Finance et communs. Pour une réappropriation collective de la finance

Sommaire du dossier

Le projet d’une « monnaie pleine »

, par SERVET Jean-Michel

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Le projet d’une Monnaie pleine [1] propose de séparer la gestion de la monnaie pour les paiements de celle de l’offre de crédit. Cette revendication s’oppose à l’actuelle création monétaire entre les mains des banques commerciales, à travers le processus devenu dominant d’émission monétaire par le crédit (voir l’article de Denis Dupré sur la monnaie-dette dans ce même numéro). La monnaie pour les paiements serait « pleine » au sens où les dépôts faits par la clientèle des banques de ce secteur y seraient totalement garantis et où les établissements proposant des prêts à leur clientèle le feraient sur la base de l’épargne dont elles seraient dépositaires. En somme, les banques commerciales se verraient interdites de prêter librement plus que ce qu’elles détiennent à leur actif.

Il ne s’agit pas d’émettre ce qui serait une nouvelle monnaie alternative (comme c’est le cas pour les bons de paiement tels que les monnaies locales complémentaires [2] qui sont obtenues par change contre l’euro et autres monnaies nationales ou fédérales). Dans un espace national ou fédéral circonscrit, la Monnaie pleine est une nouvelle façon de gérer l’émission et l’utilisation d’une monnaie. Formellement, cette dernière ne change pas. En regardant une monnaie, on ne voit pas s’il s’agit d’une monnaie née essentiellement du crédit ou d’une Monnaie pleine c’est-à-dire gagée (autrement dit, une monnaie dont la valeur est garantie par un dépôt de même montant à la banque). C’est le fonctionnement des institutions la gérant qui est transformé ; et, u-delà, celui de l’ensemble du système financier et monétaire. Ainsi, une application de la Monnaie pleine dépasserait le niveau des communautés locales promouvant un éco-développement. La proposition d’une Monnaie pleine doit se situer à l’échelon macroéconomique : celui de l’espace politique et économique dans lequel une monnaie jouit d’un statut supérieur en ayant un cours légal.

La proposition d’une Monnaie pleine n’implique pas nécessairement un « monopole » d’émission de la monnaie par la Banque centrale ; c’est un mécanisme de mise sous contrôle de la masse monétaire ou, plus exactement, un encadrement de la création monétaire par la puissance publique ou via une commission représentant les diverses parties prenantes de l’économie, de la finance et de la société (l’enjeu étant, bien sûr, de savoir qui devrait faire partie d’une telle commission et leurs modalités de participation). En cela, sa finalité peut différer en s’inscrivant dans des courants à visions antinomiques de la finance, de l’économie et plus généralement de la société. On peut en distinguer trois. S’opposent :

  • une volonté de laisser les seules lois du marché fonctionner ;
  • ou au contraire de promouvoir un contrôle de la création monétaire qui est :
     soit étatique (seconde variante),
     soit citoyenne (troisième variante). Et, dans ce dernier cas, de (re)faire de la monnaie non seulement un bien public mais un commun [3]] à un niveau global.

Dans le premier cas, la vision et la visée sont celles d’une monnaie marchandise dont aucun acteur (public ou privé) ne devrait avoir le pouvoir d’accroître le stock. Dans le deuxième cas, ce sont celles d’une monnaie essentiellement étatique en raison de son administration par la puissance publique. [4] Dans le troisième cas, la proposition s’inscrit dans une volonté de faire gérer démocratiquement, en tant que commun, la masse monétaire par l’ensemble de ses parties prenantes. C’est ce troisième cas qui sera surtout abordé ici du fait de son caractère novateur.

On peut remarquer que, quel que soit l’arrière-plan idéologique que l’on vient de relever, la proposition vise à empêcher l’accroissement de la surliquidité des systèmes monétaires et financiers, c’est-à-dire à éviter qu’il y ait trop de monnaie en circulation car cela alimente la spéculation financière. Toutefois, seule, elle apparaît incapable d’éviter ce trop-plein de monnaie en circulation. La mesure Monnaie pleine devrait donc être accompagnée de nombre d’autres interventions situées à des niveaux globaux : par exemple la taxation des revenus et des patrimoines, la création de stocks régulateurs de matières premières, l’interdiction des crypto-actifs spéculatifs tels que le bitcoin [5] et, à des échelons locaux ainsi que sur la base de réseaux, l’essor de divers types de monnaies complémentaires se substituant aux monnaies centrales et créant une dynamique de satisfaction des besoins collectifs et privés. Avec le même objectif, l’émission de monnaies fiscales [6] nationales ou fédérales peut aussi y contribuer, si elle se fait parallèlement à la résolution des dettes publiques et ne se limite pas à les transformer perpétuellement en de nouvelles dettes.

Le projet d’une Monnaie pleine, en particulier dans sa dimension de commun, est aujourd’hui largement consécutif à la crise de 2008 avec une coloration d’un « plus jamais ça ! ». Mais il n’est pas nouveau : il apparaît avec la proposition de David Hume en 1752 d’une équivalence entre les dépôts de métal précieux dans une banque et la quantité de billets qu’elle émet, et il a resurgi ensuite sous des modalités diverses. [7] Durant la crise des années 1930, la proposition d’une Monnaie pleine est apparue aux États-Unis sous l’appellation « 100 % Monnaie » et « Chicago Plan » [8], avec des débats sur les contreparties exigées pour la création monétaire. En 1933, le Glass-Steagall Act ou Banking Act adopté à l’initiative du président Roosevelt a séparé les banques dites de dépôt (ou banques commerciales) des banques d’affaires (en charge des investissements et des placements). Le succès de la mesure a rapidement et largement fait oublier le projet de Monnaie pleine (en dehors de la communauté des historiens de la pensée économique et financière).

Ainsi, aujourd’hui, les projets de Monnaie pleine et les débats les accompagnant n’ont rien de totalement nouveau. Étant donné la notoriété de certain·es économistes qui l’ont soutenue depuis les années 1930, on peut difficilement prétendre qu’elle est promue par des ignorant·es de ce qui serait « les lois de l’économie » ou dans l’intention jugée coupable de bureaucratiser le crédit. La proposition d’une Monnaie pleine a resurgi aujourd’hui, enrichie des différentes transformations qu’ont subies la monnaie et la finance au cours du siècle écoulé. [9] Ces transformations, loin de la rendre caduque, lui donnent une actualité et une pertinence nouvelles, pour autant qu’elle soit adaptée et qu’on ne la déconsidère pas en confrontant les propositions pratiques et théoriques d’il y a cinquante ou cent ans au fonctionnement actuel des systèmes financiers. Il convient de la penser et repenser aujourd’hui avec les instruments monétaires actuels, tant pour l’appliquer que pour imaginer les risques de contournement que ces outils permettent.

Après la crise de 2008, on a assisté à un intérêt pour une proposition de Monnaie pleine dans divers pays ; notamment au Royaume-Uni, en Islande et en Suisse. Mais cette résurgence a rapidement été suivie d’un essoufflement, avec l’échec des initiatives les plus en vue, comme celle en Suisse. Le parlement en Islande avait diffusé un rapport favorable à cette mesure [10] mais aucune loi n’a ensuite entériné une réorganisation de son système financier durement touché par la crise de 2008. On peut relever comme étant un succès le fait que le Parlement britannique ait ouvert un débat sur la proposition, tout en déplorant qu’un grand nombre de député·es aient été alors absent·es. [11]

L’exemple de la votation Wolgeld en Suisse

Entre 2016 et 2018, la Suisse est le pays où la proposition de Monnaie pleine a eu l’écho le plus fort dans le débat public, avec une partie de la société civile mobilisée en sa faveur. Elle a été portée par l’association MoMo, « Modernisation Monétaire », fondée en 2011 avec pour but d’interdire aux banques de créer la monnaie par le crédit. Soumise à référendum, cette « initiative » n’a pas abouti, les électeur·rices l’ayant rejeté le 10 juin 2018 à la majorité des trois-quarts. Son adoption aurait séparé les activités financières et monétaires liées au paiement et au transfert, de celles pouvant, à travers le crédit, alimenter les spéculations financières. Les institutions auraient été divisées en deux types d’entités :

  • Les unes géreraient les comptes bancaires et les fonds des ménages, des orga-nisations et des entreprises. En l’absence de malversations financières ou de contournement de la réglementation, ces dépôts auraient été sans risques pour ces personnes et entreprises ;
  • Les autres institutions financières auraient reçu des fonds à fins de placements porteurs eux d’intérêts en s’approvisionnant sur les marchés internationaux et en bénéficiant de crédits d’autres établissements financiers nationaux. Spéculer et rémunérer son épargne seraient donc restés possibles. Mais, contrairement aux comptes bancaires de la première catégorie, cela aurait été totalement aux risques et périls des détenteurs des fonds. Et la masse financière concernée aurait été limitée par ce lien entre crédits accordés par une banque et les fonds dont elle dispose pour prêter.

Sans un contrôle bureaucratique pesant et coûteux, réussir à réunir et à cloisonner au sein d’une même institution bancaire les deux types d’activités liées au paiement d’une part et au crédit de l’autre est impossible. Car on peut imaginer que les banques à caractère universel (dites aussi des « banques à tout faire » c’est-à-dire pouvant exercer, directement ou indirectement via des filiales, toutes les opérations propres au champ bancaire et financier) sauraient transgresser la séparation entre les opérations liées aux paiements et au crédit. Elles trouveraient comment transférer des fonds du secteur de gestion des comptes privés au secteur d’investissement et de placements à risques, tout en répondant formellement à la distinction entre les deux types d’activités.

Les objectifs en gageant la monnaie, c’est-à-dire en apportant la garantie que tout titulaire d’un compte bancaire pourra à tout moment récupérer l’intégralité de son avoir puisque la banque détiendra en dépôt sa contrepartie, sont multiples : permettre des dépôts totalement sans risques pour celles et ceux qui le désirent ; cantonner le financement de l’économie spéculative ; et, surtout, soutenir le développement de l’économie réelle et permettre la satisfaction de certains besoins. Il s’agit donc de lutter contre l’hyper développement de la sphère financière par rapport aux activités économiques que l’on peut qualifier, par opposition, comme appartenant à la sphère « réelle ». Mais la proposition ne s’arrête pas là, puisqu’elle s’inscrit aussi dans une volonté de démocratiser la gestion de la monnaie, en lui redonnant sa dimension de commun.

Répondre aux arguments des opposant·es à la Monnaie pleine

Un argument souvent entendu parmi les opposant·es au projet de Monnaie pleine est que le pays qui l’adopterait en premier serait seul à le mettre en place. C’est incontestable. Toutefois, si chaque pays devait attendre qu’un autre s’engage dans une réforme pour l’entreprendre, il deviendrait impossible d’innover. L’esclavage aurait-il été aboli si cet argument avait prévalu au XIXe siècle face à ceux qui affirmaient que son abolition serait une atteinte au droit légitime de propriété et provoquerait une sévère pénurie de sucre, de café et de coton préjudiciable à leurs consommateur·rices et aux économies... ? Pour contrer cet argument, on peut imaginer la pertinence de ne pas promouvoir la Monnaie pleine seulement à des échelons nationaux, mais de le faire aussi à partir d’instances européennes et internationales de régulation monétaire et financière, comme la Banque des règlements internationaux ou le Fonds monétaire international ; comme c’est le cas pour la lutte contre les paradis fiscaux et contre les optimisations fiscales.

Les opposant·es à cette réforme monétaire défendent avant tout ce qu’ils et elles croient être la stabilité du système actuel ; un élément de leur conception de l’efficience de l’ensemble des marchés (via la monnaie). L’existence de banques universelles aux bilans importants et où les risques se compensent donnerait, selon eux, confiance aux acteurs économiques et financiers. Un argument massue pour discréditer la proposition d’une Monnaie pleine consiste donc à soutenir qu’elle serait insuffisante pour assurer la confiance des acteurs économiques et financiers et atteindre l’objectif de stabilité, en particulier celle des prix. Pourtant, contrairement aux discours entendus dans la période antérieure à 2007, les tenant·es de cette posture reconnaissent qu’une nouvelle crise financière est possible et que la concentration financière peut accroître les risques systémiques. Mais ils et elles se veulent rassurant·es en affirmant que beaucoup a déjà été fait, la preuve étant que la plupart des responsables de banques se plaignent des contraintes qui leur ont été imposées après la crise dite « des subprimes » née de prêts hypothécaires à haut risque.

Il est tendancieux d’affirmer que le système monétaire et financier est performant parce qu’il aurait permis de juguler les hausses de prix, alors que les indices les calculant n’intègrent pas l’accroissement par saccades des prix et des cours des actifs spéculatifs, ce qui conduit à leur survalorisation sur et par leurs marchés. Il n’y a donc pas actuellement de stabilité de l’ensemble des prix. Or rien n’est proposé par les opposant·es à la Monnaie pleine pour faire face au danger de l’excès de masse monétaire en circulation, qui alimente les jeux spéculatifs ; donc au danger d’un accroissement des inégalités sociales. Cet excès de monnaie en circulation, qui naît d’une explosion des dettes publiques et surtout privées, est bien à l’origine de l’accroissement considérable des valeurs boursières, du cours de certaines devises et des prix de l’immobilier. Instituer une Monnaie pleine pourrait être un contre-feu à cette explosion tant des dettes que des spéculations.

Certes, il est illusoire d’imaginer que le succès d’une initiative pour la Monnaie pleine serait, à elle seule, une recette miraculeuse permettant d’établir une « stabilité financière » au sens le plus étroit de l’expression. Mais avec l’argument d’insuffisance d’une mesure, prise une à une, toute proposition devient en quelque sorte inefficace et de ce fait inutile. On peut déconsidérer ainsi la taxation des transferts financiers spéculatifs, la lutte contre l’évasion fiscale, la création de monnaies complémentaires locales, le crédit inter-entreprises, l’émission de monnaies fiscales nationales ou régionales... car aucune de ces propositions, ne peut agir à elle seule comme une « baguette magique ». Chacune peut tout au plus indiquer une direction nouvelle à prendre et affirmer une volonté de changement qui, en agissant à des niveaux différents et de façon coordonnée, devrait devenir glocal. [12]

De la monnaie bien public à la monnaie bien commun

Si une commission représentant les divers acteurs sociaux et économiques était mise en place auprès de la Banque centrale [13], celle-ci ouvrirait des possibilités de crédit (avec la création monétaire que cela suppose) selon les indicateurs généraux qu’elle déterminerait en fonction des besoins économiques et sociaux du pays et de choix politiques en les hiérarchisant. Ces possibilités de financement excédentaires par rapport à l’épargne disponible pourraient être ouvertes grâce à des autorisations ciblées par type de prêts ; ce qui permettrait de répondre aux craintes exprimées notamment par les post-keynésiens d’un blocage de l’économie par insuffisance de financement.

La mesure Monnaie pleine est aussi à même de réduire les déficits budgétaires publics couverts jusque-là par des emprunts sur les marchés financiers ; un mécanisme de financement qui accroît le volume de titres disponibles pour l’économie spéculative. À partir du moment où une commission auprès de la Banque centrale non seulement autoriserait les banques privées à élargir leurs crédits au-delà des ressources collectées mais permettrait au gouvernement de financer une partie de ses dépenses par injection monétaire supplémentaire, certaines mesures pourraient être réalisées sans emprunts publics ; par exemple, pour un revenu universel d’existence ou pour un soutien aux ménages et aux entreprises à des investissements bas carbone. Un ciblage de ces dépenses à travers leur financement public permet d’anticiper leur effet multiplicateur plus ou moins important dans le circuit économique et de garantir le surcroît de monnaie créée par la richesse induite. Ce ciblage et ses effets peuvent être légitimés en les comparant aux milliards de dollars injectés à travers le monde, notamment via le quantitative easing [14], cette mesure exceptionnelle et temporaire de rachat de titres financiers par les Banques centrales développée depuis la crise de 2008 dont les banques ont largement bénéficié après la crise. Ou encore, avec le « quoiqu’il en coûte » consécutif à la crise Covid ; un saut dans l’inconnu qui a accru l’endettement public (voir, à ce sujet, l’article de Nicolas Dufrêne sur la dette publique et la dette Covid). Avec la modalité Monnaie pleine, la distribution épisodique de fonds suggérée par un économiste néolibéral comme Milton Friedman [15] deviendrait une distribution de pouvoir d’achat pour chaque citoyen·ne avec pour but un bien-être général ; mais en finançant des actions orientées par exemple pour réduire l’empreinte écologique des activités humaines, en faveur d’un développement localisé ou de meilleures santé, éducation et sécurité.

On voit ici comment économie publique et gestion d’un commun – en l’occurrence, la monnaie – peuvent s’articuler pour augmenter le bien-être collectif et individuel. La composition de la commission chargée d’autoriser la création monétaire additionnelle joue ici un rôle crucial ; et le caractère de « commun » de la Monnaie pleine dépendra donc en grande partie de comment et par qui ses membres sont désigné·es.

Conclusion : agir et penser glocal

Aujourd’hui, l’objectif soutenu par la majorité des personnes qui appuient la proposition d’une Monnaie pleine est :

  • de limiter la croissance de la quantité de monnaie en circulation car elle sert principalement à alimenter l’économie spéculative et ne finance pas les besoins réels du plus grand nombre ;
  • d’orienter le financement de l’économie, notamment vers la transition écolo-gique, en ciblant des projets à financer par des prêts directement accordés par les Banques centrales.

La proposition est donc totalement en phase avec d’autres projets visant eux à injecter de l’argent à des niveaux locaux, tels que [16] :

  • les systèmes de monnaies complémentaires sociales comme le Léman de Genève en francs suisses, la Gonette à Lyon et l’Eusko du pays basque en euros, etc. ; les associations telles que les SEL (systèmes d’échange local), dont l’unité de compte est totalement autonome de la monnaie nationale circulant par ailleurs et où l’entraide entre les membres joue un rôle essentiel dans l’acquisition et la cession de biens ou services ; ou encore, les « banques du temps » ou les « accorderies » [17] (un système d’échanges de services entre personnes avec comme monnaie d’échange : le temps) ;
  • les systèmes de crédit mutuel inter-entreprises (type WIR fonctionnant depuis 1936 en Suisse [18] ou le Sardex en Sardaigne depuis 2010 [19] par les avances que se font les unes les autres grâce à la mise en place d’un réseau financier de petites et moyennes entreprises appartenant au même territoire).

La nouveauté dans ces divers projets est leur gestion par des « parties prenantes », faisant de la monnaie un commun. Pour les monnaies locales complémentaires, il s’agit dans la plupart des cas d’un petit groupe de personnes ayant initié le projet, des représentant·es des prestataires de biens et services, des usager·es et consommateur·rices d’une structure bancaire recevant les fonds mis en dépôt et éventuellement des élu·es locales·aux de la commune ou de la région. On le voit, il n’y a rien de bureaucratique dans le nouveau processus proposé de délibération visant à rechercher le consensus entre les différents enjeux et intérêts particuliers et de groupes. De la même façon, pour une Monnaie pleine, tout dépendra/dépendrait de la composition de la commission représentant les parties prenantes, en charge d’autoriser les dépassements de crédit et de son autonomie réelle par rapport aux intérêts dominant le monde financier.

Notes

[1Ce texte reprend un certain nombre d’arguments présentés dans « L’interdiction de création de la monnaie par les crédits bancaires. Objet d’un prochain vote en Suisse ». Archives ouvertes. Fr, juin 2018, [https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01800528]. Ils seront développés dans un chapitre d’un livre à paraître chez Classiques Garnier en 2022 sous le titre Metadosis La monnaie comme commun. Je remercie André Tiran et Caroline Weill pour leurs nombreuses suggestions visant à clarifier un certain nombre d’arguments.

[2Pour saisir la diversité des exemples de monnaies complémentaires sociales, voir notamment parmi une abondante littérature les publications de Jérôme Blanc en particulier : Les monnaies alternatives, Paris, La Découverte 2018 et Politiques territoriales de résilience et de transition écologique : la piste des monnaies locales, Paris, Terra Nova, 2020. Ainsi que la synthèse faite par l’Institut Veblen sous le titre Monnaies complémentaires, un nouvel outil au service des territoires [https://www.veblen-institute.org/Monnaies-complementaires-un-nouvel-outil-au-service-des-territoires-3-4.html].

[3La présentation du caractère de commun de la « monnaie » est faite dans Jean-Michel Servet, 2017, « Monnaie », in : Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld (dir.), Dictionnaire des communs, Paris, PUF, p. 805-808. Voir les références bibliographiques indiquées dans : « Institution monétaire et commun(s) », Économie et institutions [Online], 26 | 2017 [URL : http://journals.openedition.org/ei/5922 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ei.5922

[4On peut inclure ici les propositions de la MMT (Modern Monetary Theory) de création monétaire par les États pour financer leurs dépenses. Elles ont été largement médiatisées par les publications par Stephanie A. Kelton, R. Pavlina Tcherneva et L. Randall Wray

[5L’argument est développé par Jean-Paul Delahaye et Jean-Michel Servet dans « Le bitcoin. Une spéculation comme les autres ? », Alternatives économiques, 20 juillet 2021 [https://www.alternatives-economiques.fr/bitcoin-une-speculation-autres/00099433].

[6Voir ci-dessus note 3.

[7On retrouve de nombreux éléments de l’histoire longue de la Monnaie pleine notamment dans : Laurent Le Maux, « Les trous noirs de la monnaie pleine », Revue française d’économie, 2020/2, vol. XXXV p. 51-79

[8Voir récemment traduit et édité par André Tiran et Marc Laudet : Irving Fisher [1935], 100 % monnaie, Paris Classiques Garnier, 2019.

[9Voir en ce sens la thèse de doctorat en sciences économiques d’Augustin Sersiron, 2021, Monnaie et dette. Désencastrer la créaction monétaire du marché du crédit, (soutenue à l’université Paris 1) qui conclut son travail (p. 389-394) par une analyse pleine de sympathie vis-à-vis des propositions d’Irvin Fisher pour une Monnaie 100 % en posant la question de leur actualisation

[10Léo Malherbe, Crises et contestations du pouvoir d’émission monétaire des banques : Le cas islandais, Thèse pour de doctorat de sciences économiques, Université de Bordeaux, 2021.

[11Voir, 25 novembre 2014/ https://www.youtube.com/watch?v=EBSlSUIT-KM

[12Le néologisme « glocal » vient de la contraction de « global » et de « local ». Diffusé à partir des années 1990, il vient du marketing pour exprimer une stratégie des entreprises à la fois mondiale et adaptée aux conditions locales. Ainsi un produit ou un service largement répandu à travers la planète se trouve en fait adapté spécifiquement à chacun des lieux où il est vendu et aux cultures auxquelles il s’adresse, reliant ainsi les échelons locaux et mondiaux alors que les consommateurs pensent que le produit est partout uniforme. On a pu ainsi caractériser les pièces en « euro » avec leur face européenne et l’autre nationale alors que les législations et réglementations peuvent varier d’un pays à l’autre. On trouve déjà cette idée dans un slogan tel que « penser global, agir local » diffusé à partir du premier sommet sur l’environnement en 1972

[13Dans le même sens, Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean ont proposé (voir Une monnaie écologique, Paris, Odile Jacob, 2020 p. 106-107, 256 et les débats qui ont suivi) un « conseil de la création monétaire », ressuscitant ce qu’aurait pu être le Conseil national du crédit de 1946

[14Voir ci-dessus note 4

[15Il en a parlé comme d’un « argent hélicoptère » puisqu’il proposait une distribution pour tous et non ciblée sur tel ou tel type de dépenses, laissant, conformément aux dogmes néolibéraux, au « marché » le rôle essentiel dans l’affectation des ressources

[16Voir ci-dessus note 2

[17Marie Fare, [2017/revu 2021] « Vers des formes renouvelées de citoyenneté ? Un exemple de monnaie associative, l’Accorderie », https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01623327

[18Sur ces caractéristiques principales et son fonctionnement, voir : Guillaume Vallet, « Le WIR en Suisse : la révolte du puissant ? », https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01252497/ 2016.

[19Massimo Amato, 2016, « Sardex, plus qu’une monnaie pour les PME », Alternatives économiques, dossier n°6, 1er mai 2016

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Jean-Michel Servet est professeur honoraire d’études du développement à l’Institut des Hautes Études internationales et du Développement de Genève et chercheur associé à Triangle (CNRS, ENS Lyon, Université Lyon 2).