Finance et communs. Pour une réappropriation collective de la finance

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Comptabiliser ou prendre en compte les biens communs ? Le cas des associations

, par CHARLES Emmanuel

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Dès les débuts de l’histoire humaine, les gouvernants religieux ou politiques des sociétés ont établi une manière de justifier et de réguler ou contrôler « l’acquisition » des richesses et des ressources qui se confond certainement avec l’invention de l’écriture.

Les premiers systèmes comptables remontent à la Renaissance avec l’essor du commerce et de l’exploitation des comptoirs et des futures colonies par les marchands vénitiens dont les activités commerciales couvraient la planète, puis les Portugais et les Espagnols, commençant alors la mise en coupe réglée des ressources et des populations. Au XIX e siècle, ce qu’on appelle « la révolution industrielle » et le capitalisme occidental en plein essor ont transformé les outils comptables en parallèle avec le pillage des biens communs qu’on se gardait bien de comptabiliser. Au milieu du XX e siècle, les plans comptables des pays industrialisés se normalisent et se généralisent, s’adaptant d’abord à la fiscalité puis à la mécanographie et à l’informatique.

Le plan comptable du 1 er janvier 2000, imposant une réglementation comptable spécifique aux associations de loi de 1901, fait enfin entrer dans un plan comptable destiné aux associations la notion de contributions volontaires. Jusque-là, la plupart des associations n’utilisaient que le compte de résultat avec les classes 6 (comptes de charges) et 7 (comptes de produits). Les associations qui voulaient valoriser et faire reconnaître l’aspect non monétaire ou non marchand de leurs ressources et de leurs activités n’avaient aucun moyen de le montrer avec les outils comptables imposés aux entreprises, aucun moyen de le revendiquer dans leurs demandes de subventions. Les contributions volontaires en nature (CVN) introduites dans la nouvelle classe 8 représentent alors une valeur estimable pour les associations dépassant souvent leurs autres ressources financières.

Deux pressions ont amené à ce « nouveau plan comptable » :

  • D’une part les associations du social ou de la solidarité qui, prenant conscience qu’elles n’étaient reconnues que par le total de « vrai argent » au bas de leurs colonnes, ont commencé à valoriser dès les années 1990 pour leurs membres, leurs partenaires et leurs financeurs ce qui jusqu’à présent restait sans importance pour le public et les autorités et ne donnait pas une réelle vision de leur force.
  • D’autre part, l’importance prise par les associations de l’économie sociale et solidaire, de la taille de véritables entreprises, dans l’économie dite réelle du pays avec ses locaux, ses salarié·es, ses bénévoles, ses réponses aux appels d’offre et ses subventions ont mis la puce à l’oreille des services fiscaux car jusque-là, la loi était assez flexible concernant les obligations comptables des associations.

Les contributions volontaires en nature représentent donc l’acte par lequel une personne physique ou morale apporte à l’association des biens ou d’autres services à titre non-rémunéré, attribués en considération du statut désintéressé de l’organisme pour la réalisation d’une œuvre commune.

Il peut s’agir :

  • de contributions en travail : bénévolat, mise à disposition de personnes
  • de contributions en biens : dons en nature, redistribués ou consommés en l’état
  • ou de contributions en services : mise à disposition de locaux ou de matériel, fourniture gratuite de services, prêt à usage.

Ces contributions sont mises en valeur dans les comptes annuels des associations et révèlent la réalité de l’activité et du milieu dans lequel agit l’association :

  • Elles permettent d’abord une prise de conscience interne sur la valeur de l’association. Les membres, réalisant leur force et leurs subsidiarités, développent des stratégies pour agir en découvrant cette valeur, puis en transformant leur/le monde.
  • Ensuite, ces contributions impliquent une revalorisation aux yeux de la société en montrant que l’association ne fait pas que ce que l’on voit. Mais que ce résultat est lié à une histoire, à des ressources, à des partenariats, à des projets...
  • Enfin la reconnaissance de ces contributions donne un accès plus large aux ressources classiques de financement et de subventionnement, les associations démontrant à leurs partenaires institutionnels leur crédibilité et leurs apports propres non-monétaires, ce qui participe de manière souvent importante à leurs ressources. Le nouveau plan comptable associatif, applicable depuis le 1 er janvier 2020, n’apporte pas de nouveauté en tant que telle mais il a surtout pour objectif de définir un texte unique, complet et précis pour harmoniser les pratiques comptables. Il répond à un besoin de transparence et de visibilité quant aux comptes des associations tout en laissant une grande part de liberté et d’appréciation aux associations. Il redéfinit la place des contributions volontaires en nature. Elles ne « doivent plus » obligatoirement apparaître dans la comptabilité sauf si elles sont significatives, valorisables et même justifiables. C’est certainement conçu comme une simplification pour celles, nombreuses, pour qui la comptabilité est une corvée donnée comme un mistigri aux pauvres trésorier·es de service.

Il ne faudrait pas que cette latitude à la simplification des comptes par les associations les amène à masquer de nouveau leur participation aux communs non monétarisés qui est pourtant révélatrice de l’activité, de l’utilité et des ressources du mouvement associatif au service du bien commun.

C’est aussi une volonté de changer le monde dans un vrai mouvement collaboratif non marchand. C’est également une façon de lutter contre la dérive des appels d’offre ou à des projets qui peuvent transformer les associations à bénéficiaires en « usines » à bénéficiaires, rognant sur les coûts et les prestations au détriment de leurs valeurs.

Les associations qui pratiquent la valorisation des contributions volontaires en nature sont, somme toute, des pédagogues d’une alternative comptable mettant les communs comme ressources et outils des transformations.