Les droits des femmes en Méditerranée

Violences conjugales en Méditerranée confinée

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Si sur chaque rive le confinement a sauvé des vies, pour les femmes victimes de violences conjugales il les a surtout mises en danger encore plus qu’à l’accoutumée...

Le 4 avril dernier, en plein confinement, un policier pénètre dans le commissariat central d’Alger. Non pour embaucher, mais pour se rendre. Il vient d’abattre sa femme avec son arme de service devant leurs quatre enfants… Ce féminicide est le onzième depuis le début de l’année 2020 en Algérie. La Turquie aussi compte ses mortes : 29 depuis le début du confinement. Israël enregistre quatre suicides, deux hommes et deux femmes, liés à des violences domestiques. A Casablanca, c’est une mère de famille qui a ébranlé l’opinion publique. À la suite d’une énième dispute conjugale, début mai, elle aurait tué ses trois enfants avant de tenter de se suicider.

« La violence ne se cantonne pas aux champs de bataille […] Ensemble, nous pouvons et devons empêcher la violence partout, dans les zones de guerre comme dans les foyers, tandis que nous nous efforçons de vaincre le Covid-19. » Dans son discours du 6 avril dernier, le président de l’ONU, le Portugais Antonio Guterres, exhorte les pays à prendre les mesures nécessaires pour empêcher que les femmes ne se retrouvent prises au piège d’un mari violent en plein confinement. Certains États ont fait des efforts en mettant en place des numéros d’urgence et en renforçant l’offre d’hébergements à destination des victimes. Mais le plus souvent ce sont les associations qui ont pris le relais, avec beaucoup de difficultés et peu de moyens pour la plupart.

Difficile appel à l’aide

En France, chaque année environ 220 000 femmes sont victimes de violences physiques ou/et sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes a annoncé une augmentation de plus de 30% pendant le confinement au niveau national. Valérie Secco, directrice de SOS Femmes 13 a constaté une baisse des appels pendant les deux premières semaines de mars. Mais elle explique qu’il est « prématuré d’en tirer une conclusion » et que surtout il est important de recontextualiser. Les femmes se sont retrouvées dans une situation inédite, avec un quotidien à réorganiser, coincées au foyer avec un homme violent, et très peu de moments seules pour pouvoir appeler sans se faire surprendre. « Ce qui nous a été rapporté, dans les appels reçus, c’est une exacerbation et une accentuation des violences », souligne Valérie Secco. Les Bouches-du-Rhône sont le deuxième département de France en matière de violences conjugales avec, en 2018, 5 000 faits recensés en constante augmentation depuis trois ans. La préfecture de police constate une baisse des dépôts de plainte (461) sur la période du 17 mars au 11 mai 2020, mais des appels en hausse au 17 pour violences conjugales. Elle ne déplore aucun féminicide, idem au niveau régional à ce jour. Peu de récidives mais beaucoup « de premières fois », selon Didier Khatchadourian, brigadier-chef de police à Marseille, spécialiste de ces violences (AFP).

L’Olympique de Marseille a mis à disposition jusqu’au 15 juin son centre d’entraînement pour héberger les femmes qui ont dû fuir le foyer en urgence avec leurs enfants. Au total à ce jour, 83 personnes ont été accueillies. SOS Femmes 13 s’en réjouit et espère une poursuite du dispositif par la suite. Sur la période, le gouvernement a déclaré mettre à disposition 20 000 nuitées d’hôtel. Dans le Vaucluse, l’association Rheso déclarait à France 3 début mai, ne pas en avoir vu la couleur, laissant deux-tiers des femmes en demande sur le carreau. L’association Le Cap, dans le Var, n’en a pas non plus bénéficié. « C’est nous qui payons les chambres d’hôtel si besoin, mais en temps de confinement ça a été très intense et compliqué à gérer car la plupart étaient fermés et les transports fonctionnaient très peu », souligne Louisette Maret, sa directrice, qui en cette période a relevé « des situations de plus grande urgence » dans les appels reçus. Et beaucoup d’ex-conjoints qui sont revenus à la charge, brisant le confinement.

Des chiffres en hausse

Dans certains pays, la mise à l’abri d’urgence n’existe pas et la femme doit bien souvent réintégrer le domicile conjugal au péril de sa vie. Au Maroc, où selon une étude publiée l’an dernier à la même période plus de 54 % des femmes seraient victimes de violence, Fatima Zohra Chaoui, avocate et présidente de l’Association marocaine de Lutte contre la violence à l’égard des femmes (AMVEF), créée en 1995, s’inquiète. « Dans ce confinement, rien n’a été pensé pour les femmes, aucun hébergement, aucune aide matérielle » , explique-t-elle. Sans grands moyens financiers pour se déplacer et avec des tribunaux fermés, tout devient compliqué. « On peut déposer plainte en ligne mais souvent les femmes sont analphabètes et ne peuvent se servir de l’outil informatique », note l’avocate. La loi 103-13 de lutte contre les violences faites aux femmes proclamée en 2018, si elle a permis quelques avancées, est très critiquée par les associations. « Elle est répressive mais pas préventive et très peu protectrice pour les femmes », souligne l’avocate. Avec un accès à l’administration très compliqué, et une pression familiale et sociétale forte, seulement 3% des Marocaines déposeraient plainte contre leur mari violent.

En Algérie, les victimes ne sont pas mieux loties. Si là aussi une loi existe, une de ses clauses fait débat, celle du « pardon ». Si la femme accepte de pardonner à son agresseur, alors toutes les poursuites contre lui sont levées. On imagine aisément la pression sur les victimes… D’autant plus en cette période de confinement où la famille élargie se retrouve sous le même toit… « Plus que de violences conjugales, nous on préfère parler de violences intrafamiliales, car souvent l’épouse vit avec ses parents ou sa belle famille, dont elle subit aussi des violences », précise Fadila Chitour, présidente du réseau Wassila qui regroupe depuis 20 ans plusieurs associations féministes. En Algérie, il n’y a pas de confinement mais un couvre feu élargi qui peut s’étendre de 15h à 7h le lendemain matin. « Outre le problème de pandémie, le Ramadan met également les femmes dans un tourbillon de tâches ménagères qui ne leur permettent pas d’émerger et de penser à elles », souligne la militante. La psychologue et la juriste de l’association ont maintenu la ligne d’écoute jusque tard en soirée et ont dû user de stratégies comme se faire passer pour des amies afin de ne pas éveiller les soupçons du bourreau. « Mais cette période nous a aussi agréablement surprises car on s’est aperçu que les victimes faisaient preuve d’une grande créativité. Alors que tout était fermé, certaines ont pensé à photographier leurs blessures en attendant de pouvoir consulter un médecin, ou à enregistrer les propos de leur agresseur. C’est un énorme progrès ! », se réjouit Fadila Chitour. Elle est heureuse aussi de constater que certains tribunaux ont priorisé les plaintes pour violence. « On a même eu l’écho d’un gendarme qui a donné un portable d’urgence à une femme en danger, du jamais vu jusqu’ici ! », note-t-elle. Si la volonté politique manque à l’appel de même que des données fiables, Fadila Chitour s’attache à ces notes d’espoir.

En Turquie, où les associations ont demandé aux voisinages d’être vigilants sur les cas de maltraitance, les violences conjugales auraient bondi de 80 % avec des dépôts de plainte en baisse et des femmes effrayées par les représailles. En Tunisie, les chiffres auraient été multipliés par 5 par rapport à 2019 à la même date. Si la loi tunisienne en la matière est l’une des plus protectrices du monde arabo-musulman, l’association des Femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (AFTURD) explique qu’elle a dû faire pression auprès des tribunaux pour que les plaintes pour violence soient prioritaires. Et si la loi existe, le budget de l’État ne suit pas pour assurer la sécurité des victimes. Même en Espagne, l’un des pays modèles dans la lutte contre les violences conjugales, le confinement a laissé des séquelles : les chiffres sont en hausse de 65 % et au moins deux femmes auraient perdu la vie sous les coups de leur conjoint…

Les enfants d’abord

« Sur les 83 personnes accueillies en urgence à la Commanderie de l’OM, on comptabilise 45 femmes et… 38 enfants, souvent des fratries de quatre ou cinq », précise Valérie Secco, directrice de SOS Femmes 13. Une des mamans est arrivée avec son bébé d’un mois, son mari la battait alors qu’elle avait le nouveau né dans les bars… Dans les cas de violences conjugales, l’enfant témoin est aussi considéré comme une victime. Le numéro d’urgence pour enfant en danger a dû faire face à une hausse de 35 % du nombre d’appels au niveau national.
Le réseau Wassila, en Algérie prend aussi cette problématique très au sérieux. « On estime à 20 % les cas de maltraitances sur enfants pendant le confinement. Lorsqu’une femme nous appelle, on pose aussi des questions sur l’enfant afin d’évaluer ce qu’il en est vraiment des jeunes victimes en cas de violences conjugales », explique la présidente Farida Chitour. En 2019, en France 21 enfants sont morts lors d’actes de violences conjugales.