À contre-courant : arts, politique et transformation sociale

Le théâtre (de service) public, une mise en scène capitaliste

, par CHANMÉ Amélie

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Pour démarrer cet article, je veux d’abord me situer. Je m’appelle Amélie, j’ai 32 ans. Je suis la fille d’une orthophoniste et d’un chef d’entreprise dans le bâtiment. Je suis issue de la petite bourgeoisie intellectuelle, plutôt de droite. Ça, c’est donc mon bagage social. Si j’ai la possibilité d’écrire cet article, c’est en raison de cet héritage social mais c’est aussi en raison de ce que je fais professionnellement et des analyses que j’en ai tirées. Depuis 8 ans maintenant, je conçois et j’organise les activités d’une association loi 1901 qui s’est créée dans un élan sincère et complètement naïf, qui était celui de faire découvrir le théâtre au plus grand nombre. Depuis 8 ans, je suis directrice artistique de cette association de spectacles vivants dont j’assure et je signe les mises en scène. Je suis donc metteuse en scène.

Le théâtre public, une organisation socio-économique capitaliste

En France, en termes d’organisation socio-économique du théâtre, il y a d’un côté le théâtre privé et de l’autre le théâtre public. Pour aller vite, le théâtre public reçoit de l’argent public (autrement dit subventions) de la part de l’État et des collectivités alors que le théâtre privé… en est privé ! Cette attribution d’argent public s’accompagne de missions de service publics comme, par exemple, en fer de lance, l’accessibilité du plus grand nombre à la culture et donc, entre autres, aux spectacles. Au lieu de payer votre place 50 € dans un théâtre privé, le théâtre public vous en vend une à 15 ou 20 € (parfois même, dans certains théâtres, à 1 € lorsque vous êtes allocataire du RSA.) Quand j’ai commencé à travailler, j’ai tout de suite reconnu dans cette politique publique d’accessibilité à tou·tes mon désir de faire découvrir le théâtre au plus grand nombre. Et c’est pour cette raison que je travaille depuis le début de ma vie professionnelle dans ce système économique qu’est le théâtre public : parce que j’y ai cru. [1]

Mais je sais aujourd’hui que tout cela est un grand mensonge. Si le théâtre public remplit une mission (qui n’est certainement pas au service du plus grand nombre), c’est bel et bien celle de reproduire et de maintenir l’ordre social. Cet ordre social s’organise autour des trois rapports de domination [2] qui mènent notre société : les rapports de genre, de race et de classe. C’est précisément au cœur de ce rapport de classe que l’organisation socio-économique du théâtre public prend racine. Le théâtre est en effet réalisé par des bourgeois·es (en majorité des hommes blancs) pour d’autres bourgeois·es - qui sont assis·es dans les salles. [3] Quoiqu’ils et elles puissent en dire, le théâtre ne s’adresse à personne d’autre et n’est pratiqué professionnellement par personne d’autre.

Il s’agit ici de quitter la salle et d’aller en cuisine, pour se rendre compte comment tout ce théâtre public fait de dorures et de prix en tous genres fonctionne. Il s’agit de constater que l’État a érigé le mot « artiste » en un véritable statut social en l’accolant au mot créateur, ce qui donne le très chic titre d’artiste-créateur. [4] Il s’agit de voir que ce qui est revendiqué ici ce sont en réalité tous les fondements d’un système aristocratique qui s’enracine dans un mot tellement valorisé qu’on peut être incapable (c’était mon cas il y a encore peu de temps) d’y voir la menace intrinsèque : le capitalisme.

Vouer un culte à l’individu, en le récompensant par exemple à coup de Molière, César, Oscar (etc.) est un des grands piliers du système capitaliste. C’est un outil très efficace de hiérarchisation qui permet de tuer les organisations collectives et solidaires. La compétition et la concurrence sont les reines aux manettes de la hiérarchisation : il n’y aura pas de place pour tout le monde, il n’y aura pas de prix pour tout le monde et il n’y aura pas d’argent pour tout le monde ; seul·es les meilleur·es, les génies y accéderont. Dans cette logique, les autres, de toute façon, ne sont que des incapables. Voilà ce que crée le système capitaliste et voilà ce que reproduit le théâtre public : des génies et des incapables.

Dans ce modeste article issu de mon expérience professionnelle, de recherches théoriques et enfin de ma formation auprès de l’Ardeur [5] en tant que jeune conférencière gesticulante, je veux démonter une à une les illusions politiques que j’ai eues pendant des années et, pour cela, je vais parler du métier de metteur·se en scène, ce que c’est, et ce que ça devrait être. Et si je parviens à mettre à mal l’aura du mot artiste pour le faire redescendre sur terre, alors, enfin, nous pourrons commencer à parler de ce que les artistes sont : des travailleur·ses comme les autres.

Devant un bâtiment, sur les escaliers en pierre qui en descendent, des personnes brandissent des fumigènes rouges, jaunes et blanc devant une foule qui les regarde.
Nous les vagues, 20 août 2020, dans le cadre du festival 55 en Normandie.
Amélie Chanmé.

La formation / non-formation des metteur·ses en scène

Lorsque mon père annonce que sa fille est metteur en scène (il n’a effectivement pas encore intégré l’importance de la féminisation des mots…), je sais qu’il aime ajouter : “Moi non plus je ne savais pas ce que c’était”, histoire de créer une connivence avec son auditoire. Outre le fait que le milieu professionnel théâtral français est un tout petit milieu, appelé à juste titre “l’entre soi”, il n’y a qu’à observer le nombre de formations à la mise en scène qui existent pour réaliser à quel point il s’agit en effet d’une niche. Aujourd’hui, en France, il n’y a que deux formations à la mise en scène (à l’école du TNS [6] et à l’ENSATT [7]) et elles prennent deux élèves… tous les trois ans ! Pourtant, nous sommes des milliers de metteur·ses en scène. Nous démarrons donc bien souvent sans avoir été formé·es. Résultat : la formation qu’on suit est celle, un peu ardue, du terrain et d’assistant·e des metteur·ses en scène.

Être assistante à la mise en scène signifie être au service d’une personne (celle qui assure la direction artistique et la mise en scène) et d’une équipe (technique et artistique) lors des répétitions du spectacle. Concrètement, mes missions se déployaient chaque jour de manière différente : récupérer à la gare tel·le comédien·ne, faire répéter son texte à un·e autre, proposer au·à la metteur·se en scène un planning de travail des scènes, veiller à ce que les personnes au son, à la lumière et à la vidéo aient du temps sans les comédien·nes sur scène, m’assurer que les brochures de la pièce soient bien imprimées et reliées et que le café soit chaud dès que la pause démarrait. Si mes années d’Hypokhâgne et de Khâgne m’ont appris à gérer les ordres de priorité dans la réalisation du travail, mes expériences d’assistante à la mise en scène m’ont replongée dans cette abnégation totale et cette soumission au travail sans compter ni heure ni salaire.

C’est de cette manière que j’ai pu commencer à comprendre et à intégrer ce milieu professionnel et c’est grâce à ça que je me suis à mon tour lancée dans la création professionnelle de spectacle.

Créer un spectacle, chaîne de production qui maintient l’ordre social

Je voudrais ici préciser que nous, metteur·ses en scène, héritons de ce terme de création après son entrée en scène dans la langue de bois institutionnelle des années 1960 à cause du tout premier ministre de la Culture : André Malraux. Je dis “à cause de” parce qu’à avoir érigé l’artiste en créateur tout puissant, ce ministère a largement contribué à tuer les collectifs. En effet, aujourd’hui, il n’est plus question des troupes des années 1950 qui s’organisaient collectivement à 15, 20, ou 30 personnes ; aujourd’hui, il est question de compagnie de théâtre dont la majorité des directeur·rices artistiques, qui n’en ont d’ailleurs que le titre, [8] sont en réalité isolé·es. Au mieux, ils et elles ont les moyens d’embaucher une ou, occasionnellement, deux personnes à la production et à la diffusion, [9] et, au pire, ils et elles sont seul·es à remplir toutes les missions d’administration, de production, de diffusion ainsi que toutes les missions artistiques.

J’utiliserai le terme de « production » de spectacle (au lieu de création) car le spectacle de théâtre public est un produit qui est vendu, acheté, consommé, puis jeté et extrêmement rarement recyclé. Autrement dit : une vraie chaîne de production capitaliste.

Le fait de produire un spectacle signifie rassembler tous les moyens humains, logistiques et financiers afin que le spectacle s’invente, se répète et soit prêt le jour de la première représentation. Pour ce faire, il y a 5 étapes à suivre. D’abord, il me faut rédiger un dossier de production dans lequel j’annonce le titre, l’auteur·rice, la durée du spectacle et ce qui est appelé le public cible, à savoir à qui le spectacle va s’adresser (enfants / ados / adultes, etc.). Les mots ont leur importance : le public est donc une cible [10] ! Ensuite, j’écris un résumé de la pièce, la fameuse note d’intention demandée à toute personne assurant la mise en scène et il me faut établir un budget avant de passer à la 2e étape : les rendez-vous de production. Ces rendez-vous permettent de rencontrer les directeur·rices des théâtres publics afin de leur “vendre du rêve.” La 3e étape consiste à présenter à ces directeur·rices un extrait du spectacle de 20 à 30 min. La 4e étape nécessite de remplir des dossiers de demande de subventions qu’on envoie aux tutelles (ville, département, région, DRAC [11]). Puis la 5e et dernière étape arrive : les résidences de création. À ce moment-là, après 2 à 3 ans de travail, il s’agit de répéter le spectacle, d’assembler tous les éléments artistiques (jeu, décors, costumes, lumières, son, etc.) et de finaliser la mise en scène. Le jour de la première représentation, le spectacle quitte cette première période de vie qu’a été la production et bascule dans sa seconde période de vie : la diffusion (c’est-à-dire toutes les dates de tournée devant le public.)

Ces 5 étapes-là nous sont demandées tous les deux ans. À la chaîne. Voilà ce qu’est le travail au sein du théâtre public : une chaîne de production. Il faut produire. Et se montrer. Il faut aller au pot de première [12] des autres metteur·ses en scène, il faut aller aux journées inter-professionnelles où il ne se dit jamais rien mais où il est de bon ton d’être là. Puisque, de toute façon, le spectacle n’existe pas encore, ce que l’on vend en période de production, c’est… soi-même, son corps. Si la présentation du spectacle a plu à tel·le programmateur·rice, en vérité, c’est le·la metteur·se en scène qui lui a plu.

Aujourd’hui les artistes sont encore les « bouffons du roi ». Les meilleurs exemples sont les festivals de type Avignon : 1 500 spectacles sur 3 semaines. C’est un marché où de nombreux·ses metteur·ses en scène vont pour se montrer, pour se vendre alors qu’ils et elles n’ont pas de spectacle qui joue pendant le festival. Ce sont là les rendez-vous mondains bien connus de la bourgeoisie. Pour rappel, au XVIIIe siècle, les bourgeois·es allaient dans les théâtres à l’italienne pour se montrer et s’observer les un·es les autres. C’est d’ailleurs pour cela que l’architecture de ces théâtres est pensée de manière luxueuse mais absolument pas pratique pour regarder la scène : la moitié de la salle est tournée vers l’autre et ne voit qu’un tiers de la scène ! Le spectacle n’est là qu’un prétexte pour s’afficher en public.

Les politiques publiques et la mise au pas des artistes

Un certain nombre d’analyses montrent que le théâtre public est un théâtre à la botte de l’État qui, lui-même, roule pour les capitalistes. J’en veux pour exemple le 21 janvier 1967. Ce jour-là, à Nancy, un jeune étudiant soutient sa thèse de droit intitulée L’État et le Théâtre, dans laquelle il démontre doctement l’intérêt politique pour un État de développer une conception aristocratique de la culture et donc du théâtre, en lieu et place d’une conception démocratique. Ce qui est intéressant avec cette anecdote, c’est que ce jeune étudiant n’est autre qu’un futur ministre de la Culture encore aujourd’hui adulé par la petite et la grande bourgeoisie : Jack Lang. Partant de là, il est purement et simplement impossible que les politiques culturelles, notamment des années 1980, pendant lesquelles Jack Lang était aux manettes du ministère de la Culture, soient fondées sur ce que les discours hégémoniques répètent à chaque début de saison, à chaque nouvel appel à projet ou autres dispositifs noyés dans et instrumentalisé par un outil très pratique : la langue de bois.

Cette mise au pas des artistes, par la hiérarchisation et la mise en compétition, a un effet concret : celui de vider de substance les messages que le théâtre peut transmettre. Le seul message que l’on entend sur les scènes est un message de plus en plus inoffensif, vidé de sens. C’est un message qui ne sert à analyser politiquement ni le monde dans lequel on vit ni le système dans lequel le travail s’organise. C’est un message de plus en plus esthétique : les artistes doivent, avant tout, produire des images et, si le public n’y comprend rien, alors c’est de l’art. Cette dépolitisation est très utile car elle entrave toute remise en question, elle empêche tout débat et, de fait, sûrement pas à propos du système en place. Cela ne sert donc aucune velléité de changement, cela ne sert qu’une chose absolument primordiale pour la classe dirigeante : la reproduction de l’ordre social. [13]

Néanmoins, au sein même de cette organisation du théâtre public, il existe un endroit de résistance à cette reproduction sociale : l’intermittence du spectacle.

L’intermittence du spectacle, la véritable exception culturelle française

Quand je suis entrée dans ce système qu’est l’intermittence du spectacle, j’ai cru que j’avais acquis un statut. Définitivement, j’étais bien loin de la vérité.

L’intermittence du spectacle est un régime spécifique de l’assurance chômage. Ce n’est pas un statut au sens où on l’entend souvent (y compris de la bouche des artistes ou des technicien·nes.) Les intermittent·es sont des salarié·es qui perçoivent tous les mois des allocations chômage. Pour être intermittent·e, il faut justifier, auprès de Pôle emploi, de 507 heures de travail déclarées sur une période de 365 jours consécutifs. Pour vulgariser rapidement ce système, prenons un exemple. Au mois d’octobre 2023, j’ai été déclarée par mon employeuse principale pour deux représentations. [14] Je reçois donc d’un côté un salaire de la part de mon employeuse et, de l’autre, je déclare 2 cachets auprès de Pôle emploi qui va compléter le salaire de ce mois avec des allocations chômage calculées sur mes revenus de l’année précédente. Spécificité inhérente à ce régime d’assurance chômage : il est réexaminé chaque année à date anniversaire. Si le minimum de 507 heures a été déclaré, alors les droits à cette assurance chômage sont renouvelés… pour une durée de 365 jours. C’est donc une sécurité pour un an. Autrement dit : un véritable privilège mais un privilège relativement précaire. Car, l’année où il manque ne serait-ce qu’une heure de travail, on perd automatiquement le droit à l’intermittence et c’est au RSA qu’il faut s’adresser.

Néanmoins, lorsque je dis que j’ai été déclarée au mois d’octobre pour deux représentations, soit deux jours de travail, il faut que je précise que je n’étais pas en vacances : en plus de ces deux jours, j’ai par ailleurs travaillé 114 heures, soit à peu près 15 jours. Pendant ces 15 jours effectifs, j’ai travaillé au bureau, [15] à remplir des missions administratives et à concevoir et organiser les activités à venir. Mais aussi à écrire cet article. Ces 114 heures-là n’ont pas été déclarées par mon employeuse mais elles ont produit de la valeur économique hors du cadre de mon emploi.

Outre la non-formation préalable (et donc le fait de n’avoir nullement la nécessité d’un diplôme certifiant pour être metteur·se en scène), outre le fait que je travaille à un bureau sur un ordinateur et non dans une usine, la grande différence de l’artiste-intermittent·e avec les autres travailleur·ses, c’est que, grâce à ce régime d’assurance chômage, je peux produire du travail, et donc de la valeur économique, de manière déconnectée de la notion d’emploi. Et je peux le faire sans mettre en péril mes conditions matérielles d’existence.

Bernard Friot, le “déjà là” et le salaire à la qualification personnelle

Bernard Friot [16] appelle un “déjà là” un système déjà en place et qui fonctionne, au sein du système capitaliste et qui est en réalité un système anti-capitaliste - pour ne pas dire communiste.

Bernard Friot milite pour un salaire socialisé et une réappropriation d’usage des outils et moyens de production ainsi que pour une notion du travail déconnectée de la notion d’emploi. Les travailleur·ses, selon lui, doivent assumer le statut de producteur·rice de la valeur économique. Il considère que le système capitaliste voit le travail uniquement dans le cadre d’un emploi, c’est-à-dire une relation de subordination entre un·e employeur·se (ou un·e actionnaire) et un·e employé·e : il prend l’exemple de parents élevant leurs enfants, n’étant pas rémunéré·es pour conduire leurs enfants à l’école, alors qu’une assistante maternelle le serait. Il pointe du doigt le fait qu’il s’agit d’un même travail mais que, dans un cas, il n’est pas rémunéré et, dans l’autre, il l’est, bien qu’il s’agisse du même travail. Bernard Friot en vient à la conclusion que la société capitaliste ne nie pas la nécessité de ce travail mais qu’elle nie les activités de production hors du cadre de l’emploi, en les déclarant non-productives.

Les intermittent·es du spectacle bénéficient donc d’un régime d’assurance chômage qui représente une porte d’entrée dans le salaire à vie - ou salaire à la qualification personnelle défendue par Bernard Friot. Ce salaire à vie serait un droit irrévocable obtenu à la majorité [17] et serait calculé selon la qualification de la personne. Un·e travailleur·se est celui ou celle qui est reconnu·e dans sa capacité à produire de la valeur en dehors de son emploi. Exemple : les professeur·es hors de la salle de classe, les ouvrier·es hors de l’usine, les comédien·nes en dehors des scènes. Cette capacité donne un droit à la qualification, mais aussi une responsabilité. Bernard Friot dit [18] : « Le communisme, c’est pas une visée. Ça se constate. (...) Le communisme est une réalité dès lors qu’on pose la contradiction sociale et non la reproduction sociale. »

Changer les récits pour changer le monde

C’est pourquoi, il peut être utile que les artistes-intermittent·es prennent conscience d’un autre de leur privilège : celui d’avoir à chaque représentation une audience de spectateur·rices venu·es pour les écouter et les regarder. Dès lors, la responsabilité des artistes réside dans les récits qu’ils et elles proposent sur scène.

Il s’agit de refuser les grands décors inutiles qui permettent l’admiration du public – mais quand on admire, on reste dans la passivité ; il s’agit de sortir de la forme pour retrouver le fond et le faire remonter à la surface. Il ne s’agit pas d’abolir les enjeux esthétiques, mais d’affirmer la responsabilité des artistes d’aborder des sujets politiques, afin de donner au public de quoi sortir de l’apathie. Le public n’est en réalité pas la « cible », il est le·la citoyen·ne à armer.

S’il y a bien une chose dans l’évolution de notre espèce qui a été déterminante (et qui nous a différencié·es des autres animaux [19]), c’est notre capacité à inventer des histoires, à créer des mythes et à faire confiance à tout individu se reconnaissant dans les mêmes fictions que nous. Alors, pour donner aux travailleur·ses le pouvoir de produire de la valeur économique en dehors du cadre de leur emploi, – autrement dit pour changer le monde et faire la révolution – il faudra oublier notre Molière ou notre Oscar et s’organiser collectivement. Se faire confiance à nouveau. Et ce, très certainement, autour d’une nouvelle histoire. Et qui de mieux placé que les artistes-intermittent·es pour en proposer une ?

Notes

[1Dans cet article, il ne sera donc pas question du théâtre privé. Je m’attelle à analyser uniquement ce que je connais, à savoir le théâtre public.

[2… qui se traduisent par l’exploitation des un·es par les autres.

[3À noter tout de même : entre les bourgeois·es qui sont sur scène et celles et ceux qui sont dans la salle, il y a un écart d’âge significatif. Et ce sont les plus âgé·es qui regardent les plus jeunes s’agiter sur scène à coups de rêves et d’ambitions.

[4Je laisse sciemment l’accord au masculin car clairement, s’il y a des femmes metteuses en scène à cette époque, elles sont tellement évincées et invisibilisées qu’aujourd’hui je suis moi-même incapable de vous citer plus de deux ou trois noms.

[5Association d’éducation populaire qui se donne pour mission « l’engagement dans le monde militant pour coopérer à une transformation sociale, et reprendre ainsi la main face aux visées de la domination toujours à l’œuvre. »

[6Théâtre National de Strasbourg.

[7École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre, à Lyon.

[8Ils et elles n’en ont ni le salaire ni la reconnaissance aux yeux de Pôle emploi… sauf si, du jour au lendemain, un·e directeur·rice détient les moyens financiers de quitter l’intermittence et donc de… basculer en CDI. Personnellement, je n’en connais aucun·e.

[9L’objectif de la personne à la diffusion est d’amener le spectacle devant le plus grand nombre de spectateur·rices.

[10… et le spectacle une arme à braquer sur lui.

[11Direction régionale des affaires culturelles, soit l’équivalent du ministère de la Culture en région.

[12Lors d’une première représentation, petits fours et champagne sont traditionnellement de la partie ; rendez-vous mondain par excellence.

[13… bien organisé à travers les rapports de domination et de facto d’exploitation.

[14Les représentations pour les artistes se déclarent avec un système qu’on appelle cachets. Un cachet = 12 heures.

[15N’imaginez pas un grand open space tout blanc, aseptisé et situé dans une zone péri-urbaine : il s’agit d’un bureau partagé avec d’autres personnes travaillant pour d’autres compagnies dans un bâtiment municipal, type ancienne école, dans un quartier populaire de la ville.

[16Bernard Friot est un sociologue et économiste français né en 1946 à Neufchâteau (Vosges), professeur émérite à l’université Paris-Nanterre (Paris X).

[17Comme le droit de vote.

[18Dans la conférence du 8 avril 2021 à l’Université d’Évry / Paris Saclay.

[19Cf. la bande dessinée Sapiens de Yuval Noah Harari, David Vandermeulen et Daniel Casanave, créée en 2020 et publiée par Albin Michel.