Quelques aspects :
Autonomes vis à vis des gouvernements et ayant leur siège dans ce que l’on appelle aujourd’hui la société civile, les OSIA (organisations de solidarité internationale) / OSIM (organisations de solidarité internationale issues des migrations) forment un espace d’acteurs diversifiés, agissant dans le champ du développement, en dehors des structures de l’État, mais en étroite relation (positive ou négative) avec lui. Ainsi, la société civile est le lieu du fonctionnement des rapports sociaux (castes, classes, ethniques, de parenté…), c’est-à-dire des interactions entre groupes sociaux n’ayant pas le même poids économique, social, culturel ou politique, ni nécessairement les mêmes capacités objectives d’organisation.La société civile comme le village ou le quartier est aussi le lieu des luttes sociales et les OSIA de développement le reflet de cette réalité. En dépit des intentions ou du niveau de conscience sociale, les OSIA ne baignent pas dans un univers socialement et donc totalement aseptisé, cohérent et unifié.
Ancrage déclaré dans la “société civile” :
Le terme société civile qui est très à la mode et que l’on utilise dans des sens divers et souvent contradictoires, mérite d’être revisité. En Europe, le monde des ONG, celui des organisations de défense des droits humains, de la solidarité avec les pays du Sud, des mouvements féministes, écologiques, s’identifie trop souvent avec le concept de société civile. En Amérique latine et en Asie, il signifie les formes les plus ou moins organisées de résistances à la pénétration d’une économie dualisante sous l’égide du néolibéralisme.
En fait, ce concept apparaît avec le développement de la société bourgeoise comme expression d’une identité de classe face à l’aristocratie féodale et au besoin de forger des outils idéologiques correspondants aux nouvelles situations. Il a connu deux moments principaux : le premier qui a opposé ce terme à celui de société naturelle et le second qui a établi la distinction entre société civile et société politique.
Dès le 16e siècle, Nicolas Machiavel l’utilisait pour mettre en valeur l’autonomie de l’État. D’autres philosophes se sont aussi intéressés au concept en donnant un sens plénier à la dichotomie entre société naturelle et civile. Les classiques libéraux, tout en ne développant pas fondamentalement de pensée dans ce domaine, réaffirmaient cependant cette dichotomie, en opposant la société civile à la société naturelle et en la définissant par tout ce qui se construit socialement y compris le marché et l’État. En résumé, le concept de société civile est idéologiquement né comme synonyme de société politique bien ordonnée ou d’État. Au cours de son développement historique, il peut avoir été entendu comme constitué par la sphère des relations économiques privées, par opposition aux relations politiques ou publiques de pouvoir. Dans son imaginaire, la société moderne serait formée par trois champs : le champ privé familial, le privé économique et l’étatique culturel.
L’existence des ONG/OSI.OSIA a pris de l’importance, non seulement parce que leur nombre augmente, mais surtout parce que se développe l’idée qu’elles forment le fer de lance de la société civile. Dans certains domaines, elles apparaissent comme de véritables substituts de l’Etat, que précisément la philosophie politique néo-libérale désire affaiblir. Par ailleurs, elles apparaissent de plus en plus, comme des acteurs privilégiés dans les programmes officiels d’organismes internationaux tels la Banque mondiale et les Banques régionales de développement, tout comme dans les plans gouvernementaux, ce qui n’est pas sans contradiction avec la position sociale du nombre des ONG/OSI/OSIA. Il est donc nécessaire de les aborder dans une démarche d’analyse qui envisage les rapports sociaux internes et externes des sociétés concernées et sans réduire le problème des OSIA à une réalité en soi. C’est indispensable pour en décrypter le sens.
Les ONG/OSI se caractérisent, sauf exception, par la « souplesse » de leur organisation et de leurs mécanismes de prises de décisions. Cependant, leur institutionnalisation et leurs relations avec les pouvoirs publics, ont amplifié une sérieuse contradiction. Les nécessités de leur fonctionnement exigent une meilleure définition des rôles, ce qui a souvent pour effet d’introduire, subtilement, des tensions internes. Les fonctions administratives augmentent et l’investissement dans les équipements notamment informatiques, devient indispensable.
Une deuxième caractéristique est le fait que les OSIA ne fixent pas leurs objectifs en elles-mêmes. Elles sont destinées à appuyer des actions en dehors de leurs propres organisations, pour un apport financier, une expertise, des évaluations et, dans le cas précis des OSI du Nord, par l’information et la formation de leur public. Elles se distinguent donc des mouvements sociaux, autant ceux de la première génération (syndicats, partis politiques) que ceux de la deuxième (défense des droits de l’homme, des femmes, de l’environnement, etc). Elles sont aussi d’une autre nature que les institutions religieuses ou laïques, destinées à encadrer leurs membres ou à faire partager leurs convictions. L’établissement d’une typologie pour une réalité aussi hétérogène que les OSI de développement exige de passer par plusieurs niveaux d’analyse :
– le type d’action
– l’origine géographique (Nord ou Sud)
– l’ancrage institutionnel
L’origine géographique :
Les OSI de développement peuvent avoir leur origine au Nord ou au Sud. Au cours des dernières années, elles se sont multipliées dans le Sud, notamment en raison des fonds disponibles pour les appuyer.
L’ancrage institutionnel :
L’origine institutionnelle des OSI a une grande incidence sur leur action. Pratiquement toutes ont été fondées au départ d’organisations ou d’institutions ou encore par des acteurs sociaux qui disposaient d’un capital symbolique important, c’est-à-dire d’une certaine influence. La nature de ces institutions et personnalités est donc un élément important de différenciation. Elle peut être religieuse ou laïque, politique ou culturelle, fruit d’une action collective ou individuelle.
Le type d’action :
La première différence entre les OSI est le genre d’action qu’elles mènent. Certaines combinent plusieurs types d’action, soit au Nord avec des collectes de fonds (OSI qu’on appelle parfois les agences), soit au Sud sur le terrain. On distingue trois types d’action :
- une action d’appui humanitaire
- une action d’appui au développement local
- une action d’appui aux luttes sociales
Les évolutions :
Depuis plusieurs décennies, la pauvreté ne se résorbe pas, les inégalités persistent, les injustices demeurent, et on peut se poser la question de savoir si les combats à ce niveau ne sont pas perdus . Il n’est certainement pas interdit de se poser la question sur la coopération au développement, le codéveloppement/les accords de réadmission. Ces projets et d’autres actions ont été peut-être mal pensés à la base ? Faut-il les repenser ? Comment ? Les modalités des rapports engagés dans les coopérations, les stratégies et les instruments utilisés sont-ils les bons ?
Ces questions sont certes déstabilisantes, car elles posent le problème du négatif ou du positif des résultats des actions et ne sont pas faciles à formuler, mais à titre d’exemple, l’aide au retour déclinée sous plusieurs formes depuis 1974 doit nous interpeller. Si cette politique, soutenue par certains pays d’origine et certaines OSIA/OSIM était la bonne, nous ne serions peut-être pas dans la situation actuelle. Les accords de réadmission/codéveloppement qui cachent des expulsions et autres retours forcés de migrant·es auraient réglé depuis longtemps la question plus large de la libre circulation.
Le contexte mondial dans lequel est née la coopération au développement a profondément changé. Il s’agit peut-être aujourd’hui de démontrer sa capacité à accompagner des projets de développement auprès de populations aptes à s’organiser de manière autonome, pour régler les besoins alimentaires, éducatifs, socio-techniques, de santé, tout en prenant en compte les tiraillements entre tradition et modernité. L’une et l’autre, au Nord comme au Sud peuvent être un frein parce qu’un développement remet en cause un pouvoir traditionnel établi. Ainsi, on peut se demander si les OSI ne se sont pas laissées entraîner dans une logique institutionnelle dépassée et ont été piégées dans des démarches de quêtes de financements car, englouties dans des appels à projets les empêchant de peser dans le domaine de la coopération, parce que démunies de projets politiques fiables pour jouer leurs rôles de contre pouvoir auprès des pouvoirs politiques.
La coopération au développement :
Selon une première approche classique et presque unanimement acceptée, ce terme désigne les transferts du Nord vers le Sud de ressources financières provenant de sources publiques ou privées. Le motif de ces transferts étant le rattrapage du développement économique, la solidarité, la recherche d’une plus grande justice sociale et la diminution des disparités. Cette définition est proche de celle du « système d’aide » qui englobe l’ensemble du dispositif public établi pour favoriser le développement des pays du Sud. La faiblesse de cette définition est qu’elle sous entend une certaine neutralité, l’existence d’un intérêt global partagé par tous : riches, pauvres, Nord, Sud, Est, Ouest, acteurs privés et publics. Nous ne pouvons nier qu’il y ait des problèmes globaux qui touchent tous les pays et tous les acteurs, mais cela ne signifie peut-être pas que la perception de ces problèmes, la capacité d’y faire face et le pouvoir d’agir soient les mêmes pour tou·tes.
Notons que très souvent des partenaires engagés dans les mêmes processus, peuvent vivre des situations très différentes, avoir des intérêts spécifiques opposés et ne pas disposer du même pouvoir. Dans ces cas-là, on ne voit presque jamais apparaître dans les buts apparemment généreux, mais aussi économiques et politiques, la finalité du développement ou l’évolution des peuples destinataires c’est-à-dire le fait qu’ils et elles peuvent se prendre en charge à leur manière en prenant place en femmes et hommes libres et non en mendiant·es désulfuré·es.
Vu sous cet angle, peut-on en déduire que si les OSIA ne tentent pas d’analyser les positions des différents « partenaires » chaque fois qu’il est question de coopération au développement, voire d’immigration et développement, elles risquent de se retrouver dans une perpétuelle construction de systèmes de représentations institutionnelles, qui ne seront rien d’autre que des instruments à la disposition des pouvoirs politiques ?
En effet, la tendance consiste à se réjouir du fait que, grâce aux transferts opérés, des souffrances ont été apaisées, le niveau d’instruction relevé et beaucoup de cadres formé·es : on oublie que les pays bénéficiaires de ce type d’action sont pratiquement exclus du marché mondial et n’ont pas d’avantages à tirer du système commercial international. Ils se marginalisent de plus en plus, avec pour conséquences, le chômage, l’affaiblissement des budgets publics, la paupérisation, l’isolement, l’exclusion et la destruction sociale. Les OSI sont-elles condamnées à jouer le rôle de « réparateur national et international » ?
Pour en revenir à l’histoire, rappelons que la Croix Rouge est en fait le modèle originel de référence car, aussi spécifique qu’elle soit, elle a directement suscité la création d’une première génération d’ONG. Né au milieu du 19e siècle à l’initiative d’Henry Dunant, le Mouvement International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge comprend d’une part le Comité International de la Croix Rouge (CICR), de l’autre des sociétés nationales de Croix Rouge fédérés en une ligue, devenue, depuis novembre 1991, la Fédération Internationale des Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge. Enfin, la Conférence Internationale de la Croix Rouge réunit en principe tous les quatre ans les représentants du CICR, de la Fédération et des Etats. Le CICR est une institution privée et indépendante, constituée en simple association de droit suisse. Son statut est néanmoins extrêmement particulier et constitue un cas unique puisqu’il résulte essentiellement d’accords internationaux (les quatre conventions de Genève et leurs deux Protocoles additionnels) qui définissent et déterminent son champ d’intervention, exclusivement sur les théâtres d’opérations de guerre.
Le modèle missionnaire :
C’est un facteur de compréhension essentiel. Plus que le modèle d’évangélisation du 16e au 18e siècle, c’est celui du siècle suivant qui va allier la conversion (dont l’idée n’est jamais totalement absente) à des actions essentiellement centrées sur l’éducation et la santé. Pour la France, faut-il le rappeler, les trois figures emblématiques de la colonisation sont : l’officier, le médecin et le missionnaire qui suivait le marchand, mais on ne le considère que comme une conséquence dont on ne parle pas ou moins. Il serait en effet erroné de penser que l’anti-cléricalisme de la IIIe République était un produit d’exportation. Dans le domaine colonial au contraire, l’administration française, à de très rares exceptions, apportait son plein appui aux oeuvres missionnaires. Celles-ci s’articulaient avec un mouvement catholique puissant et en pleine rénovation dans la métropole. Ses bastions géographiques, viviers des vocations missionnaires, le seront plus tard de celles des premiers volontaires d’ONG dans le tiers-monde. Les protestants français fondèrent, eux aussi, des oeuvres de même type. L’enracinement historique d’un certain nombre d’ONG de développement françaises des années 60 dans les milieux chrétiens est aussi incontestable.
Les aspects politiques du développement :
En France, les ONG dites de développement, toujours actives aujourd’hui, sont nées parallèlement au grand mouvement d’accession à l’indépendance des peuples colonisés, de la fin des années cinquante et du début des années soixante. Assez souvent d’ailleurs, le soutien aux luttes de décolonisation a débouché directement sur la création d’organisations désireuses d’apporter, non pas tellement à l’époque, une contribution financière, mais surtout de s’associer physiquement sur le terrain aux efforts de développement des nouveaux pays indépendants, au besoin en les faisant bénéficier de l’expérience technique (réelle ou supposée) des militant·es, volontaires sur place.
A partir de 1961 naît le Comité Catholique contre la Faim, qui devient en 1965 le Comité Catholique contre le Faim et pour le Développement (CCFD) dit aujourd’hui CCFD-Terre Solidaire. Peu connue du grand public, elle est pourtant en volume financier la première des ONG développementalistes françaises. Elle apporte son soutien et organise la prise de conscience des chrétien·nes et des Français·es de la situation dans les pays du Sud, en les invitant à une « solidarité active avec les populations les plus défavorisées des cinq continents ».
Vers les années 70 surgissent dans le paysage de nouvelles organisations de solidarité internationale, s’inscrivant, au moins dans un premier temps, en rupture complète avec les fondements théoriques et pratiques de l’action antérieure. C’est à cette époque qu’émergeront Médecins Sans Frontières (MSF) et de nombreuses organisations « sans frontières » avec une médiatisation poussée qui, peu à peu, bouleverseront le paysage, d’abord en France, puis sur la scène internationale de l’action pour le développement puis de l’action humanitaire. Toutefois, si les sévères controverses les ayant opposées durant plusieurs années aux « développementalistes » se sont apaisées, elles se trouvent maintenant confrontées à l’émergence d’un « humanitaire d’Etat » parfois étroitement lié à des opérations politico-militaires. Une polémique en a d’ailleurs résultée, à partir des années 1990, donc bien avant la situation des réfugié·es que nous connaissons aujourd’hui.