Les droits des femmes en Méditerranée

Méditerranée : Femmes en exil

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Les femmes représentent 50 % des migrants. La misère et la maltraitance les ont souvent poussées à partir. Seules ou avec enfants, sur le chemin de l’exil en Méditerranée, elles sont des proies faciles. 

Comme tous les jeudis depuis quatre mois, Fatima, Hayat, Désirée [1] et Amber [2] participent à l’atelier d’écriture [3] au Centre d’accueil des demandeurs d’asile de Marseille. Chacune a fait un long voyage pour arriver jusqu’à nous. Elles sont là pour mettre des mots sur ces parcours de vie en traversant les pays de la Méditerranée, seules ou avec enfants, parfois nés au hasard des frontières. Fatima, 29 ans, est arrivée du Tchad il y a deux ans avec ses trois enfants. « On a dormi plusieurs mois à la gare du Nord tous les quatre avant qu’on nous trouve un appartement à Marseille. Mais si je me suis enfuie c’est pour sauver mes filles », explique la jeune mère. Fatima parle bien le français, l’une des langues officielles du Tchad, elle a toujours le sourire aux lèvres et un humour à toute épreuve. Mais son visage s’assombrit lorsqu’elle raconte son mariage forcé adolescente : « Il y avait beaucoup de monde à la maison. J’ai d’abord cru que quelqu’un était mort. Ma mère n’a rien dit. Je n’ai pas compris. Elle, ma grand-mère et ma tante m’ont déshabillée et ont lavé tout mon corps avec de l’eau et du parfum. J’ai demandé pourquoi ? Elles ont gardé le silence. » L’émotion se fait sentir, mais elle poursuit : « Elles m’ont enfilé une robe et ont recouvert mon visage d’un grand et long voile. Sans un mot. Je pleurais. Je venais de comprendre que j’allais me marier. J’avais 14 ans. » Lorsqu’elle soulève son voile, elle découvre que l’homme qu’elle doit épouser est en réalité son frère de 32 ans. La suite n’est que violences et viols à répétition. De cette union forcée naîtront quatre enfants. Lorsque sa fille aînée atteint ses 13 ans, elle est enlevée et à son tour mariée de force. « Je ne sais pas où elle est. Tous les jours je pense à elle. Je suis partie pour que mes deux autres filles ne subissent pas le même sort », poursuit la jeune femme.

Mariage forcé et excision

Hayat lui caresse le bras pour calmer ses pleurs. Les deux femmes se sont liées d’amitié depuis qu’elles sont hébergées au Cada de Marseille. Hayat a quitté l’Ethiopie en décembre 2016 avec son bébé et son mari car ce dernier était persécuté. Elle a traversé le Soudan, puis la Libye où elle est restée six mois, avant d’arriver en Italie puis en France, soit deux ans de voyage. Elle, raconte son excision et ses mutilations génitales à 11 ans et les années de douleur qui s’en sont suivies. Et puis la France, l’opération, et un semblant de vie retrouvé. Une vie qu’elle a envie de croquer. « Ici, les femmes sont libres, elles peuvent étudier, travailler, aller à la plage, faire les mêmes choses que les hommes si elles le veulent, raconte-t-elle. A Marseille, je connais tous les bus et tous les métros, je peux aller me promener ou faire mes courses toute seule. Je veux aller partout et je veux tout faire. J’ai appris à faire du vélo, sur celui de mon fils. Et je saurai conduire une voiture un jour. » Et d’ajouter : « La France c’est une mère, c’est elle qui m’a donné la vie. Aujourd’hui, je suis comme une petite fille qui a tout à apprendre. Avant, en Ethiopie j’avais les yeux fermés, ici, enfin, ils sont grand ouverts. »

Désirée et Amber, bébés sur les bras, sont originaires du Nigeria, la première est partie car son mari était victime de la mafia nigériane des « bérets bleus ». Ces confraternités étudiantes dites « cultistes » sont devenues des mafias très violentes. Avec des rites initiatiques qui le sont tout autant : passage à tabac pour les hommes, avec cautérisation des blessures à l’alcool afin de les marquer à vie, et viols collectifs pour les femmes. Dans le pays, ces mafias se partagent les réseaux de traite, de vente de drogues dures et de vol organisé. Ces mafias sont arrivées jusqu’à Marseille et ont retrouvé son époux. « J’ai peur pour mon bébé. On est passé par beaucoup d’épreuves comme notre passage en Libye », évoque-t-elle sans vouloir s’appesantir sur les détails sordides. Tout ce qu’elle espère ce sont des papiers pour vivre en paix ici. Quelques jours plus tard, Désirée et sa famille seront mises à l’abri, loin de Marseille, ça la rassure. Comme beaucoup de Nigérianes, Amber a vécu un parcours de prostitution forcée pour rembourser la dette du départ contractée au pays. Mais pour elle, il est encore trop difficile d’en parler.

Victimes de réseaux de traite

Longtemps, la migration féminine a été perçue comme une migration familiale, ce qui n’est plus vraiment le cas. Les femmes représentent désormais 50 % des personnes migrantes. En 2017, 35 % des demandeurs d’asile et 40,5 % des personnes sous la protection de l’Ofpra. Elles sont aussi plus vulnérables, souvent victimes de violences et de viols. A la frontière italienne, la militante Térésa Maffeis, de l’Association pour la démocratie à Nice (Adn) voit arriver sur le sol français des jeunes femmes qui bien souvent se prostituent depuis la Libye pour les plus jeunes. « Elles sont seules ou avec un enfant. Parfois elles forment aussi des couples avec des hommes qui ne sont pas vraiment les leurs. Elles facilitent leur prise en charge contre une protection, raconte la militante des droits humains. Elles ont des regards tristes, certaines sont prostrées. Sur cette route d’exil, elles ont pris beaucoup de risques. En arrivant en Europe, elles imaginent une vie plus douce, mais le parcours est encore long. » A Toulon, Muriel Huré, qui gère bénévolement l’Amicale du Nid, rencontre celles qui sont enrôlées dans les réseaux de prostitution : « Au début, il y avait quelques Roumaines, aujourd’hui ce sont principalement des Nigérianes. Elles ont entre 17 et 35 ans et ont toutes le même parcours et son originaires de Benin City, dans le sud du pays. » Et d’ajouter sur cette misère humaine : « Quand elles arrivent ici, le plus souvent elles ne connaissent pas la valeur de l’argent et certaines font des passes à deux euros… » La bénévole dénonce la difficulté que rencontrent ces femmes à déposer plainte, et surtout le manque de volonté politique pour mettre fin cette traite d’êtres humains.

A Marseille, l’association Maison de la jeune-fille Jane Pannier prend en charge sur environ deux années une vingtaine de femmes en exil victimes de traites au sein de son Huda (Hébergement d’urgence pour demandeur.ses d’asile). Le plus souvent des Guinéennes et des Nigérianes, seules ou avec enfants mais pas que. « La traite est sexuelle mais aussi parfois domestique. Certaines Marocaines se retrouvent confinées dans des logements et servent de « petites bonnes » à des familles qui les exploitent en leur faisant peur. Elles viennent souvent de régions pauvres du pays », explique Olivier Landes, directeur général de l’association.

Au centre de soin en santé mentale Osiris, toujours dans la cité phocéenne, ce sont les mots que l’on cherche à faire sortir. Le centre gère une file active de plus de 240 patients, 34 nationalités, dont presque la moitié sont des femmes, et s’est spécialisé dans les victimes de répression politique. « Nous n’avons pas toujours accès à leur histoire. Mais nous traitons les souffrances en lien, les insomnies, les cauchemars, la perte de mémoire… Nous travaillons sur les conséquences », explique Julia Masson, coordinatrice et psychologue sociale de la structure. Les patientes viennent majoritairement du Kosovo, d’Albanie, de Côte d’Ivoire et encore et toujours du Nigeria. Le suivi dure en moyenne deux à trois ans, l’interprète fait partie intégrante de la prise en charge. La structure croule sous les demandes et a donc choisi, depuis trois ans, de former des professionnels de santé mentale à l’exil et au trauma, ainsi que des interprètes. Et la psychologue de conclure : « La mise à l’abri des patientes est très importante afin qu’elles se sentent sécurisées, au risque sinon de renforcer une souffrance existante ou de réactiver des choses vécues. »

Défendre ses droits

C’est une histoire de courriers non distribués les privant de leur accès au recours qui a poussé une centaine d’usagers de la Spada (Structure de premier accueil des demandeurs d’asile) de Marseille à monter eux-mêmes au créneau et à créer leur propre association pour faire valoir leurs droits. Depuis plusieurs années, la plateforme d’accueil est pointée du doigt pour ses dysfonctionnements qui pénalisent les migrants dans leurs démarches.

Fatou, jeune journaliste guinéenne en demande d’asile à Marseille a décidé de s’investir dans la cause, elle est secrétaire générale de l’association. En 2018, alors en demande d’asile sur Paris, sans hébergement, elle décide de venir à Marseille où elle est sûre d’avoir un abri : « C’était ça où j’aurais dû dormir sous les ponts, pour une femme seule ce n’est pas prudent. J’ai d’abord pensé à ma sécurité. » Elle se voit alors privée de son allocation. Elle a dû engager un recours avec une avocate, qu’elle a perdu. A ce jour, son dossier n’a toujours pas été rapatrié.