Pour une information et un Internet libres : journalistes indépendants, médias associatifs, hacktivistes s’engagent

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La communication comme un droit

, par DAUDEN Laura

Cet article a été publié en 2014 dans le numéro 11 la collection Passerelle "Pour une information et un Internet libres : journalistes indépendants, médias associatifs et hacktivistes s’engagent".

« Arrivera un temps où la Déclaration universelle des droits de l’homme devra prévoir un droit plus élargi que le droit à l’information, entériné pour la première fois il y a 21 ans, dans l’article 19. C’est le droit de l’individu à communiquer. C’est la perspective à partir de laquelle tout développement futur de la communication doit être compris. »
Jean d’Arcy (1969:14)

La communication est un domaine qui fait débat. Il en va de même avec les droits qui y sont rattachés. Même si cela n’est pas une nouveauté à proprement parler – les dimensions politiques et idéologiques du débat sont dans tous les agendas de toutes les sphères depuis au moins quatre décennies, la phrase prononcée en 1969 par le directeur de la Radio et des Services visuels d’alors à l’ONU et son impact dans la discussion sur les limites du droit à la liberté d’expression prouvent qu’il n’y a pas d’évaluation possible qui ne parte pas de la reconnaissance de cette difficulté fondamentale.

Depuis sa consécration dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), dans le Pacte international des droits civils et politique (1966) et dans divers autres instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’homme, telle que la Convention américaine des droits de l’homme, la liberté d’expression a été évoquée de manière limitée, en la rendant insuffisante pour rendre compte des défis de la société de l’information et de la connaissance – comme le conçoit l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO).

Cette constatation, il est important de le souligner, ne cherche pas à minorer l’importance du concept essentiel de liberté d’expression pour la consolidation de la démocratie et pour la consécution d’autres droits des individus. Au contraire : cet effort qui se fait ici n’est pas seulement un effort de redéfinition de cette constatation, mais surtout de revalorisation des nombreux sens et droits qu’elle traîne dans son sillage.

Les limites du droit à la liberté d’expression, tel qu’il était traité, commencent à devenir évidentes au cours des années 1960 et 1970 avec la dissémination et la consolidation des moyens de communication de masse (surtout la télévision), qui ont modifié les dimensions du phénomène communicationnel et qui ont mis en évidence sa vocation multidirectionnelle : nous sommes non seulement libres d’émettre des informations mais aussi de chercher, de recevoir et de partager. Nous commençons à comprendre que seul un respect des lois plus important peut englober l’importance de la communication pour la construction du sujet social et des sens collectifs, la formation de l’État démocratique et, surtout, la réduction des inégalités et la transformation sociale.

Un avis consultatif de 1985 émis par la Cour interaméricaine des droits de l’homme illustre cette tendance :

« Lorsque la liberté d’expression d’un individu est illégalement restreinte, ce n’est pas seulement le droit de cet individu qui est violé, mais aussi le droit de tous les autres de ’recevoir’ des informations et des idées. Le droit protégé par l’article 13 a, par conséquent, une portée et un caractère spécial qui sont mis en évidence par le double aspect de la liberté d’expression. » (1985:9)

La CIDH va plus loin et elle se penche sur les conditions qui doivent être remplies pour que les médias de masse « qui font de l’exercice de la liberté d’expression une réalité », répondent à cette ’demande’ de manière adéquate :

« Cela signifie que les conditions de son utilisation doivent être en accord avec les exigences d’une telle liberté ; par conséquent, l’existence, entre autres, d’une pluralité de moyens de communication, l’interdiction de monopoles sous quelque forme que ce soit et les garanties pour la protection de la liberté et l’indépendance des journalistes doivent être avérés. » (1985:10)

Affiche dans la station de métro Saint-Placide pour la liberté d’expression, août 2012 @Luc Legay

Naissance d’un nouveau droit

Toute cette discussion avait comme toile de fond, et il est important de le mentionner, un important développement conceptuel au sein de l’UNESCO, l’agence de l’ONU étant plus engagée dans la construction de sociétés de la connaissance. Jusque-là, des pays du Nord, plus spécifiquement les États-Unis et le Royaume-Uni, et le Mouvement des pays non-alignés, qui réunissait le dénommé tiers-monde, se sont opposés à la construction d’un « nouvel ordre mondial de la communication et de l’information ».

Comme l’expliquent Alan Alegre et Sean O’Siochru (2005), le choc a eu lieu à partir de trois constats : la doctrine du libre flux de l’information renforçait la domination des médias occidentaux ; la concentration croissante des moyens de communication entraînait une plus grande présence étrangère dans les médias de pays plus petits et plus pauvres ; et, enfin, l’importance croissante des technologies contrôlées par l’Occident entravait l’accès à la connaissance et aux moyens de production.

C’est précisément à ce moment, à la fin des années 1970, que naît la Commission MacBride, dirigée par Sean MacBride, laquelle a pour responsabilité d’étudier les problèmes de la communication dans le monde. Son rapport, présenté lors de la réunion de l’Assemblée générale de l’ONU en 1980, est devenu une référence pour le jeune mouvement pour une nouvelle communication mondiale et a entraîné une guerre d’opinions sur la portée des droits relatifs à la communication. Ce débat débouchera, plus tard, à la sortie des États-Unis de l’UNESCO.

Le rapport de la Commission stipule :

« Les exigences pour la communication dans une société démocratique doivent être établies à partir de l’extension de droits spécifiques, tel que le droit d’être informé, le droit d’informer, le droit à la privacité, le droit de participer à la communication publique – tous, éléments d’un nouveau concept, faisant partie du droit à la communication. Dans le développement de ce que pourrait être une nouvelle ère de droits sociaux, nous suggérons que toutes les implications du droit à communiquer soient plus exploitées. » (1980:265)

Outre le fait de présenter des solutions concrètes pour le déséquilibre dans les flux internationaux de communication, Sean MacBride a dressé la liste de cette nouvelle gamme de droits relatifs à la communication et a donné au jeune mouvement communicationnel un cadre sur lequel s’accrocher.

Bien qu’une nouvelle perspective ait été instaurée, la pertinence du rapport a décliné au sein de l’UNESCO, précisément par la pression des États-Unis et du Royaume-Uni. Au fil du temps, les stratégies révolutionnaires proposées par MacBride ont été remplacées par des idées plus conservatrices dans des domaines comme celui de l’inclusion numérique ou de la démocratisation de l’information. Peu à peu, les discussions ont rejoint la liste des modèles utilisés dans l’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT étant le sigle anglais) et, ensuite, par l’Organisation mondiale du commerce. De ce fait, par la pression politique, l’ONU en est venue à traiter les questions liées à la communication non par le biais du droit, mais par celui de l’économie.

Références

  • ALEGRE, Alan et O’SIOCHRU, Sean. Word Matters : multicultural perspectives on information societies. Org. Alain Ambrosi, Valérie Peugeot et Daniel Pimient. C&F Éditions. France : novembre 2005.
  • Article 19. Déclaration Finale de la mission au Brésil sur la situation de la liberté d’expression. São Paulo, Londres : 2007.
  • Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme. Avis consultatif OC-5/85. 13 novembre 1985, Série A.
  • D’ARCY, Jean. “Direct broadcasting satellites and the right to communicate”. EBU