Pour le collectif qui en a repris une interprétation francophone, le « Pouvoir d’agir » est une traduction du terme empowerment, et « désigne à la fois :
– un processus par lequel les individus, les groupes, les organisations et les communautés acquièrent la capacité d’exercer un pouvoir ;
– un état qui désigne la capacité d’exercer un pouvoir ;
– une approche d’intervention sociale et communautaire visant à soutenir le développement de cette capacité.
Être en situation de pouvoir d’agir (état) sur une question qui nous préoccupe ou sur un enjeu qui est significatif à nos yeux, c’est posséder la capacité de :
– choisir librement (requiert la présence d’au moins une alternative) ;
– transformer son choix en une décision (requiert la capacité d’analyser et de s’engager) ;
– agir en fonction de sa décision (requiert souvent des ressources et d’être prêt à assumer les conséquences de l’action).
Avoir une emprise requiert, chez l’individu, le groupe, l’organisation ou la communauté concerné, une capacité d’agir concrètement et de façon autonome. Or, le mot anglais empowerment est justement utilisé pour désigner cette finalité, ainsi que le processus pour l’atteindre [1] ». En français, il arrive toutefois que l’on utilise directement le terme d’empowerment pour identifier ce processus.
Définition développée
La notion d’Empowerment, provenant de l’anglais, peut donc être entendue comme le processus d’acquisition, voire « d’appropriation du pouvoir [2] » par lequel un acteur prend lui-même en charge les questions (sur le plan professionnel, économique, familial et social) qui le concerne. En d’autres termes, l’Empowerment représente un « ensemble d’actions orientées dans le but de générer des niveaux plus importants d’affirmation, de compétences, d’habilités et d’attitudes qui permettent aux personnes d’exercer le pouvoir à différents niveaux et domaines de la vie. On rattache cette notion à celle d’autonomie et à ses quatre dimensions : physique, économique, politique et socioculturelle [3] ».
Selon le Centre d’excellence pour la santé des femmes (CESAF) de l’Université de Montréal, on peut se référer à la notion d’empowerment « à la fois comme théorie, cadre de référence, plan d’action, but, idéologie, processus, résultat [4] ou conséquence [5] », et cette « compréhension pluraliste de ce concept nous amène à aborder les questions de recherche à différents niveaux, (individuel, social et communautaire) et selon différentes perspectives (psychologique, organisationnelle, sociale, éthique, communautaire et politique, cf. Gibson, 1991) [6] », dont celle « […] l’industrie très développée de l’autoformation et des sciences motivationnelles [7] ».
Il arrive souvent que l’empowerment soit « (…) entendu comme la redistribution du pouvoir par les dominants vers les dominés. Pourtant, cette compréhension de l’empowerment peut en réalité s’avérer être du dés-empowerment [car] le rôle approprié de la personne ou du groupe est de partager, et non transmettre ou imposer (…) le groupe doit prendre ses propres décisions, de sorte que les membres du groupe puissent développer et faire l’expérience de leur propre pouvoir [8] ».
Au sens sociologique, l’empowerment « concerne la plupart du temps des groupes que des processus de discrimination sociale ont exclu de la prise de décision au travers – par exemple – de discrimination basée sur le handicap, la race, l’ethnicité, la religion ou le genre » et il est souvent associé au féminisme (au sens de prise de conscience) en tant que méthodologie [9].
L’Empowerment renvoie donc à des caractéristiques individuelles comme le sentiment de compétence personnelle, de prise de conscience [10] et de motivation à l’action sociale [11], un processus par lequel l’individu accroît ses habiletés favorisant l’estime de soi, la confiance en soi, l’initiative et le contrôle [12].
Sur un plan psychologique, l’empowerment se traduirait ainsi par un sentiment de confiance en sa capacité ou « claiming power » (et la perception du degré de réalisation que l’on en a), un processus où l’individu découvre ses propres sources de pouvoir sur la base de son expérience et de son action, lui-même édifié sur la base du développement personnel, de la participation et de la capacité d’organisation et d’appui ou de soutien mutuel au groupe. L’empowerment psychologique est donc « nécessaire mais insuffisant pour l’accomplissement de transformations et de changements de niveau social ou collectif [13] », car celui-ci n’est envisagé qu’au niveau individuel.
Il peut, selon Rappaport [14], devenir un objectif implicite, en s’appuyant sur des composantes essentielles que sont la participation, la compétence, l’estime de soi et la conscience critique (conscience individuelle, collective, sociale et politique).Un processus proactif peut ainsi être engagé lorsque ces quatre composantes sont en interaction [15].
Dans un sens plus large, la Banque mondiale (BM) envisage l’empowerment comme « un accroissement de la liberté de choix et d’action » soit « l’augmentation de l’autorité et du contrôle d’une personne sur les ressources et les décisions qui affectent sa vie [16] ». Sur cette base, la BM précise : « Les choix des personnes pauvres sont extrêmement limités, tant par leur manque d’avoirs que par leur impuissance à négocier de meilleures conditions pour eux-mêmes avec une série d’institutions, formelles ou non. Ainsi, dès lors que l’impuissance est ancrée dans la nature des relations institutionnelles, dans un contexte de réduction de la pauvreté une définition institutionnelle de l’empowerment est appropriée. (…) [Dans un tel contexte], l’Empowerment relève, pour les personnes pauvres, de l’accroissement des avoirs et des aptitudes à participer, négocier, influencer, contrôler et avoir de l’emprise sur les institutions responsables d’une incidence
sur leur vie.
Le défi est dés lors d’identifier les éléments clés de l’empowerment qui réapparaisse à maintes reprises au travers de contextes sociaux, institutionnels et politiques.
[…] les stratégies d’empowerment […] partage souvent quatre éléments :
– L’accès à l’information
– L’inclusion et la participation
– La responsabilité
– La capacité organisationelle locale [17] ».
Ainsi, dans une perspective politique, l’empowerment est « un processus par lequel des groupes privés de leurs droits oeuvrent pour changer des politiques et des structures oppressives et répondre à leurs besoins [18] » ou, en d’autres termes, « (…) le résultat qui permet de changer les structures actuelles et les relations de pouvoir entre les diverses instances, les intervenants et les individus [19]. L’expérience a démontré que les programmes qui associent la population à leur gestion ont souvent mieux réussi que d’autres [20] », ce qui peut amener également à se pencher sur la notion d’autogestion.
Toutefois, sur ce plan en particulier, il est important de souligner que la notion d’empowerment est investie et reprise par différents courants, y compris certains ayant des visions opposées : des minorités discriminées (femmes, personnes de couleur…) aux courants conservateurs, jusqu’à ladite « 3ème voie » [21]. Ainsi, comme le précise Marie-Hélène Bacqué, la notion a voyagé du Sud vers le Nord et sous l’effet de l’institutionnalisation (sa reprise au sein de grandes institutions comme la Banque mondiale ou l’ONU), elle a perdu de sa dimension radicale. Pis, depuis les milieux libéraux (et notamment dans la foulée de l’ouvrage de Peter L. Berger & Richard John Neuhaus [22], largement repris par les think tanks conservateurs états-uniens), la notion est utilisée pour justifier les politiques de laissez faire auprès des populations les plus démunies, au motif qu’elles sont à mêmes de développer seules des stratégies d’empowerment...
Finalement, quelle que soit les stratégies développées, le succès de l’empowerment peut dépendre de plusieurs dimensions, dont celles liées à la création de synergies, à la circulation de l’information, l’accès aux ressources et le développement et l’exercice de la créativité [23].
Historique de la définition et de sa diffusion
Selon le CESAF, « Plusieurs événements sociaux et politiques ont conduit à la notion contemporaine de l’empowerment », parmi lesquels le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les années 1960 et les travaux de Saul Alinsky (1909 – 1972), mais aussi « la nécessité d’intégrer les facteurs environnementaux à l’analyse des problèmes de santé mentale ainsi qu’aux interventions des psychologues » et l’introduction quelques années plus tard de la perspective écologique [24].
Marina Miollany précise : « À l’origine, le terme empowerment a d’abord été employé pour des projets qui se focalisaient sur l’intégration des femmes dans le développement de leur communauté. Aujourd’hui, il peut être appliqué « à tous les membres de groupes vulnérables, opprimés et privés de leurs droits sociaux ». La notion est souvent utilisée par les gouvernements, les ONG ou d’autres organisations qui sont à l’origine du lancement du processus. Dans le contexte des projets de lutte contre la pauvreté, l’objectif est de « permettre aux personnes vivant dans des conditions de pauvreté de sortir durablement de cette condition en réduisant leur vulnérabilité sur les plans social, économique, politique et psychologique ». Ce concept est maintenant inséparable de la notion de développement durable, car dans les deux cas, on favorise la participation de toutes les populations […] Aujourd’hui, le processus d’empowerment se trouve de plus en plus au cœur des projets de développement. Il répond à la nécessité d’insister sur la participation active des bénéficiaires des projets dans les pays du Sud, aspect qui n’était pas forcément pris en compte il y a quelques années. D’autre part, le processus concerne aussi les pays du Nord, dans lesquels on a assisté à une augmentation significative des groupes défavorisés depuis déjà plusieurs années [25] ».
Il est intéressant de noter que cette notion semble connaître aujourd’hui une diffusion accrue dans un contexte où solidarités et engagements collectifs se délitent au profit de l’individuation des rapports sociaux, alors qu’elle se traduit paradoxalement par un retour du politique et du sens collectif (prise de conscience) par l’individu. Autrement dit, Empowerment renvoie à la réappropriation du politique et à la prise d’initiatives dans un contexte où paradoxalement, on évoque à la fois le potentiel de la participation dans le système démocratique et le désenchantement (relatif) face aux modes traditionnels d’expression du politique.
Utilisations et citations
« Au diable la charité, la seule chose que vous obtiendrez c’est ce que vous êtes assez fort pour obtenir » - Saul Alinsky
« Se laver les mains du conflit entre les puissants et ceux qui le sont moins, c’est se ranger du côté des puissants, et non être neutre » - Paulo Freire
« Le pouvoir ne concède rien sans demande » - Frederick Douglass
« Nous devons faire ce dont nous nous croyons incapables » - Eleanor Roosevelt [26]
« (…) empowerment signifie la restauration pour des individus du sens de leur valeur et de leur force ainsi que de leur capacité propre à faire face aux problèmes de la vie [27] »
« Le terme Empowerment possède différentes significations suivant les contextes socioculturels et politiques, et il ne se traduit pas facilement dans toutes les langues. Une observation des termes associés à l’empowerment tout autour du monde ramène toujours à de vives discussions. Ces termes incluent la force personnelle, le contrôle, la régénération, l’autonomie, le choix personnel, la vie ou la dignité en accord avec ses valeurs, la capacité à se battre pour ses droits, l’indépendance, la prise de décision autonome, le fait d’être libre, l’éveil et l’aptitude – pour n’en mentionner que certains. Ces définitions sont imbriquées dans les systèmes locaux de croyances et de valeurs [28] ».
Ainsi, il est intéressant de noter que la notion renvoie en anglais et en castillan au pouvoir ou à la puissance personnelle ou du groupe, alors que certaines adaptations en français oscillent entre les termes de capacitation, de mise en capacité [29], de réappropriation citoyenne du pouvoir, de pouvoir d’agir, de citoyenneté entreprenante [30], d’autonomisation, jusqu’à une traduction littérale : empouvoirement.
Sur un plan collectif, certains auteurs parlent d’empowerment communautaire dans le côté structurant dont celui-ci relève pour les organisations et la promotion du leadership, et ce grâce au développement d’attitudes et de valeurs, ou l’acquisition d’un « sens communautaire ». « L’un des objectifs de l’empowerment communautaire est, dés lors, de rendre la communauté capable d’analyser sa situation, de définir ses problèmes et de les résoudre », par l’exercice de la pleine jouissance de ses droits. [31].
Ainsi, le terme est « utilisé par les féministes africaines pour définir une stratégie d’action se traduisant par des actions concrètes qui visent à déconstruire les schémas de pensée et à transformer le modèle économique dominant. [32] ».
L’évaluation de l’empowerment : le triangle de l’empowerment
« [...] Dès lors qu’une personne commence une action, le processus est lancé. Cependant, l’empowerment d’un groupe d’individus aura probablement un impact plus important car la formation d’un groupe ou d’une association est un moyen d’expression de besoins communs, de telle façon qu’ils ne peuvent être ignorés. Il est alors important de relier les effets des projets au niveau local (ou de l’individu) et au niveau global (de la communauté). Il est aussi important de souligner que les objectifs fixés au niveau local et global ne sont pas identiques. Il est donc difficile de se baser sur l’achèvement de l’objectif global du projet pour tenter de déterminer son impact, comme c’est souvent le cas dans l’évaluation de projets.
Ainsi, nous pouvons dire qu’à la fois l’auto-organisation et l’organisation d’un groupe cible est un facteur d’avancement du processus d’empowerment. Cependant, nous verrons […] que d’autres facteurs sont à prendre en compte.
[...] Une étude de Rogier van ‘t Rood démontre que : « si l’auto-organisation est un indicateur d’empowerment, alors, nous rencontrons maintenant le problème que les organisations criminelles, terroristes ou toutes autres organisations menant des actions violentes sont elles aussi auto-organisées ». Ainsi, Rogier van ‘t Rood précise que pour évaluer correctement l’impact de projet d’empowerment et pour exclure ce type d’organisation, il est indispensable d’ajouter que l’auto-organisation du groupe (ou de l’individu) doit contribuer à l’achèvement de ses objectifs de façon :
– Attentionnée : l’individu doit porter une attention particulière à son travail (volontaire ou non)
– Responsable : l’individu doit être responsable de ses actes, faire preuve de motivation, accomplir ses devoirs et obligations…
– Sécurisée : l’individu doit atteindre ses objectifs en créant un environnement social sûr et stable dans sa façon d’user de son pouvoir/rôle, de communiquer avec les autres membres…
[…] Le Triangle de l’Empowerment est un outil d’évaluation mis en place par le cabinet-conseil International Educational Services (IES) . Cet outil a comme objectif de faciliter l’évaluation de processus d’empowerment. Il prend en compte à la fois les objectifs à accomplir, ainsi que les « valeurs » avec lesquelles les objectifs doivent être atteints […]. Cet outil a une autre spécificité : il est normalement utilisé et développé pour chaque projet, en collaboration avec les participants. Il s’agit donc d’une méthode d’évaluation participative. […] Le processus d’empowerment peut donc être représenté par un triangle, composé de trois piliers. Ces trois piliers se définissent comme étant les mains, la tête et le cœur du processus. Ils correspondent à trois questions :
1. Quoi ? Quelles sont les activités auxquelles l’individu va porter attention ? Décrire les activités, les tâches à accomplir…
2. Pourquoi ? Quel est le but des activités dont il va être responsable ? Identifier tous les objectifs, évaluer toutes les responsabilités, les valeurs, convictions, droits, devoirs, motivations, obligations…
3. Comment ? Comment l’individu va-t-il mettre en place ces activités tout en contribuant à un environnement stable ? Identifier les moyens de communication, les ressources à utiliser, les méthodes, les procédures à suivre… [33] ».