Le choix du thème de ce numéro de la collection Passerelle part du constat que de nombreux mouvements sociaux, chercheurs, organisations sociales, autorités locales et nationales et organismes internationaux sont préoccupés par la question de la fonction sociale du foncier et du logement, et ce, dans le monde entier.
Grâce à la contribution de nombreux acteurs, ce numéro porte des analyses et des expériences dédiées aux avancées de la fonction sociale du foncier et du logement dans différentes régions du monde.
Apporter une analyse sur ses enjeux est d’une importance cruciale pour soutenir les luttes pour le droit au logement, à la terre et à la ville pour toutes et tous. Le premier chapitre intitulé « L’insécurité des habitants urbains et ruraux face à leurs droits immobiliers et fonciers » vous propose un décryptage d’un certain nombre de concepts parfois obscures, comme la sécurité de la « tenure » (traduction littérale de l’anglais, à laquelle nous avons préféré « sécurité de l’occupation »). Ce chapitre analyse les enjeux fonciers, tant en milieu rural qu’en milieu urbain pour comprendre comment les résistances et les alternatives autour de la fonction sociale du foncier ont tout leur sens. Tout au long de cette publication, nous répondons aux interrogations posées par la question de la propriété qui est encore dans la plupart des pays au cœur même des mentalités et des constitutions.
C’est ce que nous explique Albert Jacquart, dans son dernier texte : « Il n’est donc pas étonnant que la plupart des constitutions fassent figurer le droit de propriété dans la liste des Droits de l’Homme. Il s’agit d’assurer la stabilité du cadre au sein duquel se construisent les personnes. Initialement, la propriété évoquée par ce droit était celle de biens utiles à la vie quotidienne ou au maintien de la cohésion sociale. Le champs de l’appropriation s’est progressivement élargi et s’est éloigné de ce qui le légitimait. De nombreuses sociétés ont complété le droit d’usage par le droit de transmission sous la forme de l’héritage ; l’appropriation a ainsi été étendue au-delà de la succession des générations. Mené à son terme, ce processus ne peut aboutir, dans un univers limité, qu’à un blocage généralisé par épuisement des biens encore disponibles. [1] »
Le bien fondé et l’inéluctabilité de la propriété privée est un argument ancré dans de nombreuses sociétés. Peu nombreux sont ceux qui se voient évoluer dans la vie sans posséder un logement ou un terrain. Même si cela veut dire s’endetter pendant des années, voire payer son logement trois à quatre fois plus cher que sa valeur initiale, ou encore le perdre en plus de devoir rembourser son emprunt en cas de non capacité de paiement, comme le montre l’expérience espagnole depuis la crise de 2008.
L’injustice qui en résulte, entraîne des soulèvements, des révoltes des populations aspirant à plus d’égalité et de justice sociale. Dans le chapitre deux : « Le droit à la terre, l’accès au foncier : un enjeu majeur déclencheur de révoltes », la question foncière est un des éléments déclencheurs de grandes mobilisations, comme on l’a vu à Istanbul, à Rio, à São Paulo ou pendant le printemps arabe. C’est aussi le cas en milieu rural si l’on prend les luttes des peuples autochtones, en Amérique du sud et du nord ainsi que les résistances face au processus d’accaparement des terres.
Si l’on considérait que le foncier, rural ou urbain, agricole ou d’habitat, avait une fonction indispensable pour la vie de tout être humain, comme l’eau ou l’air, et que la valeur d’usage serait prioritaire sur la valeur d’échange, nos villes et nos campagnes ne seraient-elles pas différentes ? Il nous faut alors réfléchir à des formes de relation à la terre différentes de la propriété, c’est-à-dire différentes du droit d’abuser, de spéculer et d’exclure les autres, comme le pratique les peuples autochtones. Le chapitre trois « Propositions d’actions pour la fonction sociale » présente différentes formes d’utilisation, d’occupation du foncier et du logement, qui peuvent être collectives, pour mieux répondre à l’objectif de justice sociale.
L’Amérique latine nous montre les avancées qu’elle a réalisé, grâce à la lutte des mouvements sociaux depuis déjà des décennies, notamment au Brésil où la notion de fonction sociale de la propriété a été introduite dans sa Constitution [2], bousculant ainsi la sacro-sainte notion de propriété privée, celle-ci devant en effet répondre à une fonction sociale et qui plus est ayant pour but, plus de justice sociale. Cela limite certes les abus, notamment des grands propriétaires fonciers, sans pour autant garantir totalement la justice sociale en matière de foncier et de logement dans le pays.
Cela nous montre bien que les avancées juridiques, très souvent obtenues par les mouvements sociaux, sont indispensables pour gagner des droits mais doivent être accompagnées d’une constante vigilance des citoyens quand à l’application réelle de ces droits conquis, le droit à la propriété privée restant prépondérant.
La particularité de ce numéro tient à l’éclairage mis sur l’alliance possible entre les habitant-e-s et les paysan-ne-s, entre les enjeux ruraux et urbains. Vous trouverez ainsi de nombreuses pistes d’analyse des points communs, des alternatives et des résistances dans le monde entier. En espérant que, tel l’effet papillon, ces expériences donneront des idées et de nouvelles possibilités d’articulations !
Ce livre est une coproduction sociale, un outil collectif qui, je l’espère, sera réutilisé et servira les nombreuses luttes en cours. Merci à toutes celles et tous ceux qui ont participé à cet ouvrage !