Nous avons vu dans une fiche précédente, le passage de la caisse villageoise à l’association 1901 et la naissance des OSIM autour de laquelle apparaissent quelques motivations : la recherche d’un statut officiel pour faciliter les contacts auprès des institutions, les dépôts de dossier de demande de financement et des partenariats nouveaux.
Avec la déclaration au Journal Officiel, les responsables acquièrent une fonction et une représentation officielle. Les représentants en France des autorités villageoises prennent une responsabilité, parfois symbolique ou parfois effective et importante. Mais on distingue avant tout les gens qui sont actifs dans la communauté. S’affirme l’émergence des leaders qui se sont investis et formés dans les mouvements syndicalistes ou dans les luttes des années 70 à 80 : sans-papiers, mouvements des foyers, etc.
« Aujourd’hui, cette dynamique est portée par le FORIM : Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations ; or, cet espace est le résultat de tout un processus de centralisation des OSIM qui commencent d’abord en 1992 avec la création de la FAFRAD : Fédération des Associations Franco-Africaines de Développement, qui regroupe plus de 200 associations, et ensuite avec le Réseau des Associations pour le Développement du Bassin du Fleuve Sénégal (RADBFS), avec l’appui de l’Institut Panos et un partenariat avec le CCFD (Comité Catholique Contre la Faim et pour le Développement) -Terre solidaire créé en 1961, qui mobilise la solidarité en France pour lutter contre la faim dans le monde. »
« Les OSIM originaires du sahel et plus précisément du bassin du fleuve Sénégal , ont procédé à une enquête et organisé un colloque/rassemblement national à Evry en 1992 « quand les immigrés du sahel construisent leur pays ». 175 villages du bassin étaient représentés , plus de 250 personnes (immigré·es, villes jumelées, pouvoirs publics, OSIA…) ont échangé leurs expériences et élaboré des propositions. Des possibilités de synergie ont été identifiés et un réseau des associations pour le développement de la Vallée du Fleuve Sénégal s’est constitué officiellement en août 1993. »
Auparavant, en 1992, nait la FAFRAD (Fédération des Associations Franco-Africaines de Développement) qui regroupe plus de 200 associations qui œuvrent non seulement dans les domaines de l’intégration et de l’insertion socioprofessionnelle des migrant·es, mais aussi de la solidarité internationale et du dialogue interculturel. La FAFRAD dit être un laboratoire, une structure de concertation, de coordination et d’échanges d’expériences, de compétences et de savoir-faire pour valoriser les actions franco-africaines de développement. Elle appuie et accompagne les porteurs de projets associatifs ou individuels. Cependant, comme la naissance du RADBFS a fait beaucoup plus de bruit, qu’il est plus porteur, à l’époque, de « revendications » sur le « ici », nous continuerons de le citer en exemple pour étayer nos propos sur l’organisation des OSIM avant la naissance du FORIM.
Les objectifs et actions du RADBFS
Il s’agit de mener des actions en France, servant à appuyer les projets des associations de migrant·es qui le composent et qui ont mis en place dès le départ, une forme d’organisation traduisant à la fois leur volonté de relever les défis relatifs à leurs propositions et la nécessité de conserver une souplesse d’action permettant à chacune des associations qui y adhèrent de rester maîtresse de ses propres initiatives. Il vise aussi à améliorer les conditions du partenariat, de la vie associative, de la formation et d’une information entre les OSIM et leurs partenaires.
Courant 2000, il regroupe plus de 300 OSIM originaires du bassin du fleuve Sénégal, selon ses chiffres. Son rôle consiste surtout à les appuyer dans leurs démarches et à les représenter dans les lieux de concertations et de débats ici et là-bas, tout en essayant de répondre aux besoins qu’elles expriment. Il participe aux commissions mixtes (OSIA-OSIM) de la Commission coopération développement, travaille avec des villes et autres collectivités, organise des rencontres de concertation, des forums de débats thématiques et fait des études. Le réseau assure un appui/accompagnement aux associations qui en expriment le besoin. Il oriente les associations dans leurs démarches : élaboration de projets, recherche de partenaire technique et/ou financier.
Pour donner à ces responsables les moyens d’entreprendre un projet, le Réseau a mis en place des types de formations permettant d’acquérir des connaissances suffisantes, intitulées : « Formation 1 et 2 ».
La formation 1 s’adresse aux cadres d’associations de développement du bassin, avec pour objectif de leur permettre de mieux appréhender les questions liées à la réussite des projets et une meilleure gestion des associations en France.
La formation 2 s’adresse, elle, aux responsables d’OSIM investi·es dans les quartiers et aux délégué·es de foyers de migrant·es en France, afin de leur permettre de mieux comprendre et maîtriser les questions liées à l’intégration, à l’accès aux droits et à la citoyenneté et jouer pleinement leur rôle de responsables dans les domaines des droits humains fondamentaux.
Le contenu :
- les droits et devoirs des résidents dans les foyers de migrant·es, le quartier, la ville, la société, etc
- les relations/rapports entre les différentes composantes dans les espaces de vie : foyers, cités, quartiers, etc
- la conception de projets sociaux et autres, destinés aux résidents des foyers.
Pour la seconde génération : les questions identitaires, les rapports parents/enfants/quartiers/cités/villes etc, l’éducation et les rapports avec les institutions.
Résultats attendus : - assurer un rôle de médiation au niveau local, pour chaque OSIM
- avoir davantage d’ouverture à la société d’accueil
- assurer une meilleure prise en charge des questions liées à l’accès aux droits et à la vie quotidienne en France
- avoir la capacité d’élaborer des projets sociaux et de promouvoir des activités socio-économiques.
Ces quelques éléments montrent que le Réseau et les OSIM interviennent dès le départ, à plusieurs niveaux. Leurs actions visent « ici et là-bas » et montrent qu’il devient indispensable de sensibiliser les sociétés du nord et du sud afin d’élargir les soutiens en faveur du développement. L’enjeu est de taille et consiste à trouver les moyens permettant de valoriser les compétences et les savoir-faire acquis par les différents acteurs et de les mettre au service des sociétés du nord et du sud sans pour autant que cette valorisation soit synonyme de projets de retour dans les pays d’origine.
Dans le cadre d’un partenariat avec des OSIA [dont la CIMADE (Comité inter mouvements auprès des évacués - service oecuménique) créée en 1939, l’Institut Panos, le CCFD, le Ps-Eau (Programme Solidarité Eau) créé à l’initiative des pouvoirs publics français en 1984, il est cependant une association loi 1901 et beaucoup d’autres], le RABFS porte une revendication partant du fait que : pour que l’Etat français soit en adéquation avec ces orientations, il faudra qu’il y ait une égalité de traitement et de reconnaissance entre les OSIA et les OSIM ce qui devrait se traduire par la mise en place de moyens institutionnels et la mise en place d’un Haut Conseil de la Coopération Internationale. Il assurera un développement local durable par la création de synergies fortes entre OSIA et OSIM tout en s’interrogeant sur les liens qui existent entre les différents acteurs du développement : les OSIM, les OSIA, les pouvoirs publics, etc.
Le HCCI (Haut Conseil de la Coopération Internationale) sera créé le 10 février 1999 et sera dissous en mars 2008. Ses archives et travaux restent disponibles sur son site internet, sous couvert de la documentation française [1]. Il est composé à l’époque de 60 représentants des OSI, des collectivités territoriales, de fondations, de groupements professionnels, mais aussi d’universitaires, d’experts et de personnalités qualifiées nommées pour trois ans. Les OSIM « chargées de l’intégration des migrant·es en France en liaison avec leur pays d’origine » ont deux représentants. Notons auparavant, la tenue des Assises de la Coopération Internationale à Paris, les 17 et 18 octobre 1997 où les OSIM ont fait l’objet d’un oubli dans l’organisation et la participation à ces deux journées. C’est grâce à un coup de force soutenu par quelques OSIA, dont celles citées plus haut, qu’elles ont pu faire entendre leur voix. Il devient urgent et nécessaire, selon elles, de réévaluer les logiques sous-jacentes du système de la coopération et de transformer les attitudes dominantes afin de créer de nouvelles formes de rapports entre partenaires, et de nouveaux comportements institutionnels ainsi que des « codes de conduite » qui diffèrent radicalement de la pratique courante…
Pendant tout ce processus, d’autres OSIM se sont créées, nous ne sommes plus face au RADBFS et à la FAFRAD, mais plus largement face à l’émergence d’OSIM marocaine, tunisienne, algérienne, malgache… Certaines existent bien avant le réseau et la fédération. Elles portent toutes une même revendication : être intégrées de manière égalitaire avec les OSIA dans les espaces de concertation entre acteurs de coopération internationale, tout en prenant en compte une de leur spécificité qui est de disposer de leurs moyens financiers propres.
Le moment est venu pour les OSIM de sortir de la revendication sur leur reconnaissance. Elles s’engagent à faire apparaître leurs capacités à travailler en groupe, à agir sur les mécanismes de coopération, à faire émerger des solidarités et des actions de groupe, notamment dans des programmes comme celui sur le codéveloppement où l’amalgame est courant entre sans-papiers et développement. L’objectif est de sortir du discours et de rendre visibles leurs actions et l’impact de ces dernières ici et là-bas ; mais aussi leur nombre, les réseaux, fédérations, collectifs, pour faire la démonstration de leur double avantage endogène sur les deux terrains tout en restant vigilant pour ne pas reproduire les pratiques d’organisations fermées et bureaucratiques qu’elles ont toujours dénoncées.
Il faut donc travailler à l’organisation des acteur·rices immigré·es dans le champ de la solidarité internationale en s’appuyant sur deux considérations préalables : politiques et méthodologiques. Il faut rappeler que dans le cadre des travaux de la CCD et du Groupe de solidarité internationale des immigrés est formulée déjà en février 1997 une requête aux pouvoirs publics pour un concours financier à deux dispositifs essentiels pour l’intégration effective de la dynamique immigrée dans la nouvelle politique française de coopération et son architecture institutionnelle, afin de concevoir et mettre en place, pour les considérations politiques :
- d’une part, une structure cohérente et représentative de l’ensemble des acteurs immigrés de la solidarité internationale ;
- d’autre part, des procédures et un mode d’organisation permettant que les projets des OSIM bénéficient de l’appui financier et institutionnel des pouvoirs publics selon des modalités cohérentes avec les orientations récentes du dispositif public mais adaptées aux spécificités des OSIM. Concernant les considérations méthodologiques : deux ateliers ont été constitués au sein du groupe de solidarité internationale des immigré·es, dénommées respectivement : « atelier organisation » et « atelier cofinancement ».
Le premier travail sur les nécessités d’une structuration et sur les problèmes de représentativité, avec une idée préfigurant la naissance d’un forum de la solidarité internationale des immigré·es, qui sera une confédération constituée par les fédérations d’associations, elles-mêmes constituées principalement par des personnes immigrées en France agissant en solidarité avec leur pays d’origine. Elles regroupent des associations de base constituées sur des critères géographiques ou de champ d’intervention. Enfin, la confédération qui devient plus tard le FORIM est l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics pour les questions relevant de la solidarité internationale avec les pays dont ses membres sont originaires. Elle dispose d’un budget pour financer certains projets et pour remplir ses fonctions d’un personnel salarié.
La naissance du FORIM
Le Forum des Organisations de Solidarité Internationale issues des Migrations (FORIM) est une plateforme nationale qui réunit des réseaux, des fédérations et des regroupements d’Organisations de Solidarité Internationale issues de l’Immigration (OSIM), engagées dans des actions d’intégration ici et dans des actions de développement dans les pays d’origine. Le FORIM représente environ 700 associations intervenant en Afrique Subsaharienne, au Maghreb, en Asie du Sud Est, aux Caraïbes et dans l’Océan Indien.
Créé en mars 2002 avec le soutien des pouvoirs publics français, il témoigne de la volonté de ses membres de s’associer à toutes les composantes de la société civile française, afin de favoriser l’intégration des populations issues des migrations internationales, de renforcer les échanges entre la France et les pays d’origine et de contribuer au développement de leur région d’origine.
Il montre une image spécifique de la vie associative des personnes issues de l’immigration et met en évidence les aspects positifs de la double appartenance en faisant la promotion d’actions conduites en France autour de l’intégration, de l’échange culturel et d’actions de développement vers les pays d’origine.
Objectifs généraux du FORIM
Être un partenaire des pouvoirs publics et des organisations de la société civile concernées, en tant que structure crédible et fiable de migrant·es bien intégré·es, c’est-à-dire représentant la diversité dans l’unité nationale, engagé·es pour la cohésion et l’harmonie sociale en France, leur pays pour le développement des pays et régions d’origine et le bien être de leurs populations ;
Contribuer à l’amélioration de l’efficacité globale de la solidarité et de la coopération internationale par l’intégration et la valorisation de l’apport des migrant·es à l’enrichissement de la société d’accueil et au développement du pays d’origine.
Objectifs spécifiques
- Renforcer le FORIM pour assurer une meilleure représentation des OSIM : faire connaître, reconnaître et promouvoir l’apport des OSIM à l’enrichissement de la société d’accueil et au développement des pays d’origine ;
- Informer sur les dispositifs existants et renforcer les capacités d’intervention des OSIM ;
- Favoriser l’accès aux dispositifs de cofinancement ;
- Renforcer la capacité d’intervention des OSIM grâce à l’intervention d’opérateurs apportant un appui technique en vue d’une meilleure professionnalisation des actions ;
- Apporter la contribution des OSIM aux espaces d’échanges, de concertation et de plaidoyers en France et au niveau international et contribuer à la mise en œuvre d’une politique européenne de codéveloppement.
Activités principales réalisées
Activités de structuration institutionnelle organisationnelle technique ;
Activités d’information de recherche d’animation et de formation ;
Activités d’échanges et de capitalisation activités de dialogue et de plaidoyer.
Le FORIM gère depuis 2003, le PRA/OSIM :
Le Programme d’appui aux projets des organisations de solidarité internationale issues de l’immigration est un dispositif d’accompagnement, de cofinancement, de capitalisation et de valorisation des projets de développement local portés par les OSIM. Le dispositif existe depuis 2003 et a été principalement financé par le Ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) jusqu’en 2015 et à partir de 2016 par l’Agence française de développement (AFD).
Cependant, même si dans ses objectifs il indique que le programme vise à « permettre à ses membres d’acquérir les connaissances et les compétences requises en matière de coopération internationale de développement local et de lutte contre tout forme d’exclusion, d’inégalité et de discrimination ici et là-bas », il n’est pas courant de remarquer la présence du FORIM dans les espaces de défense de droits des migrant·es et de porter la voix de la revendication sur le respect des droits humains fondamentaux au regard de ce que subissent les migrant·es en France, en Europe, en Afrique et ailleurs, notamment sur l’abjecte situation des migrant·es à Calais, en Libye, au Maroc, en Tunisie, en Algérie, etc.
Dans les activités du FORIM, il n’existe nulle information sur le soutien aux migrant·es à Paris ou ailleurs, à l’exception de quelques initiatives qui ne relèvent pas de la lutte contre les discriminations ou du respect des droits humains fondamentaux, comme ce communiqué de presse conjoint avec la structure « Coordination Sud », daté du 3 juillet 2007 intitulé « Pour un co-développement délié des actions de contrôle de flux migratoires » ; sa participation au forum social mondial des Migrations ; la campagne « dix idées reçues » sur le lien entre les migrations et développement avec ses partenaires, etc.
Sur la question des réfugié·es, on retrouve sur son site un document intitulé « spécificités de l’intégration des réfugiés d’Asie du sud-est en France », présenté à la table ronde sur le rôle des OSIM de l’Asie du sud-est, « ici » et « là-bas » organisée par le FORIM le 20 décembre 2016 à Paris. Il relate les conditions d’arrivée en France des réfugié·es ressortissant·es de l’ex-Indochine française (Viet-Nam, Cambodge et Laos) qui ont quitté en grand nombre leur pays après le renversement de leurs gouvernements par les troupes communistes, à peu près au même moment, en 1975.
Nous sommes en 2018 et depuis plus de 20 ans, la préfecture du Pas-de-Calais utilise tous les moyens pour empêcher les migrant·es, en route pour la Grande-Bretagne ou en attente de l’examen de leur demande d’asile en France, d’installer des lieux de vie et pour empêcher les habitant·es et associations de leur venir en aide. Il ne s’agit plus de signer des pétitions ou de faire des communiqués de presse, le non-respect des droits humains est tellement flagrant que l’absence de « certaines organisations » en devient inquiétante…
Cependant, c’est près de 260 associations et collectifs de solidarité et de défense des droits humains qui lancent l’appel pour l’organisation d’une « Conférence nationale citoyenne sur la politique migratoire de la France », qui se tiendra fin 2017. Cette décision des acteurs associatifs et citoyens est une réponse au gouvernement qui ignore les propositions portées par celles et ceux qui, sur le terrain, agissent pour le respect de la dignité et des droits des personnes migrantes en France, et pallient l’absence ou l’insuffisance de volonté et de moyens de l’État.
Parmi les signataires de l’organisation de cette conférence, hormis les associations comme : Amnesty international, le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), la Fédération des associations de solidarité avec les immigrés (FASTI), la Cimade, la Ligue des droits de d’Homme (LDH), etc., nous trouvons aussi la Fédération des Tunisien·nes pour une citoyenneté des deux rives (FTCR), Immigration, développement, démocratie (IDD), l’Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), le Forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (FORIM), etc. Mais aucune association malienne, sénégalaise, mauritanienne, ivoirienne, etc.
Les atteintes aux droits humains
Les opérations de l’expulsion du bidonville de la bande de Calais se sont déroulées en plusieurs étapes : d’abord avec l’adoption des arrêtés du 19 janvier et du 19 février 2016 pour l’expulsion de la zone sud du bidonville. Ensuite avec l’arrêté du 21 octobre 2016 pour l’évacuation de la zone nord. Là encore, l’état d’urgence, déclaré suite aux attentats du 13 novembre 2015, a constamment été mobilisé. Ensuite, l’état d’urgence a été utilisé à des fins opérationnelles, dans le cadre de ces expulsions. Ainsi, le 23 octobre 2016, la préfète du Pas-de-Calais crée une zone de protection sur l’ensemble du secteur de la bande, dans laquelle le séjour, la circulation et le stationnement des personnes sont réglementés, du 24 octobre au 6 novembre 2016. Cette décision a pour principale implication de subordonner l’entrée sur la lande à l’obtention d’une accréditation délivrée par la préfète.
Ce dispositif parachève en quelque sorte, selon Lionel Crusoë, avocat au barreau de Paris, dans son article intitulé : « A Calais, un état d’urgence opportun », ce qui avait déjà été entrepris avec les interdictions de manifestations : il vise à empêcher tout risque d’opposition. Le texte indique chercher à éloigner du bidonville les militants jugés susceptibles de s’opposer physiquement au démantèlement. En outre, le dispositif cible large et éloigne les avocats de la zone de protection. Plusieurs d’entre-eux qui intervenaient sur le bidonville ne peuvent pas retrouver leurs clients avant qu’ils soient dispersés dans des centres d’accueil et d’orientation, sur tout le territoire national, à l’issue de l’opération d’expulsion.
Alors que des centaines de journalistes ont bénéficié d’accréditation pour assister à l’expulsion, plusieurs associations de soutien des migrant·es, présentes sur le bidonville, ont été tenues à l’écart. Certaines, qui y interviennent avec le concours de l’Etat, se sont vu refuser l’accréditation alors qu’elles y suivent des migrant·es. Il en est allé de même pour l’association Cabane juridique/Legal Shelter qui mène des actions de terrain pour assurer l’accès aux droits et le respect de la loi française pour les migrant·es de Calais. Quelques heures après l’adoption de cet arrêté, le GISTI, l’association Avocat pour la défense des droits des étrangers, l’association calaisienne le Réveil voyageur et la Ligue des droits de l’homme l’ont dénoncé dans le cadre d’un référé-liberté. Trop tard. La préfète du Pas-de-Calais l’abroge quelques heures avant l’audience, en indiquant que l’opération d’expulsion étant achevée, l’arrêté instituant la zone de protection n’a plus d’utilité.
Outre l’institution de cette zone de protection, la préfète du Pas-de-Calais prononce en octobre 2016 quatre interdictions de séjour à l’encontre de militant·es. Un rapport parlementaire le note : ces dernières mesures ne sont pas fondées sur le fait que la présence de ces dernier·es constitue un risque d’attentat terroriste, ni même sur une dangerosité révélée par des violences commises dans le passé, mais sur le simple fait que ces personnes ont été vues aux abords de la première zone de protection créée le 1er décembre 2015. [2].
Jamais une opération « humanitaire » n’a mobilisé autant de prérogatives attentatoires aux libertés. Aucune réaction des OSIM pour dénoncer les violences policières à Calais ou ailleurs. Qu’importe. L’essentiel est, pour le gouvernement, que ce recours aux outils de l’état d’urgence ait permis d’atteindre l’objectif d’une expulsion éclair de migrant·es et de leurs soutiens en trois jours.
SL’absence des OSIM dans la défense des migrant·es « ici » est-elle une question reléguée aux organisations autochtones ou le slogan « endogènes ici et là-bas » est-il toujours une réalité ?