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Droit d’héritage, droit coutumier : un frein à l’émancipation des femmes en Côte d’Ivoire

, par YAO Pauline

Il existe en Afrique un antagonisme permanent entre deux ordres juridiques différents, le droit coutumier et le droit moderne ou étatique. L’ordre juridique étatique repose sur la législation coloniale et sur divers textes adoptés après l’indépendance. Qu’ils soient antérieurs ou postérieurs à l’indépendance, ces textes véhiculent pour la plupart des valeurs qui sont extérieures voires contraires aux modes de gestion coutumière de la terre, des eaux et de la forêt. Les règles coutumières existent et continuent à s’appliquer encore aujourd’hui. Il en résulte une véritable épreuve de force entre les deux ordres juridiques. Devant la force de la réglementation étatique, les traditions opposent le caractère multiséculaire du droit coutumier sur la terre et les autres ressources.

Pour les femmes rurales, les pesanteurs culturelles, voire les lois coutumières sont discriminatoires. Selon une étude régionale intitulée « Égalité à la maison : Promotion et protection des droit des femmes à l’héritage, enquête sur la loi et la pratique Afrique subsaharienne » et effectuée dans dix pays à travers le continent, la grande majorité des femmes en Afrique subsaharienne, indépendamment de leur état civil, ne peuvent pas posséder ou hériter de la terre, dans leur propre droit en vertu de la loi statutaire et coutumière : elles sont entièrement dépendantes de leur rapport avec un homme. En Afrique, et en Côte d’ivoire en particulier, les questions d’héritage des femmes vont au delà des défis essentiels que constituent la mise sur pied de cadres juridiques nécessaires permettant aux femmes de posséder et d’hériter de la propriété.

Le fait que les femmes ne peuvent généralement pas louer, faire louer, posséder ou hériter la terre et le logement n’est pas simplement le résultat des lois statutaires sexistes ; cela est également dû aux lois coutumières discriminatoires. En effet, dans la plupart des traditions africaines, seul l’homme a le droit d’hériter des parents, selon la tradition la femme est appelée à se marier et à appartenir à une autre famille. Elle ne peut donc pas hériter des terres au risques que celles-ci deviennent les propriétés de son époux. Généralement, dans des familles où il n’y a que des filles, lorsque le père décède, tous les biens de la famille reviennent à ses frères.

L’ignorance au cœur de la reproduction des inégalités

Le droit de la femme à la terre est un droit de l’humanité, c’est la femme qui cultive l’essentiel de la nourriture du ménage et en principe elle devrait avoir un plus grand contrôle sur la terre nourricière, hélas ce n’est pas le cas. L’on constate amèrement que la plupart des femmes qui cultivent les terres ignorent qu’elles y ont droit. Pire, elles vont jusqu’à ignorer qu’elles peuvent revendiquer leur part d’héritage. Dans ces conditions, elles seront toujours spoliées de leurs droits. C’est en somme ce qui explique aujourd’hui, le fait que des millions de femmes rurales dans le monde ont des droits d’occupation des terres, c’est-à-dire des droits de propriété, de contrôle et d’utilisation très limités, du jour au lendemain, l’époux peut arracher la terre pour une raison ou une autre.

Le droit de la femme à la terre et à un logement convenable figure parmi les composantes du droit fondamental inscrit dans de nombreux instruments internationaux, et particulièrement dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Au cours des années 1990, la reconnaissance du droit de la femme à un logement est devenue plus vive et depuis 1996, de nombreux gouvernements ont défini ou révisé leurs politiques de façon à prendre en considération les diverses facettes des droits de la femme.

Des avancées juridiques au niveau international

Il existe de plus en plus de documents internationaux concernant les droits humains sur lesquels les femmes peuvent s’appuyer pour mesurer leurs droits. L’un des plus intéressants et des plus récents est la Résolution 2000/13 intitulée « Égalité des femmes en matière de propriété, d’accès et de contrôle fonciers et égalité du droit à posséder des biens et à un logement convenable » [1]. Adoptée par la Commission des droits de l’Homme lors de sa dernière session, cette résolution marque un progrès important pour les droits des femmes dans la mesure où c’est le premier document international qui établit des liens très clairs entre les droits des femmes en matière de propriété, de logement et d’héritage en reconnaissant les dimensions de genre des droits économiques, sociaux et culturels. Il y a aussi la résolution 1998/15 de la Sous Commission en date du 21 Août 1998, intitulée « Les femmes et le droit à la terre, à la propriété et à un logement convenable ». [2]

Ces normes s’avèrent particulièrement utiles pour les femmes qui vivent en situation de conflit ou dans des États dont la législation interne entrave leur accession à la propriété foncière, à la possession de biens et au logement, dans la mesure où elles leur offrent des outils ou des moyens pour exiger de leurs gouvernements qu’ils respectent leurs obligations juridiques.

Conflit en Côte d’Ivoire : le foncier au cœur de la crise

Les affrontements physiques entre les partis en conflit, le recours fréquent aux tribunaux coutumiers, aux instances administratives voire judiciaires sont révélateurs de situations conflictuelles et de la prégnance des règles coutumières au niveau du statut de la terre et des autres ressources naturelles. Des exemples tirés des récents conflits abondent et sont la résultante de plusieurs phénomènes.

Dans un contexte de démographie galopante, de raréfaction des facteurs de production, les ressources naturelles deviennent un enjeu déterminant dans l’analyse et la compréhension de l’évolution socio-économique du pays et des rapports sociaux de production entre les différentes communautés. La terre, la forêt et l’eau sont donc des variables qui ont connu une mue avec le temps sous les effets des actions des Hommes.

La Côte d’Ivoire est un pays de tradition agricole, où les droits que les villageois exercent sur la brousse, espace de vie, de culture, de chasse et de pêche font référence à une migration originelle qui confère des droits durables. Ce droit séculaire des autochtones ou premiers occupants et le contrôle des ressources qui s’y rattache a connu une évolution avec le temps face à la vague déferlante principalement des migrants venus des pays limitrophes de la Côte d’Ivoire. Aucun secteur d’activités tant en milieu rural qu’urbain n’échappe à cette logique d’attraction.

Les femmes qui sont déjà frappées par les pesanteurs socioculturelles sont très marginalisées dans cette conquête difficile. Elles n’ont même plus la possibilité d’avoir accès à la terre cultivable essentiellement destinée à nourrir la famille, mettre les enfants à l’école et tombent dans une situation de santé précaire, où l’éducation de leur enfant n’a plus sa place. Cela engendre des situations de pauvreté accrue pour elles.

Malgré des avancées juridiques, les femmes n’ont toujours pas accès à la terre

La supra-nationalité des résolutions de l’ONU et le principe de primauté des résolutions et autres textes légaux de l’ONU sur les Constitutions ivoirienne, burkinabée et autres a contraint de nombreux États à également se doter d’une législation qui favorise l’accès et le droit à la propriété des femmes à la terre et à toute autre propriété. Aussi, les droits fonciers et de propriété pour de nombreuses femmes africaines sont-ils prévus dans les constitutions nationales. Mais le triste constat est qu’en milieu rural, il encore très difficile pour une femme de participer aux débats publics autour des sujets sensibles tels que le foncier rural parce qu’elles ne sont pas propriétaires.

Afin d’assurer le respect des droits des femmes à la terre, à la propriété, à l’héritage et au logement, les États devraient :

  • Revoir leurs lois d’une façon intégrée et participative pour s’assurer que toutes les lois protègent convenablement les droits des femmes à la terre et au logement, notamment les droits successifs, et en cas de besoin, adopter de nouvelles lois et de nouvelles politiques en vue d’assurer la réalisation intégrée de ces droits.
  • Concevoir et mettre en application des programmes de sensibilisation et d’éducation élargis sur les droits des femmes à l’égalité et à la non-discrimination. Les États devraient s’assurer que ces programmes traitent des lois et des normes liées aux droits humains, particulièrement le droit au logement adéquat, à la terre et à l’héritage.
  • Concevoir et mettre en application des programmes d’éducation juridique visant particulièrement les femmes dans tous les segments de la société et les secteurs géographiques, notamment les secteurs ruraux, où la sensibilisation aux droits est habituellement minimale. Toutes les femmes devraient être informées non seulement de leurs droits, mais également de la façon de les réclamer et les imposer.
  • Établir des systèmes d’application de la loi, notamment une unité spéciale d’assistance politique et judiciaire, pour s’assurer que les femmes peuvent revendiquer librement leurs droits sans crainte de représailles. Ces mécanismes d’application des lois devraient être généreusement appuyées par des ressources financières et autres ressources nécessaires.
  • Créer des abris pour les femmes dont la propriété a été saisie, et leur apporter l’appui juridique, financier et autre appui nécessaire tant que leurs revendications de propriété sont en suspens. Le but principal devrait être de s’assurer que ces femmes ne se retrouvent pas sans foyer après la saisie de leur logement, de leur terre et de leur propriété.
  • S’assurer que les femmes bénéficient tout comme les hommes de l’accès à toutes les procédures juridiques et de réformes foncières.
  • S’assurer que les systèmes juridiques soient facilement accessibles aux femmes, ce qui nécessite la mise sur pied d’un système administratif non discriminatoire et judiciaire impartial qui protège convenablement les droits des femmes, et d’une assistance judiciaire accessible ou même gratuite pour les femmes qui ne peuvent pas louer les services d’un avocat.

L’État doit appliquer le droit international relatif aux droits humains et ainsi respecter les droits des femmes à la terre, à la propriété et au logement. Pour leur bien-être social et leur épanouissement, les femmes doivent se battre et s’approprier les résolutions militant en leur faveur pour jouir de tous leurs droits humains. Le gouvernement doit protéger les femmes en milieu rural : toutes les terres appartenant à l’État, c’est à lui de trouver les moyens appropriés pour que les femmes soient aussi propriétaires et que la terre leur assure un bien-être social.

Réunion de femmes, Côte d’Ivoire / Crédit photo : Pauline Yao