La résistance culturelle face à la montée de l’autoritarisme en Inde

Le collectif Relaa, en lutte contre l’hindutva et l’oppression

, par KUMAR Madhuresh

Relaa, un collectif panindien d’artistes et de militant·es culturel·les dont les chansons et la musique sont imprégnées de leur vécu et de leurs luttes, peine à entretenir la flamme de son militantisme face à une pandémie qui s’éternise. Son combat trouve un écho dans une résistance culturelle globale à l’oppression d’État grandissante.

« Le gouvernement me surveille et attend le bon moment. Nous ne sommes pas que des artistes : nous faisons partie du mouvement des femmes, du mouvement syndicaliste, du mouvement étudiant, des mouvements dalits [1], des mouvements paysans... Nous sommes présent·es sur tous les fronts, et c’est pourquoi nous craignons d’être pris·es pour cible, mais notre collectif jouit d’un soutien populaire. Cela explique peut-être pourquoi le gouvernement n’ose pas passer à l’acte. »

Kaladas Deheriya est un syndicaliste, écrivain, poète et militant culturel chevronné du Chhattisgarh, un État du centre de l’Inde. Il est aussi membre fondateur du collectif culturel Relaa dont le nom, explique-t-il, désigne dans le dialecte Gondi local un grand rassemblement, un événement marquant et révolutionnaire capable de changer les choses.

La naissance du groupe a été l’aboutissement d’une série de conversations, de spectacles et de voyages qui se sont étalés sur un an entre 2014 et 2015, avec pour point de départ un rassemblement de marxistes, d’ambedkaristes (des disciples d’Ambedkar, [2] le plus fameux des leaders dalits) et de féministes en 2014, à l’occasion du festival des arts Horata (« lutte ») sur la thème de la résistance, organisé par l’ONG Maraa à Bangalore. C’était une période-charnière qui a vu l’essor de l’hindutva (le fondamentalisme hindou) et la victoire fracassante du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi aux élections générales de mai 2014, qui ont intronisé ce dernier au poste de Premier ministre. Face à des attaques de plus en plus fréquentes, les acteur·rices du milieu culturel ont ressenti le besoin de se rassembler pour repousser cette offensive en exerçant une résistance culturelle à l’échelle panindienne. Chacun des groupes qui font désormais partie de Relaa se produisait et chantait dans leur région respective, et participait à divers mouvements. Il leur fallait néanmoins se réunir au sein d’une plateforme élargie pour défendre la culture populaire face à la culture capitaliste et à l’hindutva.

Dans un autre entretien, Kaladas expliquait qu’en plus de donner une nouvelle plateforme à la musique contestataire, Relaa pouvait contribuer à unifier de nombreux·ses musicien·nes séparé·es par les barrières géographiques et linguistiques : « Je suis un Adivasi qui parle de jal, jungle, zameen (eau, forêts et terres). Yalgaar parle d’oppression de caste, et l’Indian Folk Band en fait de même à travers ses percussions. Quant à Shankar Mahanand, un musicien et dramaturge d’Odisha, lui aussi parle de jal, jungle, zameen, mais en odia. Qu’avons-nous en commun ? Tout ! Nous ne parlons pas la même langue, mais nous sommes tou·tes victimes d’oppression et avons soif d’égalité. C’est ça qui nous unit. » Le groupe a dépassé ces barrières en organisant des ateliers collectifs de composition et de chant, dont est issue leur chanson de ralliement,

Aye relaa, relaa re, aye relaa relaa re
Oui, nous lutterons, oui, mon frère, nous lutterons
C’est une lutte de longue, très longue haleine
Aye relaa, relaa re, aye relaa relaa re

Un membre de Kaladas Relaa à l’Université nationale de Droit à Bangalore, en 2016. Credit Mukta Joshi.
Crédirt : Mukta Joshi.

Relaa se définit comme un collectif de militant·es culturel·les et d’artistes indépendant·es vivant aux quatre coins du pays. Ils et elles se battent inlassablement pour préserver un espace propice à la dissension, à la confrontation d’une pluralité d’opinions, d’imaginations et d’incarnations de la résistance. Leur but n’est pas de mettre les arts au service de la politique, mais de créer des formes d’art avec rigueur, passion, ambition et conviction ; des formes d’art capables de subjuguer, d’émouvoir, de déranger et d’inciter les gens à réfléchir au-delà des faits.

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Relaa prend peu à peu de l’ampleur, et compte désormais des membres originaires du Tamil Nadu, du Maharashtra, d’Odisha et du Karnataka. Sambhaji Bhagat était un chanteur de ballades du Maharashtra déjà bien connu, tout comme Kabir Kala Manch ; en revanche, Samta Kala Manch, Yalgaar, Indian Folk Band et d’autres ont commencé à se faire un nom ces cinq ou six dernières années. Au fil des ans, les membres de cette troupe, de ce collectif se sont produit·es sur de nombreuses scènes et ont voyagé dans différentes villes. En 2016, leur premier Relaa yatra, une série d’ateliers et de représentations organisées dans des universités, des bidonvilles et des colonies de travailleur·ses à New Delhi, s’est conclue en apothéose avec une représentation à l’université Jawaharlal Nehru. Relaa s’est produit à la convention nationale de la NAPM (Alliance nationale des mouvements populaires) à Patna (État du Bihar) en 2016, au Forum des peuples des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) à Goa en 2016, à la convention nationale du Mouvement pour la santé du peuple à Raipur en 2018, à la Convention du peuple contre l’AIIB (Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures) à Mumbai en 2018, lors du Jashn -e-Sangharsh (« célébrer la résistance ») à Chaibasa (État du Jharkhand) en 2017, etc.

Les membres de Relaa se sont également consacré·es à l’organisation d’ateliers culturels en partenariat avec des mouvements populaires, afin de chanter et d’écrire les luttes et l’oppression dont ils et elles sont victimes. Au vu du paysage médiatique et politique actuel, il est crucial que les peuples opprimés se servent des outils à leur disposition pour dénoncer l’oppression et lutter contre l’exploitation et le pillage des biens communs et de la main-d’œuvre par les entreprises. La situation est dangereuse, et les modes d’expression démocratique des artistes sont gravement restreints. Des peintres, des chanteur·ses et des écrivain·es ont été assassiné·es ou jeté·es en prison, ou doivent constamment répondre d’accusations bidons devant les tribunaux. C’est particulièrement vrai dans les États dirigés par le BJP, mais la situation n’est pas foncièrement différente dans ceux contrôlés par l’opposition. « Regardez ce qui se passe dans le Bastar [une région du sud du Chhattisgarh, où les Adivasis sont pris·es en étau entre l’État et les maoïstes]. Pourtant, c’est le parti du Congrès qui y est au pouvoir. Au niveau national, le Congrès national indien est le principal parti d’opposition. Les gouvernements passent, mais rien ne change pour les militant·es », déplore Kaladas.

Lorsqu’on l’interroge sur la pandémie qui, depuis deux ans, a vidé les rues, Kaladas affirme qu’elle sert d’excuse pour étouffer toute dissension et empêcher quiconque de défendre les droits humains, de s’opposer aux expulsions, aux démolitions ou encore aux violations des droits humains. La situation actuelle est dramatique. Avant, les militant·es pouvaient exprimer leur mécontentement et sensibiliser la population à l’occasion de spectacles publics, mais le gouvernement ne veut plus en entendre parler, et refuse que ses mensonges et sa propagande soient révélés au grand jour.

Malgré les restrictions, les membres de Relaa ont continué de se produire en ligne, et parfois même dans la vraie vie. Kaladas est intimement persuadé que c’est le soutien de la population et la réputation dont jouit le collectif qui leur permettent de poursuivre leur activité. Relaa n’a pas encore pu se produire physiquement partout où le collectif le souhaiterait, mais continue d’aller à la rencontre des colonies de travailleur·ses de Bhilai, une ville industrielle du Chhattisgarh et ville natale de Kaladas. Lorsque la police et l’administration tentent d’entraver les membres de Relaa, le soutien de la population les aide grandement à s’en tirer.

Ils et elles sont également déterminé·es à ne pas se laisser étouffer par la situation, à résister et à passer outre ces restrictions. Relaa n’a d’autre choix que de continuer à chanter des pratirodh ke geet (« chants de résistance »).

Performance de membres de Relaa Balu Jambe à l’Université nationale de Droit à Bangalore, en 2016.
Crédit : Mukta Joshi.

Les membres du collectif trouvent dans leur vécu l’inspiration pour leurs chansons et leur poésie contestataires, dont les thèmes découlent de ce qu’ils et elles voient, observent et subissent. Ajit Sangrami est un journalier de l’État d’Odisha qui relève du programme public de garantie de l’emploi rural, et qui écrit et chante à propos de la corruption et de l’exploitation. Ses chansons lui viennent naturellement, me confie-t-il : elles reflètent son ressenti et ses émotions. En 2006, il a écrit sa chanson Sangrammi aami sangrami aami (« Je suis un battant ») lorsqu’il faisait partie d’un mouvement contre le pillage et le détournement de l’eau, et n’a plus cessé de composer depuis. L’hégémonie grandissante du marché lui a inspiré cette chanson :

Écoute-moi, ô, mon frère, nous vivons à l’ère du bazar
Où tout se vend, où tout est vendu,
Des céréales à nos foyers et jusqu’à nos vies
Écoute-moi, ô, mon frère, nous vivons à l’ère du bazar

Kaladas a grandi dans le dénuement le plus total, dans un village du Chhattisgarh, et a commencé à écrire des chansons dès l’école. Il a vécu la misère et la faim et a voulu exprimer sa colère face à l’exploitation des paysan·nes, des Adivasis et des ouvrier·es, et à l’accaparement des ressources par l’État et les grandes entreprises. Pour Balu Djambe de l’Indian Folk Band, le fait de jouer du djambe, un instrument de percussion traditionnel fabriqué en cuir, est une manière de revendiquer son identité et sa culture dalit, de renouer avec ses racines populaires, et de leur redonner le lustre qu’elles méritent. Les membres de Kabir Kala Manch, Yalgaar et Samta Kala Manch mettent en chansons leurs vies brisées, les vies des paysan·nes pauvres qui meurent chaque jour au champ, les vies des Dalits tué·es comme à Khairlanji ou Una, et comme cela se produit ailleurs, jour après jour. Ce sont des chansons qui reflètent un vécu, et c’est là l’essence même de l’art. Le vécu. Les rêves. La résistance et l’aspiration.

Kaladas a quitté son travail dans les travaux publics car il ne pouvait plus supporter l’exploitation des ouvrier·es et la corruption. Il avait besoin de ce poste, mais la dissonance cognitive était trop forte. C’est en rencontrant le syndicaliste et trublion Shankar Guha Niyogi à Bhilai, au début des années 90, quelque temps avant son assassinat le 28 septembre 1991 par des malfrats, que Kaladas a trouvé un véritable sens à sa vie. Niyogi l’a invité à rejoindre Chhattisgarh Mukti Morcha (Front de liberté du Chhattisgarh, CMM) et lui a confié la direction de la section culturelle. Après la mort de Niyogi, Kaladas a cofondé le Lok Kala Manch (Forum culturel du peuple), la branche culturelle du CMM. Des ghungroo (bracelets métalliques à clochettes) attachés aux chevilles et un daphli (tambourin) dans les mains, il s’est alors lancé dans une forme d’art de rue baptisée nacha, très populaire auprès des gens ordinaires des petites villes et des villages du Chhattisgarh, et s’est mis à chanter et à interpréter des chansons inspirées du quotidien.

Lorsque la militante Sudha Bhardwaj, l’une des forces vives du CMM et la secrétaire générale de la PUCL (Union populaire pour les libertés civiles) au Chhattisgarh, a été incarcérée en 2018 sous le prétexte d’accusations montées de toutes pièces dans l’affaire Bhima Koregaon, c’est à Kaladas et à ses collègues qu’a incombé la tâche de maintenir l’union à flot et de se battre pour la libération de Sudha. Il s’efforce de préserver l’unité au sein de l’équipe culturelle, de poursuivre les activités du CMM et de remplir son rôle d’organisateur de la NAPM depuis le Chhattisgarh.

La plupart des membres de Relaa au Chhattisgarh sont des journalier·es, des ouvrier·es ou des enfants d’ouvrier·es qui font partie du CMM. Certain·es ne s’intéressent qu’à sa dimension culturelle, mais nombre d’entre elles et eux croient fermement au militantisme culturel et ont choisi de faire de la culture une forme de lutte. Ils et elles étudient ou font des petits boulots tout en étant membres de l’équipe. Geet Deheriya, le fils de Kaladas, fait des études de droit tout en s’investissant dans l’équipe culturelle. Pawan, lui aussi membre, est un vendeur de vêtements qui fait du porte-à-porte jour après jour.

On retrouve le même son de cloche chez tous les membres de Relaa dans les autres États. Ajit Sangrami, de l’Odisha, est un brahmane qui a renoncé à marcher dans les traces de son père en devenant prêtre, et gagne sa vie en faisant divers petits boulots, notamment manuels, selon ce qu’il trouve lorsque Relaa se produit en public. La structure de Relaa est floue, et personne ne centralise l’appui logistique, mais chacun·e de ses membres estime que son appartenance au collectif est une contribution à la résistance culturelle. Elles et ils s’inscrivent dans la Sanskritik Andolan (« résistance culturelle »), soutenue par les dons et les contributions de la population.

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Les compositions et chansons des différents groupes s’inspirent de leur quotidien respectif, mais ils se réunissent régulièrement à l’échelle nationale pour discuter et se mettre d’accord sur leurs spectacles et créations. Ils se sont par exemple rassemblés en 2020 à l’occasion d’un spectacle en ligne organisé par Maraa sur le thème « On ne peut arrêter des idées », ou il y a quelques mois lorsque la célèbre militante et dramaturge Veera Sathidar est décédée du Covid-19, en mai 2021. Ensemble, ils et elles ont milité pour la libération de Sudha Bhardwaj et d’autres prisonnier·es politiques. À l’occasion du mouvement contre le CAA (l’Amendement de la loi sur la citoyenneté indienne), ils et elles ont écrit des chansons pour les manifestations de Shaheen Bagh. Les membres du collectif ont entonné la chanson Halla bol (« Exprime-toi »), écrite par Kaladas à la suite d’un énorme rassemblement d’Adivasis qui protestaient contre des exécutions extrajudiciaires à Jagdalpur (Chhattisgarh). Leurs chansons et spectacles s’inspirent souvent de ces expériences vécues. Les obstacles sont nombreux, et les membres de Relaa sont souvent la cible d’accusations, mais elles et ils tentent de riposter à travers leurs créations, et c’est là l’essentiel. Pour Kaladas, la dualité (le yin et le yang) fait partie de la nature. C’est la dualité de la solidarité et de la lutte qui les incitent, lui et ses camarades, à aller de l’avant et à continuer de composer et de chanter.

Les débats, les discussions et les désaccords sont nombreux lors de leurs réunions, car les membres de Relaa viennent des quatre coins de l’Inde et parlent des langues différentes. Mais ils et elles ont su concilier leurs différences et ont mis au point des techniques pour traduire les chansons dans plusieurs langues et leur faire honneur, et vont jusqu’à intégrer des mots ou des expressions d’autres langues dans leurs chansons, souvent multilingues et chantées d’une même voix par tou·tes.

Kaladas est actif dans le milieu depuis plus de 30 ans et a traversé des périodes difficiles ; il estime pourtant qu’aujourd’hui, l’influence du fascisme est plus marquée que jamais. Jadis, la résistance était nettement plus farouche. Il se souvient que suite à l’assassinat d’Indira Gandhi par ses gardes du corps sikhs en 1984, Niyogi lui avait dit que personne n’attaquerait les Sikhs, et le CMM a veillé à ce que les Sikhs soient en sécurité au Chhattisgarh. De même, après la démolition de la mosquée de Babri en 1992, de nombreuses émeutes ont éclaté dans plusieurs régions du pays, mais le CMM a été garant de la paix au Chhattisgarh. Kaladas déplore le fait que de nos jours, les forces de l’hindutva soient bien plus puissantes que nous. Certes, il y a des obstacles, des réticences, des faiblesses en nous-mêmes, dans l’organisation et le mouvement, mais il n’en reste pas moins que la répression est plus féroce de nos jours.

Kaladas reste optimiste quand il constate qu’une nouvelle génération de musicien·nes contestataires a vu le jour ces dernières années, face à la situation du pays. Certain·es proviennent d’autres classes sociales : jeunes diplômé·es, humoristes de stand-up, rappeur·ses, etc. Il se réjouit de constater que malgré l’influence du système capitaliste, ces nouvelles recrues s’associent aux mouvements et tendent la main à la nouvelle génération. Les morceaux de rap et de hip-hop attirent de nouvelles personnes ; c’est une autre vision de la culture qui se fait jour, ce qui est une bonne chose. Il y a de quoi s’en féliciter, mais nous ne devons pas pour autant oublier notre passé ni notre histoire culturelle. Il nous faut utiliser de nouveaux outils, sans pour autant délaisser nos vieux instruments.

Malgré tout, Kaladas demeure optimiste. Selon lui, « les gens se soulèvent et se rebellent chaque fois qu’il y a une crise. Cela fait longtemps que le mouvement paysan est actif, et le gouvernement a beau dire que ce mouvement n’a rien changé à la situation, nous savons que c’est faux. Le gouvernement le sait aussi bien que nous. C’est pareil pour la résistance culturelle : le résultat n’est pas forcément visible, tangible, mais il est bel et bien là, et nous le savons. Nous savons qu’elle a une incidence et qu’elle contribue à un changement. Relaa s’est agrandi au fil du temps. Nous ne serons peut-être plus là pour assister aux transformations sociales et à l’évolution globale de la société, mais peut-être que nos enfants ou petits-enfants seront témoins de ce changement et connaîtront une époque meilleure. »

Kaladas et ses collègues estiment qu’aujourd’hui, seule la résistance culturelle est à même d’enclencher un véritable changement. Mais aussi cruciale soit-elle, elle reste trop confidentielle. Il faut qu’elle se développe. Les forces de l’hindutva ont fait la promotion de leur propre culture religieuse qui se reflète dans de petites choses, comme la sonnerie de téléphone bhajan. Peu d’entre nous oserions en faire de même avec des chansons progressistes. Nous devons nous battre à une microéchelle, susciter de petits changements et donner corps aux formes de résistance du quotidien, que ce soit à travers l’écriture, le chant, les spectacles, etc. L’art est aussi un mouvement, qui ne peut être envisagé séparément des autres mouvements.

Notes

[1Dalit, achuta ou intouchable : personne extérieure au système des quatre castes de l’hindouisme et qui leur est jugée inférieure dans la hiérarchie sociale. Historiquement, les Dalits étaient des tanneur·ses, des chiffonnier·es, des ouvrier·es agricoles sans terre et des paysan·nes pauvres. Toutefois, une petite minorité s’est détachée de sa condition pour s’orienter vers d’autres professions plus intellectuelles, dont l’accès lui était traditionnellement barré, comme l’administration et le monde académique. Le terme dalit, adopté par les Dalits eux et elles-mêmes, peut se traduire par écrasé, piétiné, ou opprimé. De nos jours, on parle officiellement de castes répertoriées, un terme basé sur le système colonial britannique de catégorisation sociale. Dans le passé, d’autres termes étaient employés pour désigner les Dalits. Gandhi les dénommait les Harijans. Nombreux·ses sont les Hindou·es de caste qui usent de termes injurieux pour les désigner, lesquels changent d’une région à l’autre.

[2Dr Bhimrao Ramji Ambedkar (1891‑1956) : l’un des hommes politiques indiens les plus influents du XXe siècle et fondateur de la rhétorique dalit en politique indienne, il contribua aussi à un renouveau du bouddhisme en Inde (néo-bouddhisme). En tant que premier ministre de la Justice de l’Inde indépendante et président de l’assemblée constituante chargée de la rédaction de la constitution du pays, il est aussi considéré comme le « père » de la constitution indienne. Il a quitté son poste de ministre de la Justice en 1951, lorsque le parlement a rejeté son projet de loi hindoue qui visait à promouvoir l’égalité des genres. Son jour de naissance, le 14 avril, est un jour férié en Inde, connu sous le nom d’Ambedkar Jayanti. De nombreux·ses Indien·nes le surnomment affectueusement Babasaheb. Dans les cercles progressistes et chez les Dalits, il est fréquent de dire « Jai Bhim ! » (en référence à son prénom) en guise de salutations. En 1990, le gouvernement indien lui a remis, à titre posthume, sa plus grande distinction civile, le prix Bharat Ratna.

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Madhuresh Kumar milite auprès de la NAPM India et est chercheur associé en égalité sociale et économique auprès de la London School of Economics.

Traduction de l’article depuis l’anglais : Adrien Gauthier.