Le début de l’écriture des fiches de ce dossier coincide avec deux événements importants, le premier concerne l’organisation du Forum des diasporas africaines, le vendredi 22 juin 2018 au Palais des congrés de Paris sous le haut patronage de M. Emmanuel Macron, Président de la République, piloté par l’IPEMED : Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen.
Le deuxième concerne ce moment où se concrétise un nouveau projet de loi immigration/asile en France et où les accords de réadmission/codéveloppement, gestion des flux migratoires fleurissent sans apporter de solutions pour accueillir dignement les personnes en quête de protection internationale.
On pourrait ajouter la coupe du monde de football comme troisième événement car, elle fera peut-être l’objet de beaucoup de commentaires portant sur le caractère « gaullois » ou non des joueurs, nous y reviendrons.
En attendant, l’Union Européenne (UE) et les Etats de l’Union se lancent vers une nouvelle expansion de la stratégie d’externalisation des politiques de contrôle des frontières à l’oeuvre depuis le début des années 2000.
Ainsi, face à la « crise migratoire » présentée par l’UE comme « un défi commun » ou encore une « responsabilité partagée » de l’Afrique et de l’Europe, le dialogue euro-africain (UE/UA) débouche sur une idée qui sous-tend le plan d’action sans ambiguité adopté à cette occasion = sous couvert de quelques dispositions concernant le « développement » et la migration légale, ce sont surtout les aspects répressifs qui prévalent, en particulier le « retour » ou la « réadmission » pour ne pas dire expulsion des migrant·es en situation irrégulière, souvent au mépris du droit.
Comment se positionnent les OSI face à ce plan d’action ? Des partenariats ONG/OSI/OSIM sont-ils possibles pour proposer un codéveloppement concerté et la construction d’un projet commun de défense des droits des migrant·es ? Quelles mobilisations, quelles actions sont en cours pour jouer un rôle de contre-pouvoir ?
Pour mieux comprendre ce qui se joue politiquement autour de ce que les Etats définissent comme une crise, nous ferons un retour sur l’histoire des ONG/OSI/OSIM, tout en portant un regard sur le rapprochement ou non entre les OSI et les Etats, les différentes postures, l’institutionalisation, les moyens, les enjeux, les modes d’actions et de soutien des migrant·es face au durcissement des législations nationales et internationales.
ONG/OSI qui sont-elles ?
L’appellation d’Organisation Non Gouvernementale (ONG, avec sa traduction anglaise de NGO) est devenue incontournable, revendiquée par les ONG comme un élément majeur de leur identité. Il faut noter que nombreuses sont celles qui, par souci de différenciation, préfèrent y accoler des références à la solidarité internationale pour s’appeler Organisations ou Associations de Solidarité Internationale (OSI ou ASI). Les ONG ont de multiples origines et la projection hors des frontières nationales de l’action « charitable » est assez récente.
Pourquoi ces entités sont-elles désignées et s’auto-proclament-elles « non gouvernementales » alors que que dans le rapport qu’il établit entre le privé et l’autorité publique et le contexte dans lequel il s’inscrit, le terme est plus porteur d’interrogations que de significations ?
Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur l’histoire des ONG.
En France, le 17ème siècle, traditionnellement qualifié de « Grand siècle » au regard de l’influence politique et diplomatique de l’État monarchique, est aussi celui de la constitution des premiers grands mouvements de bienfaisance. Leur champ d’action reste limité à la société française. Le poids des œuvres des ordres religieux est demeuré très longtemps prédominant, contrairement à des pays comme la Grande-Bretagne et l’Allemagne et plus généralement aux pays protestants. C’est au 18ème siècle que l’on voit naître une dimension internationale de la solidarité.
En Grande-Bretagne, l’action de la société anti-esclavagiste (British an Foreign Anti Slavery Society) dès les années 1820 peut être considérée comme la préfiguration d’une solidarité internationale à l’échelle des citoyen.ne.s. Son rôle sera loin d’être négligeable dans l’action du gouvernement britannique pour rendre effective l’abolition de la traite négrière.
Cependant, on se trouve aujourd’hui face à une diversité énorme lorsqu’on aborde la question des ONG/OSI/OSIM, véritable auberge espagnole abritant tout et son contraire. En effet, leur définition elle-même est très ambigüe : elles n’appartiennent pas aux structures de l’État, ce qui ne dit rien sur les critères internes de leur organisation, ni externes de leurs fonctions. Il n’est donc pas facile de s’y retrouver. Cependant le terme est admis, utilisé dans les documents officiels et juridiques et compris dans l’opinion publique.
C’est vers les années 1970, que le Sud voit s’épanouir, surtout depuis deux décennies, ses propres associations de solidarité dont un certain nombre qui ont acquis une expérience, réclament d’être traitées à parité avec celles du Nord. La plus connue qui a acquis une dimension internationale est ENDA : Environnement et Développement du Tiers-Monde, créée en 1972 avec l’appui des Nations Unies, dont le siège était fixé à Dakar (Sénégal).
Au Nord, jusqu’au début des années 70, la libre circulation des migrant·es originaires des anciennes colonies françaises permettait des allers-retours entre la France et le pays d’origine. Ce processus s’est arrêté avec la fermeture des frontières, obligeant paradoxalement certains migrant·es à se fixer en France. C’est à partir de cette période (1970-1974) que l’on découvre une des caractéristiques importantes du lien entretenu avec le pays d’origine, la famille, le village ou la région : la solidarité en direction des villages d’origine à partir de caisses alimentées par les migrant·es, gérées par les plus anciens. C’est là que naissent ce qu’on a postérieurement appelé les OSIM, Organisations de solidarité internationale issues des migrations. Ce fonctionnement très ancien dans les pays comme le Mali, la Mauritanie, le Sénégal… a favorisé l’émergence de nouvelles formes d’organisation et de demandes de reconnaissance en tant qu’acteurs ici et là-bas, ainsi qu’un traitement égal à celui des OSI traditionnelles.
Avec la loi du 9 octobre 1981, « les caisses villageoises » des migrant·es peuvent devenir des associations loi 1901. C’est alors la naissance des OSIM et plus tard le FORIM : Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations, qui est la plateforme nationale qui réunit des réseaux, des fédérations et des regroupements d’Organisations de solidarité internationale issues de l’immigration (OSIM) engagées dans des actions d’intégration « ici » et dans des actions de développement dans les pays d’origine.
Rappelons que jusqu’en 1981, date d’abrogation du décret de 1939 restreignant les conditions d’accès aux associations pour les étranger·es, les migrant·es se sont toujours inscrits dans des initiatives d’ONG d’appuis aux projets de développement locaux. Avec la loi du 9 octobre 1981, les « caisses villageoises » des migrant·es peuvent devenir des associations loi 1901 déclarées. En 1984, 10 associations sont enregistrées au Journal Officiel (J0) : 5 maliennes, 3 sénégalaises et 2 mauritaniennes. C’est le déclenchement d’un véritable mouvement. On dénombrait 19 associations en 1985 et enfin 40 en 1990. Il ne se passait plus un mois sans qu’une nouvelle association voit le jour.
Dans tous les cas , les ONG/OSI/OSIM sont toutes des associations loi 1901, normalement autonomes vis à vis des gouvernements et ayant leur siège dans ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile. Comme nous le verrons plus loin, elles forment un espace d’acteurs socialement et politiquement diversifiés.
Alors, l’idéologie des OSI est-t-elle aussi variée que leur nature ? Sont-elles influencées par le type d’actions qu’elles mènent, par leur origine, leur groupe porteur et par l’univers dans lequel elles baignent ? Leur institutionalisation, leur professionnalisation, leur besoin de financements et leur relation avec les pouvoirs publics sont-ils une contradiction ? En dépit des intentions ou du niveau de conscience sociale, baignent-elles dans un univers socialement aseptisé, cohérent et unifié ? Et le soutien des migrant·es dans tout ça ?
La naissance des OSIM :
Au milieu des années 90,e les ONG avaient par leur présence auprès des migrant·es, développé une solidarité active, au même titre que les associations de solidarité avec les immigré·es, ceci sur les terrains de luttes des sans-papiers, de résident·es de foyers. Elles étaient devenues des partenaires incontournables dans le domaine des luttes pour le respect des droits humains fondamentaux. Apparaissait déjà la notion d’immigré·es acteur·rices du développement, valorisée par le colloque organisé par la FASTI en 1990. Un rapprochement s’était bien opéré quand les associations villageoises sont devenues des associations loi 1901, même dans la volonté des OSIM à revendiquer une reconnaissance au même titre que les OSIA.
Dès 1997, les OSIM créent la surprise en participant à la première grande réunion plénière du « Groupe de travail sur la solidarité internationale des migrant·es » qui, jusqu’à cette date, n’était fréquenté exclusivement que par des OSIA.
D’ailleurs, dans son document de présentation édité en juillet 1998, qui était la synthèse de la charte sur laquelle s’appuyait les travaux du Groupe de réflexion sur la solidarité internationale des migrant·es de la Commission Coopération Développement (CCD ou bien COCODEV), le groupe faisait état de la dérive en matière de codéveloppement, notamment sur les pratiques des pouvoirs publics dans le tandem migration-coopération. En effet, des incohérences étaient latentes même si le discours tendait à dire qu’elles visaient à faire émerger l’instauration d’espaces de dialogue et de concertation avec les OSIM.
En réalité, le tandem migration-coopération s’était trop souvent confondu avec les dispositifs d’aide au retour qui répondaient plus à des considérations de politique intérieure à court terme, (gestion des flux migratoires), qu’à une volonté d’intégrer les OSIM dans le dispositif français de coopération en développement et de l’intégration des migrant·es.
Cependant, le travail du groupe de la CCD était porteur d’avenir car, sur le plan politique, il posait le problème du recensement des capacités et poussait à un débat afin de poser globalement les questions /problèmes et d’essayer de les traiter ; ce qui aiderait à un changement important des pratiques et procédures de toutes les parties concernées.
A l’époque, le groupe procède, pour cela, à l’analyse de la situation et essaye de montrer l’ossature de la démarche que devrait suivre la coopération au développement. En d’autres termes, il était important que les différents acteurs (publics, privés, associatifs, etc.), actifs dans le secteur concerné se connaissent.
Pour cela, il propose la mise en place d’un Haut Conseil de la Coopération Internationale (HCCI) et, le projet d’une représentation au sein de cette instance, des migrant·es agissant dans le champ de la solidarité internationale.
Il n’était cependant pas sûr que cela permette de réduire la distance qui sépare les OSI travaillant sur l’humanitaire et celles qui font du développement d’autant qu’à l’époque les OSIM accusaient les OSIA (organisations ou associations de solidarité internationale) d’être souvent liées aux institutions, alors que de leurs côtés, elles étaient souvent proches du mouvement issu de l’immigration en France, tout en essayant de se rapprocher des institutions. Point qui fait par ailleurs apparaître une contradiction commune à certaines OSIA et aux OSIM, à partir de leur silence remarquable, à l’époque, dans la situation malheureusement d’actualité depuis des décennies, des migrant·es.
Le CRID : une opportunité pour faire entendre la voix des immigré.e.s mobilisé.e.s dans les réseaux d’OSIA.
Ainsi, même si le Centre de Recherche et d’Initiatives de Développement [1] (CRID), a pris position en faveur des sans-papiers (1994-1995), par l’élaboration d’une plateforme commune aux OSIA qui le composent, des questions se posent, à savoir comment s’est passée au sein du CRID, dont font partie la CIMADE, le CCFD et d’autres organisations proches des OSIM, la discussion qui a favorisé l’émergence de cette plateforme ?
Même si depuis sa création, le CRID a concentré beaucoup d’efforts sur l’organisation institutionnelle, délaissant certains aspects politiques de son projet initial, peut-être par des nécessités liées aux financements, il reste que sur la base d’un positionnement politique commun. Le CRID poursuit un dialogue avec les pouvoirs publics et interpelle les institutions gouvernementales et internationales sur leurs modes d’intervention.
En 1996, pour les quarante OSIA que regroupe le CRID autour d’une charte commune, l’action pour le développement ne s’incarne pas seulement dans les relations entre Etats mais aussi entre communautés, associations et individus. Elles prônent un développement décentralisé et participatif qui s’appuie sur les capacités d’organisation des populations et favorise l’appropriation des programmes de développement au niveau local. Les opérations qu’elles soutiennent sur les autres continents, dans un esprit de co-responsabilité et de partenariat, s’inscrivent dans un processus de développement visant l’autonomie des populations, leur auto-suffisance et l’indépendance à long terme. Le CRID estime, comme le groupe de la CCD, qu’avant même la réflexion pour une coopération plus juste entre l’État français, les OSIA et les OSIM, il fallait au préalable respecter la particularité de chaque organisation, notamment l’aspect exogène du terrain pour les OSIA, et le double aspect de la démarche des OSIM par le fait que le terrain est exogène et endogène à la fois pour celles de par l’origine et le statut en France, ce qui devrait être un atout commun aux OSIA et OSIM, pour leur permettre de s’approprier mutuellement leurs différents apports. Le CRID tentait à l’époque de combler certaines carences en matière de conceptions partenariales des projets de développement et de favoriser l’intégration effective de la dynamique immigrée dans la nouvelle politique française et son architecture institutionnelle.
Action propre des OSIM
D’un autre côté, on verra si les OSIM ont, depuis, apporté quelque chose de nouveau sur les conditions de vie, d’accès aux droits, de lutte contre le racisme en faveur des migrant·es en France et sur la qualité des accords de réadmission/codéveloppement, intégrés aux politiques de coopération signés avec les pays de départ des migrant·es
Aujourd’hui, c’est face à un discours public de plus en plus répandu sur les « éloignements fermes mais dignes » que les organisations et les citoyen·nes sont confrontés en venant soutenir les migrant·es.
Il fut un temps où la réadmission n’était qu’un élément parmi d’autres du système de renvoi des étranger·es en situation irrégulière, mais depuis les années 1990, la France et plus largement l’Union européenne, ont fait de l’expulsion un enjeu majeur de la politique migratoire.
Comme dans les périodes précédentes, le concept politique du retour volontaire est un principe d’expulsion qui a été transposé dans le champ de l’action sociale, sous la forme d’un dispositif humanitaire qui brouille la dimension de contrainte sans pour autant perdre de vue l’objectif de sortie du territoire.
Les programmes d’aide au retour volontaire consistent en la prise en charge matérielle et logistique du départ (obtention de documents de voyage, transport, hébergement, argent de poche) et s’accompagnent parfois d’un soutien financier à l’arrivée (micro-entreprise, formation, assistance médicale, logement). En échange, l’étranger·e signe une déclaration de volontariat (ou « engagement de retour volontaire »). Strictement administrative, l’aide au retour « volontaire » présente, du point de vue des Etats, l’avantage d’échapper à des règles conçues comme autant d’entraves au départ et d’écarter tout contrôle juridictionnel.