Pourquoi avoir choisi de créer ce camp d’été décolonial ?
L’idée de ce camp est née d’un échange sur la nécessité de multiplier les espaces de transmission, de rencontres et de formation politique. Il en existe déjà ; ils font écho à une longue tradition d’organisation autonome des immigrations et des quartiers populaires. Les anciens, comme notre génération d’ailleurs, n’ont jamais attendu qu’on vienne les sauver. Ils se sont engagés, ont milité et résisté sur tous les fronts. C’est important de rappeler ça car tout militant est l’héritier de luttes passées et même en cours. On connaît très mal cette Histoire, on en sait très peu sur ces luttes et leurs enjeux. Du coup, l’un des objectifs du camp d’été c’est justement de se réapproprier tout ça. Il s’agit également de poser des termes sur ce que nous vivons et de partager méthodes et savoirs, qu’ils soient théoriques ou pratiques. En tant que militantes autodidactes, nous savons à quel point certains concepts ou certaines techniques peuvent paraître abstraits, complexes, etc. et puis, de manière générale, on a toujours besoin de creuser ce que l’on croit savoir (nous les premières), de se confronter à d’autres pensées, d’autres prismes, d’autres réalités. C’est un peu le principe de l’éducation populaire.
Après, plus nous militons et plus nous nous rendons compte que le rouleau compresseur de l’antiracisme moral aka Touche-pas-à-mon-pote a fait des dégâts et a très largement contribué à la dépolitisation de ces sujets. On se retrouve avec des campagnes similaires à #TousUnisContreLaHaine qui, en se focalisant uniquement sur le racisme interpersonnel et sur les sentiments haine/amour, occultent volontairement sa dimension structurelle, étatique et donc éminemment politique. Cette formation nous a semblé d’autant plus opportune que les racisé·es sont voué·es à rester le sujet de discussion favori de la classe politique et médiatique de ce pays. Il faut juste voir les polémiques autour du voile… Tout ça, on a besoin de l’analyser, de le comprendre afin de le déjouer.
Pourquoi avoir choisi de limiter l’accès uniquement « aux personnes subissant à titre personnel le racisme d’État » ?
La vraie question serait plutôt « pourquoi une formation organisée par et pour des personnes subissant le racisme d’État pose autant de problèmes ? ». Ce n’est pas un projet de vie, ce sont des universités d’été de trois jours réservées aux personnes directement concernées par le sujet… C’est d’ailleurs ce qui est indiqué sur tous nos supports. Contrairement à ce qu’ont relayé les deux/trois journalistes mal-intentionnés qui ont lancé la “polémique”, nulle part nous n’écrivons que le camp d’été est interdit « aux blancs de peau ». Pour la simple et bonne raison que ça ne veut pas dire grand-chose. On ne fait pas de la peinture là, on s’intéresse aux effets de la production de races sociales [1] par le colonialisme européen… Généralement, quand on dit cela, on a le droit au fameux « mais vous êtes racistes, les races n’existent pas ! »
C’est un peu l’objection que j’allais vous faire… pourquoi parlez-vous de « races » ?
Dans nos bouches à nous, militant·es de l’antiracisme politique, le concept de race ne renvoie pas du tout à une réalité biologique mais à une réalité sociale. Il ne s’agit pas de faire des classifications entre les ethnies mais de reconnaître que les mythes autour de la race, qui ont été produits par l’esclavage et la colonisation, ont eu des effets catastrophiques, destructeurs, dont on paie aujourd’hui encore le prix fort. Oui, il n’y a qu’une seule race, la race humaine, blabla mais là n’est pas la question. Comme l’a très bien résumé Colette Guillaumin : « la race n’est certes pas ce qu’on dit qu’elle est, mais elle est néanmoins la plus tangible, réelle, brutale, des réalités. » [2] En d’autres termes, la science a beau avoir prouvé qu’il n’y avait pas de différence biologique fondamentale entre les différents groupes humains, les catégorisations raciales et les valeurs (positives et négatives) qui leur sont attribuées n’ont pas disparu. Loin de là. D’un côté, une racialisation positive qui s’accompagne de bénéfices et de positions sociales et économiques avantageuses à l’échelle systémique ; de l’autre, une racialisation négative qui se manifeste par les effets inverses.
Cela étant dit et les formes du racisme ayant évolué, la couleur de peau est loin de constituer le seul marqueur de racialisation. À cela s’ajoutent des marqueurs plus ou moins visibles tels que le patronyme ou des signes distinctifs, notamment d’appartenance à la religion musulmane, qui renvoient à une origine, une différence réelle ou supposée. Ainsi, on peut être arabe, avoir “la peau blanche” et être impacté·e par le racisme d’État, de même qu’une blanche convertie à l’islam et ayant fait le choix de porter le voile sera renvoyée à une assignation raciale.
On peut donc continuer à dépolitiser le sujet et à faire des comparaisons abjectes et anachroniques du type « mon Dieu, ce camp d’été c’est comme la ségrégation raciale dans les bus aux USA » ou on peut accepter que c’est bien plus complexe que cela. D’autant que la ségrégation raciale consistait à exclure socialement, politiquement et économique un groupe au profit d’un autre. Quel rapport avec le camp d’été ? Quelle exclusion sociale, politique, économique produira-t-il sur les personnes « blanches de peau » pour reprendre les termes des journalistes ?
Le camp d’été se fera donc en non-mixité ?
Oui, le camp d’été décolonial se fera en non-mixité avec celles et ceux qui, parmi les millions de citoyen·nes subissant le racisme structurel, souhaitent y participer. C’est un choix politique que nous assumons à 3000% et qui nous semble indispensable à l’auto-émancipation et l’auto-organisation des concerné·es. Évidemment, dans un pays qui a érigé l’universalisme en valeur absolue et dans lequel beaucoup se sentent investi·es d’une mission de sauveur·ses de l’humanité, ça peut être difficile à avaler. Mais ces espaces sont importants et ils ne sont donc pas négociables.
Pourquoi sont-ils importants ? On a vu que c’était aussi le cas à Nuit Debout avec des réunions non-mixtes des féministes. Est-ce que vous pensez, plus largement, que la non-mixité est une nécessité politique ?
Si le parallèle avec la non-mixité féministe semble évident, il n’est pas forcément juste dans la mesure où la non-mixité n’est qu’un prétexte pour s’attaquer au contenu politique. Cela étant dit, quels que soient les groupes sociaux dominés concernés, il nous semble que oui, la non-mixité est une nécessité politique. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a été pensée et utilisée par des milliers de militant·es, qu’ils soient féministes, antiracistes ou anticapitalistes, depuis des décennies. Comme nous, ils ont dû constater que les réunions mixtes sont certainement nécessaires pour faire avancer les luttes mais que comme tout le reste, elles ont leurs limites. Des limites qui peuvent constituer une vraie perte de temps, d’énergie mais aussi de leadership. C’est le cas, par exemple, de ces rencontres où l’on va passer 3h à redéfinir le mot « islamophobie » alors que les concerné·es préféreraient que l’on s’attaque au cœur du problème, à savoir la réalité de l’islamophobie ; idem quand tu te retrouves à expliquer que non, quand tu parles de « races », tu ne sous-entends pas qu’il y a des êtres supérieurs aux autres mais qu’il existe un système d’assignation hérité de l’Histoire esclavagiste et coloniale française… ce qu’il te faudra rapidement compléter en expliquant que non, évidemment tu ne vises pas les grands-parents de Marie-Pierre en disant cela et que tu sais très bien qu’elle n’est pas raciste mais que ce n’est pas la question, etc., etc. Ça peut paraître caricatural mais c’est précisément ce que nous vivons dans la majorité des réunions mixtes, du moins avec les gens qui ne sont pas au clair sur ces questions. Avec les autres, les allié·es, c’est plus pernicieux car leur compréhension des enjeux occulte la manière dont ils et elles servent – souvent à leurs dépens – la reproduction des mécanismes de domination. Ainsi, un·e antiraciste blanc·he jouira d’une double reconnaissance admirative, celle d’une partie de ses pairs (et de l’élite) qui trouveront ça « super engagé » et celle des racisé·es qui donneront davantage de poids à sa parole. Rien d’étonnant car les paroles blanches sont survalorisées, surinterprétées, surlégitimées comparées aux paroles et pensées non-blanches.
Et alors ? Peut-être que c’est tout simplement parce que ce qu’ils et elles disent est pertinent ?
Dans un monde absolument juste et égalitaire, on pourrait effectivement envisager cette hypothèse. Dans le monde réel, où les rapports de domination sont violents même quand ils sont invisibles, il faut se rappeler que les personnes qui ne vivent pas une oppression (qu’ils et elles aient conscience ou non de leur position) partent avec une longueur d’avance. D’autant que, comme l’a très bien montré Frantz Fanon, [3] la domination a été intériorisée. Aussi, leurs paroles, leurs avis et leur présence influent forcément sur l’orientation des réunions, des prises de décision et même de l’organisation… Évidemment que les paroles peuvent être pertinentes ! Mais ce n’est pas la question. Qui dit lutte contre une oppression dit empowerment, c’est-à-dire renforcement du pouvoir des opprimé·es. C’est une dimension qu’on oublie trop souvent alors que c’est très certainement l’un des enjeux les plus importants. On a besoin de reprendre confiance en nous, de croire en nos paroles, en nos actions, en notre organisation. On a besoin de faire les choses par nous-mêmes, pour nous-mêmes et avec nous-mêmes, c’est une forme de reconquête d’un pouvoir muselé. Et c’est l’un des atouts de la non-mixité. À cela s’ajoute aussi, et c’est lié, la libération de la parole. C’est plus simple de parler de son vécu, de ses doutes, de ses espoirs, de ses rancœurs, avec des personnes qui ont des expériences similaires et qui ne vont pas vous opposer des “et la lutte des classes ?!” ou des nuances à chaque bout de phrase. Après, il faut aussi remettre les choses dans leur contexte : la non-mixité est un outil circonscrit dans le temps et l’espace ; un outil comme il en existe bien d’autres, avec ses qualités et ses limites, servant à accompagner un objectif politique précis. Notre objectif, en l’occurrence, est l’auto-définition, l’auto-détermination et l’auto-émancipation des personnes subissant le racisme d’État… donc forcément, elles sont au cœur du processus. Contrairement à nos détracteur·rices, on ne se pose pas la question de la non-mixité à l’échelle de la société ou d’une temporalité indéfinie, ça n’a jamais été le sujet.
Est-ce que ça signifie que ce combat/sujet ne peut concerner que les personnes victimes de racisme ?
Par définition, le racisme concerne l’ensemble de la société. On le souligne rarement mais si certains sont désavantagés par les processus de racialisation négative, d’autres en tirent des avantages nets, directs ou indirects… C’est ce que l’on appelle les privilèges. Ainsi, et par exemple, le pendant de la discrimination raciste au logement c’est le bénéfice qu’en tirent les « membres de la population majoritaire », pour reprendre une expression en vogue. Si l’on devait résumer ça de manière cynique et grossière, on dirait qu’il y a les perdant·es et les gagnant·es du racisme structurel, comme il y a les perdant·es et les gagnant·es du patriarcat. Après, c’est évidemment plus complexe que cela dans la mesure où la blanchité ne préserve pas d’autres oppressions liées, par exemple, au genre, à la classe sociale, au handicap, etc.
Pour en revenir à la question, si tout le monde est concerné, nous n’occupons pas tou·tes la même place dans les processus de racialisation et n’avons donc évidemment pas le même rôle à jouer. Encore une fois, le racisme est lié à la question du pouvoir… Il est donc primordial que l’incarnation, la définition de l’agenda, des modalités et des objectifs politiques reviennent aux personnes concernées. Les autres peuvent aider de mille et une manières à condition de ne pas entraver le travail d’auto-détermination et d’émancipation en cours. Est-ce si difficile à accepter ?
Est-ce que vous comprenez que cela puisse interpeller ?
Oui et non. On opère une distinction entre les interrogations sincères et légitimes de personnes découvrant ces sujets et outils et les accusations fallacieuses de défenseurs du pouvoir qui sentent leur petit monde se dérober progressivement sous leurs pieds. C’est pour les premier·es, en particulier celles et ceux qui subissent le racisme structurel, que nous prenons le temps de répondre à ces questions. C’est marrant – et surtout très hypocrite – que l’on fasse tant de bruit sur la non-mixité d’un événement militant somme toute assez confidentiel alors que tous les jours des réunions en non-mixité politiques ont lieu. On pourrait parler d’initiatives féministes, comme celle de la Maison des femmes de Montreuil ou de Paris, deux espaces non-mixtes recevant des aides de l’État, des départements et des municipalités sans que cela fasse sourciller personne. Alors que, à en croire l’argumentaire des détracteur·rices du camp d’été, ce genre d’initiatives conduit au « communautarisme » et « à la destruction du vivre-ensemble » ! On pourrait aussi parler de Cinéffable et de son Festival International du Film Lesbien et Féministe, exclusivement réservé aux femmes. Là encore le festival est soutenu par la Mairie de Paris et n’a jamais suscité d’opposition si ce n’est de la part de quelques sites d’extrême-droite. De même, il ne viendrait à l’idée de personne d’imposer la présence du MEDEF ou d’actionnaires du CAC 40 dans des réunions syndicales de salarié·es souhaitant s’organiser.
C’est cette différence de traitement qui devrait interpeller. Ou bien la Mairie de Paris finance des groupuscules communautaristes, discriminatoires et dangereux pour la République ou bien il y a une non-mixité tolérée, comprise, encouragée et une autre profondément dérangeante. On sait très bien quelle option l’emporte.
Pour caricaturer, vous avez trois grands types d’opposition à cela : les protecteurs du pouvoir qui ne supportent pas qu’il soit remis en cause et qui voient d’un très mauvais oeil que les racisé·es s’organisent ; les adeptes de théories racistes pour qui l’organisation d’espaces non-mixtes est une nouvelle étape dans le processus du grand remplacement ; enfin, les super(wo)men de l’antiracisme qui sont vexé·es de ne pas pouvoir participer à la réunion alors même qu’ils et elles ont dédié leur vie à ce combat. En trame de fond se posent aussi deux réalités majeures : les blanc·hes ne savent pas qu’ils et elles sont blanc·hes et ne sont pas habitué·es à être remis·es à leur place.
Pourquoi les espaces non-mixtes de l’antiracisme politique provoquent-ils autant de remous ?
D’une certaine manière, la réponse est dans la question et dans tout ce qui vient d’être dit. L’antiracisme politique c’est quoi ? C’est un mouvement, une démarche, une vision rompant intégralement avec la tradition de centrer l’antiracisme autour de la question morale et interpersonnelle. Nous envisageons le racisme, non pas comme quelque chose de “mal” et d’individuel (même si ça peut l’être aussi hein) mais comme un système dont l’État est l’un des principaux actionnaires et bénéficiaires. On ne le dira jamais assez, le racisme est lié à la question du pouvoir : c’est un rapport de domination. L’antiracisme politique s’évertue donc à dénoncer et combattre les manières dont le pouvoir, qu’il soit médiatique, politique, économique, militaire, ou autre, se nourrit et renforce la racialisation négative d’une partie de la population. Cela sous-entend donc, par exemple et contrairement à ce que l’on nous martèle en continu, que le racisme n’est l’apanage d’aucun parti politique. La présidence de Hollande aura eu le mérite de démontrer cela aux derniers sceptiques. Porter ce discours, c’est évidemment moins “mignon” que de “lutter contre les clichés et le FN”. Mais ce ne sont ni les clichés ni le FN qui, depuis 40 ans au moins, ont des conséquences dramatiques sur nos vies, celles de nos aîné·es et celles de nos petits frères et sœurs. Ce sont des discours politiques, des discriminations de masse, des lois, des humiliations généralement produites par des agents de l’État, des politiques publiques, etc. C’est ce fond politique qui dérange.
Que répondez-vous à ceux qui vous disent « Nique la race, vive la lutte des classes ! » ? N’avez-vous pas l’impression de vous tromper de combat ?
De manière un peu provoc’, nous répondrions : « nique-toi toi… qui fait le ménage à la fête de l’Huma ? ». Nous avons effectivement l’habitude d’entendre ce genre de slogans ou d’oppositions. Il faudrait « rejeter le logiciel racial au profit du logiciel social ». Nous on veut bien hein, mais aucune de ces affirmations péremptoires, aucune de ces œillères n’estompe les effets du racisme structurel. À un moment donné, il faut sortir de sa zone de confort et comprendre que ce n’est pas parce qu’on n’est pas touché·e par la question raciale qu’elle n’existe pas. Ce qu’oublient les daltoniens raciaux c’est qu’ils et elles ont le luxe de ne « pas voir les couleurs » comme ils et elles disent. Ces réalités, ces « couleurs », saisissent à la gorge les non-blanc·hes dès leur plus jeune âge. Souvent de manière violente d’ailleurs. Ce qu’ils et elles oublient surtout c’est que dans le cadre du capitalisme racialisé dans lequel nous sommes, la lutte des classes comprend nécessairement la question raciale ; cette dernière étant aussi à envisager en toute autonomie. Et puis, comme on a pu notamment le voir dans le traitement politique et médiatique de l’affaire Benzema, la classe n’efface pas la race. Tu peux être millionnaire et te voir constamment renvoyé sous les feux de la racialisation.
Le 27 avril 2016, le député Bernard Debré et la ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem, ont tous deux condamné le camp d’été décolonial en expliquant que ce type d’initiatives favorisait le « communautarisme », le « désordre », la « mise en danger de la démocratie », le « racisme anti-blanc » et « l’antisémitisme » ? Que vous inspirent ces réactions ?
Il est intéressant de noter que ces deux responsables politiques mélangent tout. Ainsi, l’initiative “Paroles non-blanches”, impulsée par des étudiant·es racisé·es de Paris 8, est mise dans le même sac que le camp d’été décolonial qui est, lui, mis dans la valise du Parti des Indigènes de la République. Ces trois organisations qui, même si elles peuvent être en lien, sont indépendantes les unes des autres, leurs textes et initiatives sont ainsi confondus dans le plus grand calme. Comme d’habitude, quand ça parle d’arabes et de noir·es autonomes engagé·es contre le racisme d’État, le PIR est accusé d’être derrière [4] et, comme d’habitude, tout est déformé... Prenons « Paroles non-blanches », par exemple ; les étudiant·es qui ont organisé ça devraient être respecté·es, admiré·es, encouragé·es. Mobilisé·es contre la loi travail, ils et elles se sont vite rendu·es compte que les prises de paroles au sein du mouvement (comme dans toutes les sphères de pouvoir) étaient très majoritairement blanches. Créatif·ves, organisé·es et force de proposition, ils et elles ont donc décidé de pallier ce communautarisme en blanc en donnant la parole à celles et ceux que l’on n’a pas l’habitude de voir et d’entendre. Contrairement à ce qui pu être dit, le cycle de conférences qui en est né était ouvert à tou·tes, seul·es les intervenant·es étaient en non-mixité. Les gens se plaignent de ça depuis des salles de rédaction ou des assemblées composées à 98% de blanc·hes. Les plateaux TV, conférences, réunions, syndicats, partis, associations, etc, composé·es exclusivement de blanc·hes.
Le fait que tout ceci agite dans les plus hautes sphères de l’État prouve bien que l’antiracisme politique est vu comme un problème, non pas à cause de la non-mixité mais à cause du contenu. Notre camarade, João Gabriell, l’a très bien explicité : « C’est le contenu tourné vers la rupture avec la pensée dominante sur le racisme, ainsi que l’auto-organisation des victimes du racisme systémique, mais pas la non mixité en soi (...) qui les gêne. » On nous accuse de promouvoir une vision « racisée et raciste de la société », comme si nous étions responsables des processus de racialisation à l’œuvre dans ce pays depuis des siècles. Doit-on rappeler à toutes ces personnes que ce sont elles qui sont au pouvoir d’une France qui a institutionnalisé l’islamophobie, légitimé les contrôles au faciès, évacué la question des réparations liées à l’esclavage et la colonisation, développé la chasse aux sans-papiers, poursuivi des enfants de 8 ans en les accusant d’apologie du terrorisme, dépolitisé et étouffé les luttes de l’immigration et des quartiers populaires en finançant des associations inefficaces, enraciné le néo-colonialisme à travers des guerres impérialistes, des déstabilisations politiques et une domination économique et militaire ? Doit-on rappeler aux journalistes qui nous accusent de « racialiser » le débat qu’ils et elles travaillent pour des médias qui n’ont de cesse de stigmatiser une partie de la population, de relayer les pires stéréotypes racistes, de se servir de l’islamophobie comme moyen de subsistance, de servir de caisse de résonance à des politiques sécuritaires, liberticides et xénophobes sans leur opposer une contradiction solide, de dépolitiser les luttes sociales et antiracistes ? Vraiment, doit-on rappeler tout ça ? Si le racisme, le racialisme et les injustices les touchent tellement, qu’ils et elles aillent les combattre là où ils et elles sont : dans les alcôves de leurs petites vies de privilégié·es qui ont le luxe de pouvoir ignorer la question raciale.
Ce texte est une version réduite et légèrement remaniée d’un article paru le 1e mai 2016 sur le site du magazine Contre-attaque. Il est disponible en ligne : http://contre-attaques.org/magazine/article/camp-d-ete