Pour une information et un Internet libres : journalistes indépendants, médias associatifs, hacktivistes s’engagent

Sommaire du dossier

Introduction

Passerelle n°11

, par CAMPELO Erika

A l’occasion de la publication de notre nouvelle exposition "Numérique : libérons nos pratiques !", ritimo a décidé de publier l’intégralité du Passerelle n°11, initialement publié en 2014, sous forme de dossier.

Médias et internet citoyens : un enjeu social et démocratique majeur

Nos façons de communiquer ont radicalement changé ces dernières années avec les progrès réalisés dans les technologies de l’information et de la communication (TIC), et principalement Internet. Il faut pouvoir comprendre ce paysage technologique pour prendre la mesure des jeux de pouvoir actuels dans le domaine de l’information.
Les usages alternatifs des TIC bousculent en effet les médias traditionnels, de la production jusqu’à la diffusion de l’information : "Ils forcent à redéfinir les règles de fonctionnement des médias de masse autant que leur place et leur rôle" [1]. Les évolutions technologiques dans le domaine du numérique et l’instantanéité de l’information dessinent un nouveau modèle de médias pour le XXIe siècle.

Dans ce chamboulement, les activistes des médias libres s’organisent pour promouvoir l’émancipation citoyenne à travers la mise en place d’une information différente et critique vis-à-vis du « système » dominant, et par le développement de médias (télévision, journaux, radios, sites Internet, vidéos) considérés comme des vecteurs d’éducation populaire. Car la production et l’accès à l’information restent une condition sine qua non pour la construction et le fonctionnement de sociétés démocratiques. C’est pourquoi, il faut continuer de questionner la place des médias (nouveaux autant que traditionnels) et de l’information dans nos sociétés.

Le droit à la communication est le droit de toute personne d’avoir accès à des moyens de production et de diffusion d’information, d’avoir les moyens techniques et matériels, de se faire entendre et d’écouter, d’avoir les connaissances nécessaires pour être autonome et indépendant dans sa relation avec les médias. Le droit à la communication est donc plus large que le droit à l’information et que la liberté d’expression. C’est un droit universel, indissociable des autres droits fondamentaux, qui prend plus de sens à l’ère d’Internet. En effet, grâce aux technologies, les individus et les groupes sociaux peuvent plus facilement produire et diffuser de l’information sur leurs actions et leurs engagements. Ils peuvent également accéder plus simplement aux informations émises par d’autres acteurs, dont les préoccupations sont similaires.

Mais cette évolution de la technologie porte en elle-même un potentiel de concentration de puissance qui pourrait être utilisée pour renforcer des pouvoirs ou des relations inégalitaires déjà existants. Car s’il est vrai que les impacts des TIC dans les relations sociales sont incontestables, et si leur potentiel pour le développement de l’humanité est évident, ces outils sont déjà appropriés par des grands acteurs du système néolibéral, qui utilisent ces technologies pour maximiser leurs bénéfices. Les TIC, comme les autres secteurs économiques, sont l’objet de tentatives de constitution de monopoles par des multinationales, que ce soit pour proposer des contenus (Google, Apple), des réseaux sociaux (Facebook) ou commercer en ligne (Amazon, Alibaba...). Les TIC ne sont pas exemptes des logiques financières présentes partout ailleurs. Elles restent exposées au risque d’uniformisation des informations proposées qui touche depuis longtemps les grands médias. Elles ouvrent des possibilités techniques nouvelles en terme de surveillance de contrôles des utilisateurs ou d’espionnage des lecteurs-clients.

Cependant l’émergence de processus de production coopératifs, de création de nouveau médias, des logiciels et des protocoles libres mettent en lumière le fait que la créativité et l’innovation échappent en partie aux intérêts économiques et redonnent de la force à l’imagination créatrice comme maître d’œuvre d’un avenir à construire.

Depuis les années 2000, le réseau ritimo a élargi son action de solidarité internationale à un engagement dans la diffusion d’une information citoyenne à un public francophone, à travers la création des liens et d’outils de coopération dans le champ de l’information avec des mouvements sociaux, des médias alternatifs, et des ONGs dans le monde entier. Son rôle est de faciliter la diffusion d’analyses et d’idées issues de la société civile, des groupes minoritaires, socialement affaiblis ou économiquement précaires, porteurs de revendications et/ou d’alternatives, pour qu’elles soient mieux entendues par l’opinion et mieux prises en compte par les décideurs et les gouvernants.

L’objectif de ce numéro de la collection Passerelle, éditée par ritimo avec l’appui de la Fondation Charles Léopold Mayer est de présenter les nombreuses initiatives innovantes mises en œuvre dans le champ du droit à la communication mais également dans le champ du réseau des réseaux. Ce numéro a réuni des journalistes, des militants, des universitaires, des activistes de la communication et des hackctivistes, amoureux et amoureuses des technologies et du code issus de différentes régions du monde. La trentaine d’articles recueillis dans ce numéro présente de nouvelles formes de conception de l’information en tant que bien commun, afin de lutter contre sa marchandisation par le pouvoir économique, ainsi que des exemples concrets d’un Internet libre, décentralisé et neutre, créé et porté par les utilisateurs eux-mêmes.

Cependant, il est important de rappeler que ce n’est pas la technologie en soi qui conduit au changement social. Pour que le changement ait lieu, il faut que la technologie soit appropriée par chacun et chacune et ancrée dans la connaissance locale, favorisant la participation collective. Ce sont les personnes qui décident pourquoi et comment utiliser telle ou telle technologie, et ce sont encore les personnes qui l’adaptent en fonction du contexte politique et socio-économique dans lequel elles vivent.

Face à cette réalité multiforme de l’ère informationnelle, des activistes de la communication des médias libres (notamment dans le cadre du Forum mondial des médias libres), ainsi que des développeurs, des militants associatifs et des défenseurs de la liberté d’expression partout dans le monde tentent à la fois de prévenir des risques, d’étudier et de proposer des alternatives pour promouvoir la diversité en refusant les logiques d’enfermement dans une conception uniforme et à sens unique. Autant des défis pour les sociétés de demain...

Passerelle n°11 - Pour une information et un Internet libres