Pour une information et un Internet libres : journalistes indépendants, médias associatifs, hacktivistes s’engagent

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Les nouvelles réglementations pour le droit à la communication en Amérique latine

, par VICENTE Terezinha

Cet article a été publié en 2014 dans le numéro 11 la collection Passerelle "Pour une information et un Internet libres : journalistes indépendants, médias associatifs et hacktivistes s’engagent".

De nouvelles lois sont promulguées sur le continent, où les mouvements sociaux ont fait pression pour la démocratisation du secteur.

Une fois l’offensive néolibérale des années 90 passée, ce début de siècle a mis en évidence une Amérique latine où la présence de mouvements sociaux, certains anticapitalistes, est croissante. Le Forum social mondial (FSM) qui a eu lieu au Brésil en 2001, réunissant des organisations de tous les continents, en est un parfait exemple. Mais la lutte anti-hégémonique affronte un ennemi très inégal – le pouvoir des grands médias. Des oligarchies nationales ont construit des monopoles de communication, alignés sur des corporations internationales qui diffusent information et divertissement par le biais de la culture néolibérale.

Or un autre monde n’est possible qu’avec une liberté d’expression et un droit à la communication. Les moyens alternatifs augmentent avec l’avancée technologique. Des réseaux indépendants de communication, globaux et continentaux, se développent alors que les médias hégémoniques se concentrent davantage. Dans presque tous les pays latino-américains, la mobilisation sociale a réussi à choisir des gouvernements plus progressistes, qui réalisent des changements dans les lois sur les communications. Le Brésil est une exception, avec des gouvernements successifs « de gauche » élus qui n’ont pas encore eu le courage d’affronter l’oligopole des médias.

Conférence de presse réalisée le 3 mai par les étudiant·es contre la fermeture de RCTV @Andres azp

L’affrontement commence au Venezuela

Le Venezuela a été le premier pays à affronter le monopole de la communication, à partir de l’élection d’Hugo Chavez en 1998. La Loi organique relative aux télécommunications, approuvée en mars 2000, établit un nouveau cadre légal avec 224 articles. Cette loi est l’un des principaux mécontentements de l’élite vénézuelienne, qui a organisé le coup d’Etat en 2002, avec le soutien d’entreprises comme Rádio Caracas Televisión (RCTV), à l’époque la plus importante du pays. Le coup d’Etat n’a duré que 48 heures, mais c’est un outil pédagogique qui sert à démontrer comment les corporations des médias l’utilisent comme moyen de propagande en défense des intérêts de la bourgeoisie. Hugo Chávez, soutenu par les radios communautaires, a repris la présidence, conscient de la nécessité de rendre la communication sociale plus horizontale et de mettre en place des diffuseurs publics.

En janvier 2005, son gouvernement a promulgué la Loi de responsabilité sociale de la radio et de la télévision. Deux ans après, il a refusé le renouvellement de la concession pour la RCTV, en choisissant à sa place la Televisión Venezolana Social (TVes). Des fréquences irrégulières ont été reprises et des créations d’autres diffuseurs publics ont été enregistrées. Les mouvements sociaux se sont rapidement appropriés l’espace de la communication, en créant de nombreux collectifs ces dernières années, en utilisant plusieurs moyens autres que la radiodiffusion (journaux, revues, livres, soirées, débats, graffitis). Cátia TV, principal diffuseur communautaire de télévision, est situé dans un quartier traditionnel de travailleurs, au centre de Caracas. « Ne regardez pas la télévision, faites-la » est le slogan de Cátia TV, qui pousse les citoyens à produire des contenus.

La « Loi des médias » argentine est considérée comme la meilleure

En Argentina, les mouvements sociaux se disputaient également les médias. Alors que les monopoles médiatiques se réduisaient à deux groupes - Clarín et Telefónica, la mobilisation sociale créait en 2004 la Coalition pour une radiodiffusion démocratique. Ce forum a réuni des centaines de personnalités et des organisations politiques, parmi lesquelles des organisations syndicales, des universités, et des mouvements sociaux. « 21 points pour une radiodiffusion démocratique », un document de la coalition, a servi de base à l’élaboration de la loi actuelle, promulguée en 2009, la « Loi des médias », considérée comme étant la plus avancée par des spécialistes de la question.

La participation massive de la société a conduit la présidente Cristina Kirchner à présenter le brouillon du projet au public durant une grande action. Malgré la volonté politique de la présidente, le combat et la mobilisation n’ont pas cessé avant octobre 2013, lorsque la loi a été déclarée loi constitutionnelle, en réponse au processus engagé par le Groupe Clarín. C’est le mouvement « Mères de la Place de mai », connu depuis la dictature, qui a démontré la façon dont le droit à la communication mobilise une variété de mouvements sociaux en Argentine. La traditionnelle marche de la résistance du mouvement, qui a lieu tous les ans depuis 1981, a été déplacée en décembre 2012, pour que les « Mères » se joignent aux autres mouvements et expriment publiquement le soutien à la loi sur les moyens de communication.

« Il a fallu 6 années de débat avec les mouvements populaires, les syndicats, les instances publiques, ce qui fait que la loi possède une grande légitimité sociale. Elle a contenté un éventail important de groupes sociaux », déclare Gilberto Maringoni, journaliste, docteur en histoire à l’USP et professeur de relations internationales à l’Université de l’ABC. « La télé ne doit plus acheter le championnat de football, ça n’est plus possible », donne-t-il en exemple. « Pour assister au match de leur équipe, les Argentins devaient s’abonner au câble. Maintenant, la télé publique retransmet les matchs et le signal est ouvert pour ceux qui souhaiteraient le capter, ce qui inclut les télévisions communautaires. Cette loi a ainsi peu de chance d’être contestée ! ».

Les transformations sont visibles. Des centaines de diffuseurs et de nouveaux moyens ont fait leur apparition ces dernières années. Jusqu’en octobre 2013, 152 radios scolaires, 45 diffuseurs universitaires de télévision, 53 radios FM universitaires, une chaîne de télévision publique et 33 stations de radio concernées par les populations de la région ont vu le jour, et la production des contenus au niveau fédéral a connu une importante croissance, selon le reportage du journal argentin Página 12. 1 018 licences ont été accordées à la radio, à la télévision publique et à la télévision privée et 210 autorisations aux radios communautaires.

Fresque en hommage aux Mères de la Place de mai @Carlos Reusser Monsalvez

L’Équateur, l’Uruguay et la Bolivie sur le même chemin

En Équateur, l’élection de l’actuel président, Rafael Correa, a entraîné la rédaction de la nouvelle constitution, promulguée en 2008, qui sort du lot « non seulement parce qu’elle reconnaît le droit à la participation dans les processus communicationnels et à une citoyenneté bien informée, mais aussi parce qu’elle établit un troisième secteur de la communication, les moyens communautaires », affirme Sally Burch, journaliste de l’Agence d’information latino-américaine (Alai). « Le projet de loi est le fruit de plus de deux années de séances publiques, de débats, de propositions et d’actions de la part des organisations, des instances sociales et de plusieurs autres contributions, qui font de cette loi l’une des plus controversées du pays », déclare-t-elle. Le pays qui a offert l’asile politique au fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a approuvé sa loi de communication en juin 2013. L’opposition l’appelle la « Loi bâillon ». Avec des normes semblables à celles de la loi argentine, la loi équatorienne souligne la promotion de la diversité, étant donné que le pays est multiculturel, composé de 14 nationalités et peuples.

La Bolivie, « refondée » en 2009 par le président Evo Morales comme « État plurinational », adopte sa nouvelle législation relative aux communications en 2011. Celle-ci garantit aux populations autochtones un espace dans la radiodiffusion et prévoit un programme de financement pour « l’expansion d’information présentant un intérêt social ». En Uruguay, en décembre dernier, la Chambre a approuvé le projet de loi des services de communication audiovisuelle, initiative du gouvernement de José Mujica, qui le présente comme une amélioration de la démocratie. L’opposition, indignée par les réformes du pays, s’interroge sur la progression de cette loi en pleine année électorale, alors que la procédure est au Sénat. Au Pérou, l’année 2014 a commencé par un débat sur la concentration des médias, lancé par le président lui-même, insatisfait de l’augmentation de 70 % du contrôle de la communication dans le pays par le groupe El Comércio. Dans son plan d’action gouvernemental, Ollanta Humala avait déjà placé la discussion dans un cadre régulateur des communications.

Dans tous ces pays, la dissolution des corporations médiatiques a suscité une opposition féroce des moyens de communication privés. La Société interaméricaine de presse (SIP) a ensuite condamné les nouvelles lois. « Je pense que le principal point de départ de toutes ces lois réside dans le fait que la communication est un droit et pas seulement une activité », explique Pedro Ekman, du collectif Intervozes. « C’est absolument révolutionnaire pour la tradition latino-américaine qui, différente de la tradition européenne par exemple, a toujours vu dans la communication privée une vérité absolue. Les chaînes publiques et communautaires ont gagné de l’espace, lequel était auparavant attribué de préférence à ceux qui avait pour objectif de tirer des bénéfices de leurs informations », dit-il.

Pays plus riches, défis plus grands

Les plus grands défis pour la démocratisation de la communication concernent les pays ayant les PIB les plus importants dans la région : le Mexique et le Brésil. Dans ces deux pays, la lutte date et elle mobilise des fronts d’organisations comme l’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (Amarc), l’Association mexicaine du droit à l’information (Amedi) et le Forum national pour la démocratisation de la communication (FNDC), au Brésil.

Au Mexique, depuis la campagne électorale de 2012, la prise de conscience quant à la manipulation de l’information par le duopole – TV Azteca et Televisa – semble atteindre de nouveaux secteurs de la population. Un mouvement contre la candidature de l’actuel président, Peña Nieto, a pris de grandes proportions en mettant la démocratie dans les communications au centre de ses préoccupations. Le mouvement jeune YoSoy132 et les organisations qui travaillent depuis toujours sur le sujet dans le pays ont élaboré le « document d’exigences minimales » dans lequel dix points fondamentaux concernent la démocratisation des moyens de communication.

La surprise a été la série de mesures annoncée par le président au mois de mars, concernant la réforme des lois de télécommunications visant directement la chaîne de télé qui a soutenu sa campagne. L’homme le plus riche du monde, Carlos Slim, se verra peut-être dans l’obligation de partager son monopole, son infrastructure et pourra peut-être perdre le privilège de transmettre en exclusivité des événements comme les coupes du monde ou les jeux olympiques. Le projet de loi ouvre les réseaux de télévision et les services de téléphonie mobile à l’investissement étranger, ce qui semble être le principal objectif, qui est tout à fait cohérent avec la politique conservatrice de Peña Nieto.

Au Brésil, la loi de 1962, obsolète politiquement et technologiquement parlant, donne en pratique aux monopoles la propriété du spectre. La Constitution de 1988 possède des articles qui garantissent la démocratisation des moyens de communication, qui n’ont jamais été réglementés. Après des années de coûts pour la société, la tant attendue Conférence nationale de communication de 2009 a vu ses résolutions ignorées par le gouvernement. Un large front d’organisations et de mouvements a construit une campagne « Pour exprimer la liberté » qui, depuis mai 2013, collecte des signatures pour un projet de loi d’initiative populaire pour des médias démocratiques.

La campagne est soutenue par des centaines d’organisations et de mouvements, notamment par le plus grand syndicat des travailleurs, le CUT, qui a mis la priorité sur le sujet.

Commentaire

En 2014, en Amérique latine, le Venezuela est à nouveau au centre de la guerre médiatique globale. Et régionale. Au Brésil, la couverture de la presse est absolument partiale, il ne s’agit jamais de journalisme, mais de pure propagande. En pleine année d’élection présidentielle au Brésil, l’oligopole des grands journaux et réseaux de radio et de télévision est déjà en campagne, la rigueur de l’information importe peu. Par chance, dans de nombreux autres pays de ce continent, de nouvelles voix médiatiques se font entendre, et celles-ci montrent que les informations ont deux côtés, mettant au grand jour les individus et les opinions, en débattant sur d’autres manières d’organiser le monde.

Références

Interviews

  • MARINGONI, Gilberto, mars 2014, Brésil
  • EKMAN, Pedro, Intervozes, mars 2014