie, et la Bulgarie et la Turquie. Un coup dur pour le projet européen, basé notamment sur la libre circulation des personnes.

Mur de Calais
Le mur de Calais, officiellement appelé par le gouvernement britannique « mur de protection anti-migrant·es », est construit en 2016 aux abords de l’autoroute A216 (rocade portuaire de Calais) pour la modeste somme de 2,7 millions d’euros, financés par le Royaume-Uni. Un mur de 4 m de hauteur et d’environ 1 km de long qui complète les dispositifs existants (50 km de barbelés autour du port et autour du tunnel) pour empêcher les migrant·es de monter à bord des camions.

Barrière frontalière hongroise
Construite entre juillet et octobre 2015 en ce qui concerne la frontière avec la Serbie et la Croatie, cette barrière à la frontière hongroise a été construite en arguant que l’Union européenne ne prenait pas les mesures nécessaires pour contenir les importants flux de population entrant dans l’espace européen par la frontière serbo-hongroise. Elle bloque ainsi la route à des dizaines de milliers de réfugié·es, en majorité des Syrien·nes fuyant la guerre.

La barrière entre le Botswana et le Zimbabwe

Autre exemple de barrière séparant des pays en raison de leur différence de richesses, cette « clôture de sécurité » électrifiée haute de 2,4 m et longue de 810 km a été érigée en 2003 par le gouvernement du Botswana à sa frontière avec le Zimbabwe, bloquant le passage de milliers de personnes.

La barrière entre Israël et l’Égypte

Israël a achevé en 2014 une barrière de 242 km le long de sa frontière avec l’Égypte, un passage emprunté par de nombre d’immigrant·es clandestin·es africain·es et trafiquant·es. Au cours de l’année 2016, la barrière a été surélevée, passant de 5 à 8 m, sur 17 km de tronçon.

Le mur entre la Turquie et la Syrie

En 2017, la Turquie a érigé un mur géant sur la frontière avec la Syrie. Ce mur, construit en un an, est long de 564 km et constitué de 300 000 blocs de béton mobiles de 2 m de large et 3 m de haut. Selon le gouvernement turc, le mur a été construit « afin de sécuriser les frontières, contre le terrorisme, et pour empêcher les passages illégaux et les infiltrations ».

Ainsi, dans un monde de plus en plus globalisé, les murs frontaliers se multiplient à un rythme inquiétant. Souvent présentés comme une source de sécurité, ils sont en réalité la source de nombreux problèmes : ils affectent le quotidien pour les communautés frontalières, bouleversent les relations économiques, et créent des problèmes environnementaux (déplacement de la faune, destruction des écosystèmes...). Devenus une réponse normalisée à l’insécurité, ces murs n’apportent aucune solution pérenne : ils mènent à un déplacement des routes migratoires, obligent les migrant·es à utiliser des voies plus longues et plus dangereuses, et sont responsables de milliers de morts chaque année. Les murs frontaliers sont également la cause d’expulsion, d’exclusion, d’oppression et de discrimination.

Pour relayer l’appel fait en 2003 par les Palestinien·nes, qui n’ont jamais cessé de lutter contre les murs israéliens illégaux en Cisjordanie et autour de Gaza, de nombreuses associations de tous les continents ont décidé de faire du 9 novembre la JOURNÉE MONDIALE POUR UN MONDE SANS MURS.