Partir pour être solidaire

Pourquoi partir ?

Les motivations pour partir dans un pays du Sud sont de toutes sortes et peuvent être toutes légitimes, mais il est essentiel de bien les identifier pour ne pas se tromper de voyage.

On peut vouloir partir pour agir, pour découvrir, pour mûrir, changer. Pour oublier ses problèmes. Pour fuir son impuissance de citoyen·ne qui ne sait pas comment agir ici et pense qu’il·elle sera plus utile ailleurs. Pour échapper à une société de plus en plus dure, où l’on ne trouve pas facilement sa place, où la compétition fait rage, où les perspectives manquent de noblesse ou de poésie. On peut aussi vouloir partir pour l’aventure, quitter ses repères, vivre une expérience hors du commun.

Mais il est important d’être conscient·e de ses motivations réelles, par exemple de ne pas se dire que l’on part « pour aider » alors que l’on veut simplement s’évader de la routine quotidienne. S’interroger sur ce qui nous pousse à vouloir partir est essentiel : si l’on se trompe, on a de fortes chances d’être déçu·e par le voyage et d’en faire supporter les conséquences à ceux et celles qui nous accueillent.

Partir pour être solidaire

Une fois que l’on a identifié ses objectifs et que l’on a décidé de partir pour aider, reste à s’interroger sur les différentes possibilités d’être solidaire, mais aussi sur l’utilité que l’on peut avoir sur place.

En quoi peut-on être utile ?

Si l’on veut apporter de l’aide, il faut tout d’abord se demander en quoi on peut être utile et quels sont les besoins des personnes que l’on veut aider. Une étape essentielle pour ne pas commettre l’erreur de confondre notre définition du besoin avec celle de ceux et celles à qui on veut témoigner notre solidarité. Pour cela, mieux vaut connaître ce que les gens font sur place et dans quelle mesure notre action peut compléter ou appuyer la leur, pour ne pas leur nuire (voir la page Agir avec des partenaires)

Éviter l’équation : « Pays du Sud = Besoin de moi »

La volonté d’aider se fonde trop souvent sur cette équation simple, mais fausse.
Cette façon de présenter les choses est en général fondée sur une vision réductrice des pays du Sud, alimentée par les grands médias, qui montrent des populations sans ressources, attendant passivement une aide extérieure.
Or, les populations, même les plus démunies, ont des compétences, des savoirs... qui ne requièrent pas forcément une intervention étrangère. Souvent d’ailleurs, en cas de catastrophes, ce sont les populations locales qui sont les plus rapides et les plus efficaces dans la mise en œuvre des secours d’urgence.
Si l’on désire partir, il faut commencer par admettre cette idée : il se peut que notre présence sur place ne soit pas utile, même si on a des compétences ou une expérience particulières [1].

Le manichéisme n’est jamais bon conseiller

On ne peut pas aider sans connaître les personnes que l’on veut aider mais aussi les processus économiques, sociaux, politiques, culturels qui conduisent à la pauvreté, à la malnutrition ou au travail des enfants. Nous avons très souvent des idées toutes faites sur les pays du Sud et sur les causes de la pauvreté.
On ne s’en départit pas facilement, c’est pourquoi il est important de déceler ses a priori et de se garder des généralités.
On peut certes aller construire un puits ou convoyer du matériel médical sans se poser toutes ces questions, mais on prend le risque de rester en marge des véritables problèmes et, a fortiori, de leur résolution. Notre action peut alors se révéler inutile, sans impact réel sur les problèmes que l’on pensait résoudre. Pire, notre action peut aussi être nuisible aux personnes que nous voulions aider [2]

Être lucide…

L’envie d’aider, de s’engager dans des projets d’aide humanitaire ou de développement répond, le plus souvent, à des motivations complexes.
Elle peut être fondée sur une attitude généreuse et, en même temps, sur des besoins que l’on n’ose pas avouer : être valorisé·e aux yeux de son entourage, avoir des responsabilités que l’on n’a pas ici, renforcer son estime de soi ou fuir une vie jugée banale. Elle peut se mêler à la peur de se lancer dans la vie active ou au besoin d’oublier un chagrin amoureux.
Être lucide sur cette ambiguïté permet de rester humble et évite de se poser en « sauveur·se de l’humanité ». Ce qui est d’autant plus nécessaire que la relation d’aide est une relation délicate [3]. Elle peut rapidement déboucher sur un rapport de dépendance de l’aidé·e vis-à-vis de l’aidant·e et sur toutes sortes d’abus : condescendance, manque d’écoute, complexe de supériorité… des travers dans lesquels il est d’autant plus facile de tomber que l’on n’est pas au clair avec soi-même [4].

Attention aux arnaques du « volontourisme » ou quand vouloir aider peut conduire aux pires dérives

Profitant de l’engouement croissant de personnes voulant partir pour aider, de nombreuses agences de voyages ont développé des séjours à la carte de « volontourisme ». Contraction de « volontariat » et « tourisme », ces formules proposent de partir sauver des animaux en Thaïlande, d’aider des orphelin·es au Népal, de construire des puits ou des pompes à eaux dans des pays d’Afrique subsaharienne, de donner des conseils en nutrition au Pérou, de faire des piqûres dans des hôpitaux de brousse à Madagascar... Aucune compétence n’est exigée pour réaliser ces courts séjours de 2 à 3 semaines. Moyennant de grosses sommes d’argent réclamées aux bénévoles, ces agences états-uniennes, australiennes ou gérées par des locaux trouveront de toute façon une mission inutile à faire sur place pour soulager les consciences de ces personnes qui veulent agir.
Ce commerce lucratif conduit à de nombreuses dérives : folklorisation de la vie et de la culture locales, inutilité et nuisance des volontouristes sur place (actions inutiles et pensées uniquement dans le court-terme, actions nuisibles car réalisées par des personnes non compétentes, concurrence à l’économie locale, installation de nouveaux rapports de dépendance et de domination...). Dans leur pire aspect, les conséquences de ce mode de tourisme sont même dramatiques, comme l’illustre l’exemple de ces faux orphelinats du Cambodge ou du Népal. Pour faire tourner le commerce du volontourisme, des enfants sont arraché·es à leur famille pour venir remplir de faux orphelinats. Dans certaines régions, ce trafic d’enfants, cautionné par les politiciens locaux, est massif : on estime que 85 % des 16 000 enfants orphelins dans la vallée de Katmandou ont en réalité au moins un parent (voir Partir en tant que volontaire). Des générations d’enfants sont ainsi sacrifiées sur l’autel du business de l’humanitaire...
En 2017, l’industrie du volontourisme pesait 173 milliards de dollars dans le monde : les marges réalisées - entre 30 et 40 % - dépassent largement celles réalisées dans le cadre du tourisme traditionnel (autour de 3-4 %).
On estime aujourd’hui à 1,5 millions le nombre de volontouristes qui se rendent chaque année à l’international.
En décembre 2020, une proposition de loi « relative à la lutte contre certaines dérives liées au volontourisme » a été déposée à l’assemblée nationale. Le texte, qui n’a pas encore été voté, vise à « protéger les personnes en désir d’engagement contre les dérives liées au volontourisme et sensibiliser à des actions de volontariat à l’international responsables ». Son 1er article prévoit l’interdiction de « l’utilisation des termes de « volontariat » ou « bénévolat » pour des activités payantes et à but lucratif, sans que cette contribution financière ne participe à financer le projet initial et/ou des projets annexes d’intérêt général. »

Partir pour acquérir une expérience professionnelle

Partir comme volontaire ou choisir l’humanitaire pour échapper au chômage ou dans une stratégie de carrière peut paraître cynique, mais c’est une motivation que l’on peut comprendre, quand la situation de l’emploi est difficile dans son propre pays. Ce type de démarche, assez récente, est renforcé par le fait que la solidarité internationale tend à se professionnaliser et à s’institutionnaliser.

« Booster » son CV

Parmi celles et ceux qui souhaitent partir, beaucoup sont d’abord à la recherche d’un emploi, si possible « sympa » et qui permette de voyager.
Pour d’autres, partir comme volontaire fait partie d’une stratégie pour s’insérer professionnellement.
Ce projet, comme tous les autres mérite réflexion (voir la page Partir en tant que volontaire de solidarité internationale)

Acquérir d’autres savoir-faire…

Partir pour une action de solidarité internationale en rapport avec son métier, sa formation ou ses compétences peut être très enrichissant pour celles et ceux qui ont déjà une expérience professionnelle. Encore faut-il que le projet en question soit inscrit dans une perspective de prise en compte des techniques et savoir-faire des autres, ce qui n’est pas toujours le cas.
Partir à l’étranger offre également la possibilité d’apprendre de nouvelles langues, que ce soit des langues internationalement reconnues et « vendables », comme l’espagnol, le chinois ou l’anglais, ou des langues moins répandues. On peut se lancer dans la découverte des langues locales pour communiquer avec celles et ceux que l’on rencontre sur place. Cet apprentissage ne servira peut-être pas une carrière dans le commerce international, mais élargira le champ de vos compétences et vous ouvrira à des mondes de richesses culturelles.

… et quelques savoir-être

Une expérience dans un autre pays, professionnelle ou non, permet également d’acquérir des savoir-être : facultés d’adaptation, relativisation des difficultés, indépendance par rapport à son milieu d’origine, tolérance plus grande, ouverture d’esprit. Non pas que l’on puisse devenir sage par simple contact avec des hindous ou après avoir croisé un griot, mais parce que l’expérience de la différence et la confrontation à des difficultés aident à évoluer, pour peu que l’on soit prêt·e à cela.

Prendre le temps de connaître

Se rendre à l’international pour découvrir les populations, la façon dont elles vivent et s’organisent, les problèmes qu’elles rencontrent peut être un bon moyen de vérifier ses motivations et d’envisager plus concrètement quel pourrait être son engagement.
À condition de ne pas en rester à une vision superficielle et croire que l’on connaît un pays quand on l’a seulement traversé.
On peut vivre en France et ne pas savoir comment aider les personnes qui vivent dans la rue. La pauvreté à l’étranger n’est pas plus simple à traiter que celle qui sévit chez nous.
Pour ne pas s’en tenir aux apparences, il est précieux de prendre le temps d’échanger sur ce que l’on a vu et, pourquoi pas, de rencontrer les personnes qui agissent déjà sur place.

Partir pour découvrir

Un départ exclusivement basé sur l’envie de découverte est parfois mal vécu par certain·es qui n’imaginent pas que l’on puisse séjourner dans un pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine sans y faire de l’humanitaire. Pourtant, on peut partir simplement pour découvrir d’autres modes de vie, des repères différents, une autre culture ou avec le désir de rencontrer des personnes avec qui on pourra échanger.
Un voyage axé sur la seule rencontre des autres peut se suffire à lui-même et être mutuellement enrichissant. Il peut également servir à mieux faire connaître la culture du pays d’accueil dans son pays d’origine. Si l’on part en solitaire, il n’est pas toujours évident de nouer des relations. Il peut être préférable de partir dans le cadre d’une association qui propose des séjours dont l’objectif est la découverte et la rencontre (voir la page Partir en chantiers de jeunes).

Partager le quotidien

On peut aussi simplement prendre le temps de découvrir, de se laisser surprendre, de partager. Se faire voyageur plutôt que touriste…
Voyager à l’international peut être une magnifique expérience pour peu que l’on parte avec curiosité, humilité, envie de découvrir, en se préparant aussi à ne pas trouver tout de suite de réponses.

Un point de départ pour une action

On peut voyager en allant à la rencontre des organisations ou des structures locales afin de les connaître ou de leur apporter un soutien.
On peut également, sur la base d’une relation développée avec un pays ou une région, de contacts, de rencontres, relayer l’information sur la situation et les besoins identifiés.
Au retour, il sera possible de rejoindre une association travaillant dans ce pays avec d’autant plus de motivations que l’on aura une connaissance de la situation sur place. S’engager alors dans une action de solidarité permettra d’approfondir sa connaissance du pays.
Les associations qui « accompagnent au départ » organise généralement, dans leurs formations, une « préparation au retour », pour penser la suite.

Pour approfondir

Partir à l’étranger, ils·elles l’ont fait, Information jeunesse du Maine-et-Loire, 2014.
Woofing, Couch Surfing, volontariat, chantier international... le réseau information jeunesse du Maine-et-Loire donne la parole à des jeunes qui ont tenté l’aventure à l’international.
https://www.infos-jeunes.fr...

Radi-Aid, pour confronter nos préjugés !
La Campagne Radi-Aid, lancée par le Norwegian Students’ and Academics’ Assistance Fund (SAIH) vise à nous interroger sur nos stéréotypes concernant le développement et la pauvreté dans le monde.
Par le biais de la parodie et du renversement de perspectives, ces vidéos dénoncent les campagnes d’appels aux dons, le rôle passif qu’elles assignent aux populations bénéficiaires et la supériorité des aidant·es : des Africain·es volent au secours des Norvégien·nes en leur offrant des radiateurs, une campagne appelle à devenir volontaire pour sauver l’Afrique...
Ces discours simplistes et paternalistes ne permettent pas de comprendre les réels enjeux autour de la pauvreté et des inégalités mondiales.

Barbie Savior dénonce le comportement des volontouristes occidentaux en Afrique
Le compte Instagram Barbie Savior met en scène une poupée Barbie en pleine expérience humanitaire. La barbie partage sur son Instagram tous ses moments merveilleux en Afrique. Ce projet dénonce avec humour et cynisme l’image que donnent les jeunes Occidentales·aux lorsqu’ils·elles se rendent en Afrique pour des actions humanitaires (« Sauveurs face à un peuple africain qui semble au bord du gouffre »).

Notes

[1Voir l’exposition « Partir pour être solidaire ».
De plus en plus de jeunes souhaitent partir en Afrique, en Asie ou en Amérique latine. Les raisons fréquemment données sont le désir d’aider son prochain et de se rendre utile, l’envie de découvrir d’autres cultures et des modes de vie différents, le désir d’acquérir une expérience professionnelle pour s’insérer dans le monde du travail. Cette exposition casse les idées reçues sur les possibilités de départ et donne des pistes et des conseils pour se former et agir solidairement, ici et là-bas.

[2Voir :
 L’exposition« Il était une fois la mondialisation »
 L’espace ressources de ritimoqui propose de nombreux dossiers qui aident à mieux comprendre la complexité du monde.
 L’espace "Éduquer" de ritimo, destiné en premier lieu aux éducateur·rices, regorge d’outils pédagogiques téléchargeables ou immédiatement consultables (vidéos, jeux, expositions...).

[3Voir par exemple le témoignage de la Cimade sur son approche pédagogique : « Cela faisait quelques années qu’on voulait dépasser la posture d’aidant·es de personnes étrangères, pour passer au « faire avec ». (...) Dans les permanences, il y a toujours un décalage entre le·la bénévole expert·e et la personne en demande, qui est perdue. Il peut y avoir un peu un rapport de domination. »

[4Lire Arundhati Roy, écrivaine indienne, dans Le Monde diplomatique, en octobre 2004 : « Les appels de détresse apolitiques – et donc, en réalité, éminemment politiques – en provenance des pays pauvres et des zones de guerre présentent au final les (sombres) gens de ces (sombres) pays comme des victimes pathologiques. Encore un Indien sous-alimenté, encore un Éthiopien mourant de faim, encore un camp de réfugiés afghans, encore un Soudanais mutilé. Sans le vouloir, les ONG renforcent les stéréotypes racistes et mettent l’accent sur les succès, les avantages et la compassion (aimante et sévère) de la civilisation occidentale. Elles sont les missionnaires séculiers du monde moderne. »