« Il n’y a pas de droit international à l’avortement, ni d’obligation des États de financer ou de faciliter l’avortement. » Jeudi 22 octobre, lors d’une cérémonie virtuelle, programmée pour être présentée à l’Assemblée mondiale de la santé qui se tient tous les ans à Genève, 32 pays affirmaient fièrement la co-signature d’une déclaration contre le droit à l’IVG. Parmi eux, les États-Unis, mais aussi le Brésil, le Sénégal, la Hongrie, la Pologne [1]… Dans une allocution vidéo, sur fond de musique douce, chaque représentant de pays, était invité à exprimer sa motivation à voir disparaître ce droit fondamental des femmes à pouvoir disposer de leur corps. Chacun invoquant tour à tour « le bien être et la santé de la femme », « le droit de protéger la vie dès sa conception » et le sacro-saint « renforcement de la famille traditionnelle ». Parmi ces pays signataires, l’Égypte où l’avortement est illégal mais qui ne fait malheureusement pas figure d’exception dans le pourtour méditerranéen. Dans le monde, une femme meurt toutes les neuf minutes d’un avortement clandestin.
Le cas maltais
Malte, où le catholicisme est religion d’État, est le seul pays de l’Union européenne où l’IVG est encore interdite, même en cas de viol, de malformation du fœtus ou si la vie de la mère est menacée. Une femme qui y aurait recours peut se voir condamnée à dix-huit mois à trois ans de prison. Chaque année, elles sont une centaine à partir avorter à l’étranger. Mais c’était sans compter sur la Covid. « Au cours du premier semestre 2020, l’aéroport a été fermé pendant trois mois, et les femmes n’ont pas pu se rendre dans d’autres pays de l’UE ou au Royaume-Uni. Les ONG qui font parvenir des pilules abortives dans les pays où l’avortement est illégal, comme Women on Web, ont enregistré une énorme augmentation des appels à l’aide de Malte », explique Chris Barbara, psychiatre pour l’ONG Doctors for choice. Heureusement pour ces femmes, les services postaux ne se sont pas confinés et elles ont pu recevoir des pilules abortives sûres mais qui restent illégales… « La pandémie a montré que nous ne pouvions plus compter sur les autres pays pour aider les femmes à avorter », précise la praticienne.
Créée en 2019, cette ONG de médecins pro-choix milite pour les droits en santé sexuelle et reproductive dans l’archipel, notamment en préconisant un accès à une éducation sexuelle complète, une contraception disponible gratuitement et la décriminalisation de l’avortement. « Grâce à notre travail de plaidoyer, nous encourageons les politiciens et les décideurs à donner la priorité à la santé et aux droits reproductifs des femmes, explique Chris Barbara. Et nous constatons déjà des résultats positifs avec des politiciens qui s’expriment désormais ouvertement en faveur d’une discussion sur le sujet. » Le but de l’ONG est aussi de faire cesser la stigmatisation les femmes qui ont recours à une IVG.
Depuis le mois d’août, pour la première fois, les Maltaises ont à disposition une ligne téléphonique dédiée qui leur permet d’obtenir des informations fiables sur l’avortement. Si le numéro est maltais, c’est en fait une personne en Grande-Bretagne qui y répond. Pour l’instant, l’ONG n’a pas été inquiétée par la justice car elle se contente de diffuser des informations et ne pratique aucun avortement sur le territoire ni ne fournit directement les pilules abortives. « Nous n’avons pas été officiellement poursuivis, mais si cela se produit à l’avenir, nous y verrons l’occasion de porter l’interdiction de l’avortement de Malte à l’attention de l’Europe et de faire réviser la loi par la Cour européenne des droits de l’homme », menace la psychiatre. Chris Barbara n’a pas toujours elle-même été pro-choix. Elle explique qu’avant d’être médecin, elle avait comme les Maltais un avis bien arrêté sur le sujet. C’est en travaillant auprès de patientes ayant subi des grossesses non désirées qu’elle a pris conscience « des effets dévastateurs » de ce non choix sur la santé des femmes. Alors elle pense que si elle a pu changer d’avis, les Maltais sont capables d’en faire autant.
Autocensure des femmes algériennes
En Algérie, l’ancienne professeure de médecine Fadela Chitour, fondatrice du réseau Wassila et féministe de la première heure, milite pour un droit à l’avortement. Jusqu’ici il n’est possible que s’il y a « atteinte à l’équilibre physiologique ou psychologique et mental de la mère » et en cas de viol « dans le cadre terroriste ». « Pendant la décennie noire, on a lancé une enquête pour savoir combien de femmes avaient pu en bénéficier, ça n’a jamais abouti », explique Fadela Chitour. Elle constate un recul des mentalités sur le sujet et des femmes qui s’autocensurent. « Même une ligature des trompes est de plus en plus difficile à réaliser », s’inquiète-t-elle. Le statut social aussi change la donne : « Ça crée une injustice et un commerce incroyable », souligne la féministe. Il y a les femmes qui peuvent partir avorter en Tunisie, seul pays du Maghreb où l’IVG est légale, ou payer une clinique privée, et les autres. Les candidates à l’avortement ne sont plus seulement de jeunes femmes, elles ont entre 25 et 35 ans, voire plus. Faute de mieux, elles « choisissent » d’élever l’enfant plutôt que de l’abandonner. « Avec tout ce que cela implique… Car la société algérienne n’attribue aucune reconnaissance institutionnelle ou sociale à cet enfant », conclut la militante.
Le Maroc en attente
Au Maroc aussi un médecin se bat depuis les années 80 pour que l’avortement soit dépénalisé. Le professeur Chafik Chraïbi est gynécologue au CHU de Rabat et président fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (Amlac). Au Maroc, l’IVG est illégale sauf si la mère court un grand danger, et est punie d’un à cinq ans d’emprisonnement pour l’avorteur et de six mois à deux ans pour toute femme s’avortant elle-même. Pourtant entre 600 et 800 femmes y auraient recours illégalement chaque année dont environ 80 perdraient la vie. Certains sont effectués par des herboristes ou des « faiseuses d’anges », mais la plupart ont lieu dans les cliniques et cabinets de gynécologie. En 2014, suite à un reportage d’Envoyé spécial, le professeur Chraïbi avait été démis de ses fonctions de chef de service, Mohamed VI piqué au vif avait assuré qu’il s’était saisi du dossier. En 2016, le projet de loi qui devait élargir l’interruption médicalisée de la grossesse (IMG) aux cas de viol, d’inceste, de handicap mental et de malformation du fœtus avait été adopté en conseil de gouvernement.
« Depuis c’est le silence total », se désespère Chafik Chraïbi. Le sit-in devant le parlement initié par l’Amlac en juin 2018 n’aura pas eu l’effet escompté. Le gouvernement justifie que si le projet de loi prend du temps à être voté au parlement c’est parce qu’il est intégré à la refonte du code pénal marocain… « Il faut qu’en commission la priorité soit donnée à ce projet de loi car de mauvais avortements continuent d’être pratiqués, les crimes d’honneur sont toujours perpétrés et les abandons d’enfants sont de plus en plus nombreux », souligne le gynécologue. Ces dernières années, les arrestations de médecins ont aussi augmenté. Cinq internes et un pilote d’avion accusés de faire venir des pilules abortives depuis l’Espagne avaient été interpelés l’an dernier. En juin, c’est onze personnes qui ont été arrêtées dont une mineure pour avortement illégal. « Ce que l’on cherche à faire c’est que l’article 453 du code pénal qui seul autorise l’avortement soit amendé et prenne en compte la définition du terme « santé » donné par l’OMS. C’est-à-dire physique, mentale et sociale », précise le médecin. Et de poursuivre : « Il n’y a que comme cela que l’on peut gagner et que le projet de loi peut passer. Car la notion de liberté de la femme à pouvoir disposer de son corps n’est à ce jour, malheureusement, toujours pas envisageable au Maroc. »