La résistance culturelle face à la montée de l’autoritarisme en Inde

Les sentinelles de Raschakra, entre lectures dissidentes et réhabilitation historique

, par KUMAR Madhuresh

À l’heure où la droite indienne s’enhardit et prétend défendre l’hindouité en s’attaquant à la communauté musulmane, des groupes féministes organisent la résistance à travers des lectures collectives de textes historiques qu’elles remettent au goût du jour, et en se posant comme témoins de la situation.

Je vois la poésie comme une célébration et une confrontation. Si l’on est témoin de quelque chose, en est-on responsable ? C’est une question existentielle qui demeure sans réponse. Peut-être que oui, et peut-être y a-t-il une sorte de remise en cause énergique, nécessaire, audacieuse. Car souvent, l’important n’est pas ce que nous savons, mais ce que nous osons découvrir.
Yusef Komunyakaa, poète afro-américain

L’Inde est en plein marasme : la moindre idée, la moindre conviction, le moindre système de valeur est remis en question et renversé. Des écrivaines, chercheuses, travailleuses sociales et étudiantes féministes basées à New Delhi se sont rassemblées autour d’un activiste dramaturge renommé pour créer le collectif Raschakra, et ainsi exprimer leur fébrilité face à l’actualité. Pour se défaire de cette sensation d’oppression, Raschakra, une plateforme littéraire et culturelle ouverte, a décidé d’organiser des lectures performatives de textes anciens non fictifs, et de laisser le public se faire sa propre interprétation de notre époque. C’est l’actuel climat politique de haine, d’intolérance et de culpabilisation grandissantes envers les musulman·es, dont les coutumes, la langue et l’alimentation sont dénigrées, et dont la vie sociale est de plus en plus contrainte par la droite défendant l’hindutva (hindouité), qui a décidé Raschakra à agir et à donner ses représentations.

La première pièce du groupe, Hum Khawateen (« Nous, femmes »), reposait sur les écrits de musulmanes publiés dans des magazines en ourdou comme Khatoon, Ustani et Tehzeeb-e-Niswan entre 1905 et 1956. Des écrits retrouvés par l’une des fondatrices, Purwa Bhardwaj, et sa collègue Huma Khan, dans le cadre de leurs travaux de recherche pour le centre de ressources féministes Nirantar en 2013, publiés sous le titre Kalaam-e-Niswan (« Les mots des femmes »).Le metteur en scène de Raschakra, Vinod Kumar, estime que « dans un contexte où les musulmanes sont constamment taxées de soumises, d’opprimées, d’illettrées et de sédentaires, de victimes de pratiques comme le purdah et le triple talâq, ces textes nous ont semblé pertinents. Dans ces essais publiés dans des magazines en ourdou, des musulmanes écrivaient, il y a un siècle, sur les voyages, le tourisme, le mariage, la politique. Elles exprimaient un avis sur la société à une époque où le féminisme était un phénomène étranger. Dire que les musulmanes sont arriérées est tout simplement faux ». Ce n’est pas un hasard si le gouvernement mené par le Bharatiya Janata Party (BJP) s’est posé en sauveur des musulmanes en adoptant des lois pour mettre fin au triple talâq ; une noble intention en apparence, mais destinée à diaboliser les musulman·es.

Parmi les textes en question figuraient Khatoon (« Dame »), par Aalia Begum, qui traite des femmes et de leur obsession pour les bijoux ; School ki ladkiyaan (« Écolières »), par Zafar Jahan Begum, qui aborde les stéréotypes dont sont victimes les jeunes femmes qui vont à l’école ; ou encore Jins-e-Lateef ki Sargarmiyaan (« Rencontres avec le beau sexe »), un reportage anonyme sur des militantes politiques du monde entier et sur leur rôle dans les sphères politique et socioéconomique. L’autrice, anonyme, braque les projecteurs sur des militantes anticolonialistes en Inde, des syndicalistes de Nottingham, des partisanes de la création de tribunaux de femmes en Angleterre et des activistes du mouvement Califat à Constantinople. Enfin, n’oublions pas le fameux Gavarment hawwa nahin hai (« Le gouvernement n’est pas un ogre ») de Zafr Jahan Begum, qui encourage les lectrices à réprimer leurs craintes et à critiquer le gouvernement.

Comme me l’a dit Purwa, « mettre en lumière des écrivaines, musulmanes de surcroît, était un choix conscient. Les écrivaines demeurent méconnues, car nous vivons dans une société dominée par les hommes ; même le centenaire de la célèbre Ismat Chughtai a été passé sous silence. Ni grands festivals littéraires, ni prix, ni cérémonies. Se plonger dans le passé pour l’exhumer est un acte fort, qui permet de remettre sur le devant de la scène des écrivaines et leurs œuvres non fictives ».

Ainsi, la première représentation de Hum Khwateen a eu lieu le jour de la fête du travail, en 2016, à New Delhi, devant une audience nombreuse qui lui a réservé un excellent accueil. À Purwa se sont jointes l’écrivaine et rédactrice Alka Ranjan, la militante Shweta Tripathi et la doctorante Rizwana Fatima. Le lendemain, elles ont reçu une invitation pour leur représentation suivante de la part d’une féministe bien connue à Pune (État du Maharashtra). Après avoir assisté à la représentation, Ghazala Jamil, une professeure adjointe de la Jawaharlal Nehru University (JNU) a écrit : « Pourquoi n’avais-je jamais entendu parler de tout ça ? Comment se fait-il que ces écrits aient pu rester dans l’ombre pendant plus d’un siècle ? » Selon elle, « l’appropriation du théâtre par le féminisme à des fins politiques n’a rien de nouveau. Cependant, la représentation de Hum Khawateen qu’a donnée Raschakara n’en est pas moins pionnière, car l’esthétique adoptée fait parfaitement écho à la nature politique et à l’importance de ces écrits dans le mouvement des femmes en Inde, avec l’objectif de redonner aux opinions et aux voix des musulmanes leur place dans la sphère publique. » 

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À travers ces pièces, Raschakra s’est transformé en un espace de dialogue entre le passé et le présent. Le concept était simple : établir une programmation et laisser le public s’impliquer et débattre. Certaines craignaient que le public ait du mal à accepter ce type de représentation. Le célèbre acteur bengali Shambhu Mitra, Nasiruddin Shah, Shabana Azmi, Farooq Sheikh ou Tom Altar, autant d’acteur·rices de Bollywood bien connu·es et issu·es du milieu du théâtre, ont certes pratiqué le théâtre en solo, mais rien qui se rapproche de Raschakra. Toutefois, ayant collaboré avec l’Indian People’s Theatre Association (IPTA, Patna, État du Bihar), Vinod a compris que les spectateur·rices appréciaient la culture quand bien même ils et elles ne parlaient ou ne comprenaient pas parfaitement la langue. En effet, ces représentations sont données en ourdou, l’ourdou parlé il y a près de 100 ans, et non en hindi courant.

Les actrices ont eu du mal à trouver la bonne diction et ont dû répéter longuement. Cela n’a guère été plus facile pour le grand public. Chacune des membres du collectif ayant un emploi et des responsabilités familiales, et leur metteur en scène étant basé à Patna (Bihar), se rencontrer et répéter régulièrement s’est avéré compliqué. Mais, comme l’explique Purwa, Raschakra avait également pour but de raviver la culture addebazi, c’est-à-dire d’une réunion informelle entre ami·es tournant autour de conversations libres. De là est né ce que le collectif a baptisé Raschakra - Rasikon ki addebazi, un rassemblement informel d’ami·es partageant un même intérêt pour les arts, la littérature, la culture et la politique. La formule a plu, et ces réunions mensuelles se sont poursuivies jusqu’à ce que la pandémie vienne mettre fin aux réunions physiques. L’addebazi était une sorte de club de lecture organisé à domicile, dans un cercle privé, où d’autres étudiant·es et des ami·es et connaissances plus ou moins proches issu·es de leur cercle progressiste et partageant leur vision se joignaient à elles. La seule condition était que les participant·es ne devaient pas lire leurs propres écrits mais quelque chose qu’ils et elles avaient lu et jugé intéressant.

Des membres de Raschakra réalise une performance à un événement du OBR le 9 février 2020 à Delhi.
Crédit : Raschakra.

Le dictionnaire Merriam-Webster a élu « féminisme » mot de l’année 2017 : cette année-là, sa consultation augmentait de 70 % par rapport à 2016. Ceci s’explique par le débat qui s’est ouvert dans la foulée du mouvement mondial #metoo. Dans l’Indian Express, Swati Saxena écrivait qu’en 2017, le féminisme indien s’est concentré sur quatre thèmes : le débat sur la sécurité des femmes et l’universalité des agressions qu’elles subissent ; la régression sur le plan législatif et la répression par l’État ; les initiatives (pétitions, manifestations, etc.) lancées par des femmes et groupes de femmes courageuses ; et la reconnaissance internationale du mouvement, avec sa portée symbolique forte.

Raschakra a conscience de son époque. La même année, le groupe mettait en scène sa nouvelle pièce : Sultana’s Dream, rebaptisée par la suite Haqeeqat aur Khwaab (« Fait et fiction »). Une pièce basée sur Sultana’s Dream (« Le rêve de Sultana »), un texte de science-fiction écrit par l’éminente féministe Rukaya Shekhawat Hussain (1880-1932), membre de la Bengali Muslim Society, et publié en 1905 dans un périodique en anglais basé à Madras, The Indian Ladies’ Magazine. Il s’agit d’une des toutes premières nouvelles utopiques « ouvertement féministes » rédigées en anglais par une Indienne. Lorsque son autrice l’a écrite, elle n’en était pas à son coup d’essai, ayant déjà publié plusieurs articles en bengali portant exclusivement sur la subordination et l’oppression des Bengalaises, notamment musulmanes.

Dans une chronique, l’universitaire et écrivaine bengalaise Rousan Jahan qualifie « Sultana’s Dream » d’œuvre utopique fortement teintée de satire. L’histoire se déroule indubitablement dans le contexte indien. Par exemple, Rokeya démontre, à travers le dialogue entre Sultana et Sœur Sara, que les notions indiennes du « masculin » et du « féminin » sont indéfendables. Sultana chante les louanges de l’utopie Ladyland et représente le stéréotype indien, tandis que Sœur Sara représente un point de vue étranger. Sultana est aussi l’alter ego de l’autrice, qui tourne en dérision les stéréotypes et les coutumes de l’Inde à travers son personnage.

Rokeya était une féministe, une écrivaine, une militante et une pédagogue. Elle fut instruite par son frère et son mari, porta maintes initiatives et brandit sa plume pour galvaniser les musulmanes et dénoncer de nombreux maux sociaux. Devenue veuve à l’âge de 29 ans, elle décida de donner de son temps à la collectivité. Elle inaugura l’école pour filles Sakhawat Memorial à Calcutta en 1911, fonda l’Association des femmes musulmanes bengalaises (Anjuman-e-Khawatin-e-Islam) et continua d’écrire de la fiction et des essais et nouvelles en ourdou, en bengali et en anglais. Rokeya se concentra sur la nécessité de développer l’instruction des femmes et sur la remise en cause de coutumes telles que le mariage précoce, le purdah et le voile.

Raschakra a mis en scène un autre essai de Rokeya intitulé Degradation of Women (« La dégradation des femmes »), qui met en lumière les critiques au sein de la société musulmane, formulées par les femmes elles-mêmes il y a un siècle. Nul besoin, donc, que le gouvernement se pose en messie et en sauveur des musulmanes. Cette pièce a permis au collectif de fidéliser de nouveaux membres : la féministe et pédagogue Purnima Gupta, l’écrivaine Vandana Raag et l’ingénieure et militante de l’IPTA Rashmi Sinha.

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Désireux de s’ancrer dans l’actualité et de garder toute sa pertinence, Raschakra s’est lancé dans sa troisième production, Har Katra Toofan (« De chaque mèche une tempête »), à l’occasion des célébrations du 150e anniversaire de la naissance de Gandhi. Lors de ses déplacements à l’étranger, le Premier ministre Narendra Modi n’a de cesse de qualifier l’Inde de terre de Gandhi et de paix ; pourtant, des membres de son propre parti et d’organisations affiliées au BJP et à Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) ont fait l’apologie de Nathuram Godse, l’homme qui a assassiné Gandhi le 30 janvier 1948. Ferventes adeptes des préceptes gandhiens de la non-violence et du satyagraha, mais non moins critiques, les membres de Raschakra ont décidé de réagir.

Gandhi est à la fois loué et décrié par les fondamentalistes religieux·ses de droite, et par les féministes et les militant·es anti-castes, mais pour des raisons différentes. Raschakara étant avant tout un collectif de femmes qui ne sacralisent pas Gandhi, elles ont décidé de diffuser ce que des femmes avaient écrit à son sujet. Elles ont notamment sélectionné des écrits de l’illustre écrivaine en hindi Mahadevi Verma, d’Ismat Chughtai, de la poétesse Sarojini Naidu, de l’écrivaine en ourdou Taj Sahiba Lahauri, de la journaliste et écrivaine danoise Ellen Hørup, de la missionnaire danoise Anne Marie Petersen et de l’universitaire Emma Tarlo.

Leurs contributions sont autant d’éclairages sur les différentes facettes de Gandhi et sur son positionnement politique. Verma s’est ainsi penchée sur la beauté physique de Gandhi, tandis que Tarlo et Petersen se sont intéressées à ses conceptions vestimentaires et pédagogiques. Après sa mort, la chroniqueuse Sarojini Naidu, son amie de toujours, a écrit des lettres à Gandhi lui contant ses voyages, et lui a composé une nécrologie poignante. Ces femmes ont « dialogué » avec Gandhi et ses opinions politiques, en n’hésitant pas à les remettre en cause, préférant au statut d’adeptes inconditionnelles celui de compagnes de voyage ayant leur propre avis. Ellen Hørup voyait en Gandhi « l’apôtre qui annoncerait à l’Inde et au monde tout entier la vérité de demain : une humanité débarrassée de toute violence ». Par la suite, elle s’est distanciée de Gandhi sur de nombreuses questions, dont les castes, la lutte des classes et la religion.

La représentation de Har Katra Toofan ne visait pas à exalter l’héroïsme de Gandhi, mais à le faire dialoguer en tant que simple mortel avec des femmes tout aussi remarquables. Les lettres et les échanges de Gandhi ont été repris dans de nombreux ouvrages et articles ; c’est le cas de ses conversations avec trois Danoises, Anne Marie Petersen, Ellen Hørup et Esther Faering, publiées en ourdou par Nasir Malik. Ce dernier estime que pour Gandhi, « l’amour et la vérité sont des mots permutables qui peuvent triompher de tout. L’amour et la vérité sont les deux faces d’une même médaille, aussi difficiles à mettre en pratique l’une que l’autre. Nul·le ne peut vivre dans la vérité s’il ou elle n’aime pas toutes les créatures de Dieu ; par conséquent, amour et vérité exigent un sacrifice total. »

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Dans sa production suivante, Mohabbat Zindabad (« Célébrer l’amour »), Raschakra a fait lire 51 poèmes à des poète·sses et écrivain·es indien·nes et internationaux·les de renom, et y a fait participer d’autres membres des réunions littéraires du collectif. Cette fois-ci, le public a également pu apprécier de la fiction et des textes écrits par des hommes, afin d’apporter un éclairage différent. Mohabbat zindabad aborde l’amour sous plusieurs angles, pas seulement sous son aspect romantique. Figuraient au programme des poèmes d’écrivain·es réputé·es, tel·les que Nazeer Akbarabadi, Ibn-e-Insha, Ashok Vajpeyi, Manglesh Dabral, etc.

Comme toute production, Mohabbat Zindabad est le fruit d’un contexte bien particulier. La Saint-Valentin a toujours été fustigée par les groupes religieux d’extrême-droite, et souvent qualifiée d’anti-hindoue et de fête occidentale. Mais depuis quelques années, des groupes de défense de l’hindouité s’attaquent aussi aux mariages d’amour interreligieux, avec l’appui de la justice dans les États dirigés par le BJP. Ainsi, les gouvernements des États de l’Uttar Pradesh, de l’Uttarakhand, du Madhya Pradesh, de l’Haryana et du Karnataka ont d’ores et déjà adopté des lois anti-conversion, qui sont invoquées pour arrêter, harceler et empêcher les mariages interreligieux entre hindoues et musulmans. Pourtant, la constitution indienne protège la liberté de pratiquer sa religion, et le droit de deux adultes de se marier librement. Apoorvanand, l’un des membres associé·es de Raschakra et un écrivain et militant pour les droits renommé, affirme qu’« en adoptant son amendement controversé à la Loi sur la citoyenneté, ouvertement hostile aux musulman·es, et en criminalisant les divorces musulmans basés sur le triple talâq, le BJP ne cache pas son intention d’avoir recours à la voie légale pour museler, isoler et priver de leurs droits les musulman·es d’Inde. Ces nouvelles lois "anti-conversion" viennent renforcer l’arsenal juridique d’un parti dirigeant hostile aux musulman·es, et doivent être rejetées ».

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La plupart des représentations ont bénéficié du parrainage de diverses organisations, ce qui a permis au collectif de toucher un public très hétéroclite grâce à sa connaissance fine des problématiques abordées. Le public a certes émis quelques critiques, notamment sur la complexité des textes en ourdou, mais Raschakra voulait qu’il s’approprie cette langue, car elle fait partie de la culture composite de l’Inde. Les membres du collectif estiment d’ailleurs qu’il est plus important que jamais de jouer en ourdou en raison des attaques dont cette langue fait l’objet, et les musulman·es à travers elle. L’ourdou appartient non pas à une seule communauté mais à l’Inde toute entière. Le chemin est semé d’embûches, mais Raschakara n’est pas prêt à simplifier la langue. Le choix de la langue n’est pas anodin, pas plus que le choix des thèmes de chaque pièce.

S’il ne va pas jusqu’à en faire une forme de revendication, le groupe ne nie pas qu’il ne choisit pas les textes et les thèmes au hasard. Tou·tes les membres du collectif sont actif·ves en politique et plus particulièrement dans les cercles progressistes, et se préoccupent de la situation politique du pays.

Vinod Kumar, le metteur en scène du groupe, juge encourageante l’actuelle explosion d’une pluralité d’expressions culturelles dans diverses langues. Il y voit une réaction positive qui s’inscrit dans un mouvement de résistance plus général. « Notre représentation est en soi une réaction, déclare-t-il. Lorsqu’on voit une peinture, on ne comprend pas forcément tout, il y a une part d’abstrait, mais cela n’empêche pas de l’apprécier, d’apprécier son exécution, sa colorimétrie, ses motifs et ainsi de suite. Ça n’empêche pas les gens d’aller voir des expositions, des peintures. Eh bien dans l’Inde d’aujourd’hui, il faut prendre la parole et le faire dans une langue qui est la nôtre. »

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En quatre ans, le groupe a donné une quarantaine de représentations, avant que le Covid-19 ne vienne perturber ses apparitions publiques et ses répétitions. Il travaille actuellement sur la présentation et la mise en scène d’un classique de la poésie dramatique hindi, Andhayug (« L’ère de l’aveuglement »), écrit dans les années 1950 par Dharmveer Bharti. L’intrigue, qui a pour toile de fond la grande épopée hindoue du Mahabharat, aborde la fin d’une époque avec la bataille de Kurukshetra, qui symbolise le début d’une ère sombre et aveugle. Anushree Joshi, une jeune étudiante en littérature, s’est interrogée sur les parallèles pouvant être établis entre l’actualité et la poésie dramatique. À ce sujet, elle écrit qu’« en 2020, il y a lieu de se demander si les citoyen·nes et leurs dirigeant·es ne sont pas eux et elles-mêmes une incarnation du roi déchu et fatigué, comme en témoigne leur participation passive à la répression de la dissension, celle d’universitaires et de militant·es comme Hany Babu, Anand Teltumbde, Safoora Zargar, Devangana Kalita, Natasha Narwal, Sudha Bhardwaj, et tant d’autres qui sont jeté·es en prison par l’État indien ». La pièce apporte également un éclairage intéressant sur l’état actuel des médias indiens, qui encouragent la vilenie et la corruption qui nous entoure au lieu de les dénoncer.

Raschakra espère que son travail et sa volonté collective continueront de porter leurs fruits. Le groupe est limité par son manque total de ressources, mais il préfère qu’il en soit ainsi plutôt que de rentrer dans le rang. Mieux vaut rester un collectif soutenu par des ami·es et des sympathisant·es. La résistance culturelle est-elle en mesure d’endiguer l’essor du mouvement pro-hindouité ? Cela, Raschakra l’ignore, mais il sait qu’il a un rôle à jouer et qu’il ne faut pas en rester là, et espère que la résistance culturelle ne fera que s’intensifier.