« Quand on a des lacunes, que l’on a des origines différentes, que l’on est issu de l’immigration et d’une minorité, on doit donner plus, toujours plus. C’est une question vitale. » Sahouda Maallem est fondatrice et directrice de 13 A’tipik, un atelier de couture basé à Marseille, spécialisé dans l’upcycling et qui donne leur chance à des personnes en demande d’asile, en situation de handicap ou éloignées du monde du travail. le Ravi avait visité cet atelier de couture pas comme les autres en 2016 (cf le Ravi n°140). Aujourd’hui, 13 A’tipik emploie une trentaine de salariés, sous-traite pour des fabricants comme Sessun, et a même créé sa propre marque, Capuche, à base de vêtements de sport des années 90 recyclés. Sahouda Maallem a toujours le sourire aux lèvres et une énergie débordante. Elle fait partie de ces Méditerranéennes combatives et résilientes qui ont trouvé la capacité et la force en elles de dépasser leur condition, leurs traumatismes, le chemin qui leur était tracé pour se construire avec courage.
« Je ne baisse pas les bras car je veux prouver que c’est possible d’y arriver. Qu’à force de persévérance on peut faire des choses. Cette force je la tiens de ma vie personnelle », explique la fondatrice de 13 A’tipik. D’origine algérienne, elle grandit à Avignon dans une fratrie de 11 enfants. Son mari meurt brutalement et elle se retrouve jeune veuve à devoir élever ses enfants seule, dont sa fille handicapée. Seulement un CAP en poche, elle est embauchée par la Mission locale du quartier Monclar à Avignon. Elle y fera ses armes dans l’insertion pendant 27 ans. Entre temps, elle étudie l’anthropologie pour comprendre au mieux les populations qu’elle reçoit. En 2000, elle crée avec sa sœur couturière un premier atelier d’insertion Chez Babel, toujours à Monclar. En 2010 elle s’inscrit en master 2 « Economie sociale et solidaire » à Marseille. Dans cette ville où elle n’a aucun réseau, elle décide pourtant de créer un autre atelier d’insertion par la couture. « C’est un peu dur, mais c’est ma vie. Cette force c’est aussi ce que je veux transmettre. J’ai trente collègues aujourd’hui. Et je ne peux pas me permettre de baisser les bras », insiste la fondatrice. Et quand ça ne va pas ? « Ben je pleure ! », sourit-elle. « Mais tant que je suis en vie, sans maladie grave, je ne peux pas lâcher. C’est mon schéma mental qui est comme ça. »
Une femme forte
Sakina, 53 ans, et Fadila, 46 ans, se sont connues à la cité La Castellane, dans le 15ème arrondissement de Marseille. La première a grandi dans les bidonvilles des quartiers nord, la seconde est arrivée de son Algérie natale en 2000. Jusqu’en 2012 leurs vies ressemblaient à celles des autres mamans de la cité, entre précarité et enclavement. Et puis, grâce à l’association 3,2,1, elles décident de se réunir entre femmes pour prendre la parole et créer leur propre journal, La Baguette magique. Au début de l’aventure, le Ravi les a accompagnées, à travers des ateliers de journalisme participatif. A l’époque, Fadila avait toujours le regard triste, au bord des larmes. Elle se battait contre la dépression. La Baguette magique lui a ouvert d’autres horizons.
Aujourd’hui l’équipe de rédactrices s’est autonomisée. Pour Fadila qui rêvait d’écrire, c’est devenu une réalité. L’habitante de la Casté a le sourire car elle a retrouvé confiance en elle et tout lui paraît possible désormais. Fadila a terminé une formation d’auxiliaire de vie et compte poursuivre pour devenir aide soignante. « Avant je restais enfermée à la maison, explique Fadila. Je m’étais construit un monde replié sur moi, avec mes peurs. Je n’avais pas de travail. Grâce à La Baguette j’ai rencontré des gens qui m’ont écoutée, respectée et fait confiance. J’ai appris plein de choses mais j’ai surtout appris énormément sur moi. J’arrive enfin à exprimer mes émotions et à donner mon avis. Je n’ai plus peur. » Et de poursuivre : « Lutter contre la dépression reste un combat mais il est presque gagné. Avant j’avais l’impression d’être attachée à une corde comme si j’étais limitée dans mes mouvements. Aujourd’hui je sais que je suis une femme forte. » Pour Sakina, le cheminement est le même. « La Baguette magique m’a permis de sortir de mon cocon. Je m’exprime plus, je suis moins timide, je souris plus, souligne-t-elle. Ça a permis de montrer que dans les quartiers il n’y a pas que « du pourri » mais qu’il y aussi de belles choses. »
Partir pour se sauver
Rania a 35 ans, d’origine égyptienne, elle est arrivée à Marseille il y a une dizaine d’années. Et depuis deux ans elle a la nationalité française. Un grand soulagement pour elle qui, son visa étudiant expiré, a vécu pendant des années dans la peur d’être renvoyée en Égypte. Pour les femmes coptes comme elle, issues d’un milieu populaire, le chemin est tout tracé : on est marié à un homme de la communauté et on fait des enfants. Rania, elle, voulait faire des études et devenir une femme libre et indépendante. « Si j’étais restée en Égypte, je n’aurais jamais pu lutter contre cette fatalité, car il aurait fallu que je rentre dans une case, celle de ma famille et celle de la société. J’avais besoin de créer un « tiers lieu » pour m’épanouir. Alors je suis partie », souligne la jeune femme. « Mes ressources je les ai trouvées dans la langue française et dans la transculturalité. »
Son père, Rania l’a par Skype le dimanche matin. Il y a beaucoup d’amour entre eux, mais parce qu’il ne comprendrait pas ou par peur de lui faire de la peine, sa fille lui dit très peu de choses sur sa vie française. Notamment qu’elle vit en couple… « Quoi qu’il en soit, le mensonge et la dualité font partie de mon histoire. Même quand j’étais en Égypte, je ne pouvais pas parler à mes parents des gens que je rencontrais, ni de ce que je faisais. Il y avait un fossé entre ce que je voulais être et ce qui m’attendait en restant dans cette société », avoue Rania. Et de poursuivre : « Mais ce mensonge, même dix ans après, est implicitement consenti, car en face on ne veut pas être heurté par ce que je pourrais dire ou vivre. »
Quand le doute l’assaille, Rania avoue qu’elle s’en veut un peu, mais ça ne dure jamais bien longtemps : « Car même si j’étais restée en Égypte, ça aurait été un suicide à petit feu, et je n’aurais jamais été celle qu’ils attendaient. Je suis née dans un lieu et un contexte où il n’y avait pas d’autre issue que de partir. » Pour elle, la reconnaissance administrative à travers sa naturalisation est venue définitivement valider son choix et ôter le sentiment de culpabilité. « Je n’ai désormais plus ce lien de subordination à un État qui ne me ressemble pas. Ça ne m’a pas donné plus de légitimité mais mon père a enfin compris que c’était quelque chose de primordial pour moi », souligne-t-elle. Et de conclure : « Je ne pense pas que la résilience est à la portée de toutes. J’avais le sentiment fort, depuis petite, qu’il fallait que je me sauve dans tous les sens du terme. Ma mère est née dans un autre contexte et même si elle s’est rebellée au début, elle a fini par subir ce que la société lui a imposé, pareil pour mes sœurs. »
Parler pour guérir
Il y a un an, le hashtag #IwasCorsica sur Twitter secouait l’Ile de Beauté. Pour la première fois, des femmes corses brisaient le silence et l’omerta pour dénoncer les agressions sexuelles et les viols dont elles sont victimes. Anaïs Matteï, 23 ans, est l’une d’entre elles. Son viol a eu lieu en 2018.
« Quand c’est arrivé, je n’ai pas mis de mots dessus. J’en ai parlé à ma meilleure amie en lui disant que le rapport que j’avais subi était bizarre, violent et pas consenti », explique Anaïs. La première fois qu’elle a parlé publiquement de son viol, c’était via les réseaux sociaux. « C’était un trop plein, on en avait marre d’être réduites au silence, explique la jeune femme. Si on ne parle pas, on ne peut pas se soigner. » Avec d’autres, elles décident alors dans la foulée de créer l’association Done e Surelle et de descendre dans les rues de Bastia, puis d’Ajaccio, pour faire entendre leurs cris de colère et pour que ces agressions cessent d’être taboues.
« Parler nous a libéré d’un poids. On a compris que l’on n’était pas seule, que d’autres avaient vécu la même chose que nous. Aujourd’hui j’arrive à parler de mon expérience plus librement, sans pleurer, sans m’énerver », souligne Anaïs qui milite pour que les agressions sexuelles cessent d’être un tabou en Corse. Le 20 juin, elles descendront de nouveau dans la rue pour se faire entendre, un an après. Et pour dénoncer la lenteur de la justice. Elles sont quatorze à avoir déposé plainte. Mais à ce jour, rien n’avance.