Spoliation et résistance en Inde et au Mexique

Introduction

, par BASTIAN DUARTE Angela Ixkic, JAIRATH Vasundhara

Alpuyeca : Lutte contre l’entreprise minière canadienne.
Photo : Eneas De Troya, mars 2013

Ce dossier est le fruit d’une expérience de recherche et de documentation collaborative transfrontalière et transversale aux différents contextes des pays du Sud. Il réunit des universitaires, des chercheurs et chercheuses, des étudiant.e.s, des militant.e.s et des journalistes qui enquêtent sur les multiples facettes et aspects de la spoliation née de l’impératif de développement, dans deux contrées aux antipodes mais qui occupent la même place dans l’économie politique mondiale. Ce dossier rassemble des personnes issues de milieux différents, qui parlent des langues différentes, baignent dans des cultures littéraires différentes et sont habituées à des styles d’écriture différents. Cette expérience a été des plus enrichissantes, tout en apportant son lot de défis. Nous espérons qu’elle fera boule de neige et mènera à la création de passerelles et à l’établissement de dialogues entre les différents pays du Sud. La mise en parallèle des expériences indiennes et mexicaines permet de les analyser sous des angles nouveaux et de faire émerger des problématiques inédites, qui nous amèneront à méditer sur notre propre réalité. C’est aussi l’occasion de réfléchir, ensemble, à nos préoccupations communes.

Ce dossier est constitué de quinze articles traitant de la spoliation et de la résistance en Inde et au Mexique, qui abordent d’une part les mécanismes, structures et cadres politiques de la spoliation, le plus souvent (mais pas toujours) sous forme de délogement, et d’autre part les stratégies de résistance face à ces processus. Les articles se concentrent sur la spoliation des terres et tentent d’abord de déterminer le cadre institutionnel instauré par l’État pour faciliter ce processus. Après avoir fait la lumière sur les politiques d’État et les procédures y afférentes, autrement dit les textes de loi, le dossier passera en revue une série d’études de cas en Inde et au Mexique pour comprendre comment ces textes sont mis en pratique sur le terrain. Ces études de cas sont représentatives de la diversité des situations et ciblent des projets du secteur public, des initiatives privées, des acquisitions de terres pour raisons défensives et destinées aux forces armées de l’État, des accaparements commis par des groupes armés non-étatiques, et des spoliations sans expulsion physique des terres sous forme de perte du contrôle des processus productifs. Le dossier s’intéresse aussi aux cas où la résistance à une tentative de spoliation a porté ses fruits, afin de comprendre quand et comment de tels projets peuvent être enrayés par la force de la mobilisation populaire. Enfin, nous nous appuierons sur ces exemples pour brosser les grandes lignes des structures de spoliation et de résistance en Inde et au Mexique. Nous aborderons aussi une tendance de plus en plus inquiétante à l’échelle du globe : la criminalisation de la résistance dans le contexte des mouvements sociaux anti-spoliation.

Cette analyse nous permettra d’identifier des points de convergence, des similitudes, mais aussi des particularités dans les formes que prend la spoliation en Inde et au Mexique. On constate ainsi que dans les deux cas, l’État joue un rôle majeur en autorisant et en encourageant l’afflux de capitaux privés dans différents secteurs, y compris stratégiques et traditionnellement étatiques ; que la corruption et l’impunité qui règnent chez les acteurs étatiques et les institutions gouvernementales ont contribué à faciliter le processus de spoliation des terres des peuples. Il convient de souligner que la criminalisation de la résistance (légale et illégale) s’est intensifiée : des militants écologistes sont persécutés, emprisonnés, voire assassinés dans ces deux pays. Quant aux particularités, signalons par exemple que malgré une violence commune aux deux pays, la présence du crime organisé au Mexique se fait particulièrement sentir, notamment depuis dix ans. Ces cartels organisés sont intimement liés aux projets de développement et sont souvent la facette la plus visible de la spoliation et de l’accaparement des terres, même s’il est difficile d’obtenir des chiffres fiables eu égard à la nature du problème. Ainsi, tandis qu’en Inde les expulsions motivées par le développement présentent un visage plus direct et concret, c’est le crime organisé qui, au Mexique, fait office d’arbitre, d’où un cocktail explosif de violence, de capitalisme et de pouvoir étatique. Par ailleurs, les mouvements de résistance ont également leurs spécificités, dans la mesure où leur vision culturelle du monde et leur trajectoire historique particulière influencent la manière dont les communautés expriment leur opposition et, dans certains cas, recherchent des alternatives.

Ce dossier est le fruit d’un projet collectif, qui a vu le jour grâce aux contributions diverses et précieuses de nombreuses personnes. Nous tenons à remercier les auteur.e.s qui ont contribué à l’étude d’une pluralité de cas dans les deux pays. Sans l’aide indispensable des traducteurs et traductrices au Mexique (Belinda Cornejo Duckles, Manuela Arancibia Macleod et Julio Pisanty-Alatorre), cette entreprise aurait été insurmontable. Enfin, la contribution d’Apoorva Gautam à la révision des articles s’est avérée cruciale pour la finalisation du projet. Nous sommes profondément reconnaissant.e.s envers toutes les personnes ayant participé à ce projet collectif.

Commentaires

Angela Ixkic Bastian Duarte – Enseignante-chercheuse à l’Universidad Autónoma del Estado de Morelos (UAEM). Elle travaille sur les questions de genre, d’appartenance ethnique et d’environnement.

Vasundhara Jairath – Professeure adjointe au département de lettres et sciences humaines et sociales de l’Indian Institute of Technology de Guwahati, dans l’État d’Assam. Elle travaille sur les mouvements sociaux, le développement, les déplacements de personnes et la vie politique indigène.