Les droits des femmes en Méditerranée

Harcèlement de rue : la riposte !

, par Le Ravi , ROUCHARD Samantha

Le harcèlement de rue n’épargne aucune femme, qu’importe sa tenue ou son âge. Même dans les pays où des lois existent, il est rare qu’un agresseur soit condamné... Aux femmes alors de se défendre avec leurs armes. Tour d’horizon en Méditerranée.

99 % des femmes interrogées ont déjà subi des regards insistants, 96 % des bruits répétés pour les interpeller, 86 % des insultes ou des mots à tendance sexuelle… Plus de 3 filles sur 4 ont déjà été suivies dans la rue. A l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes, le collectif féministe Les Glorieuses a mené une enquête sur le harcèlement dans l’espace public en France auprès de 1200 femmes de 14 à 24 ans. 89 % des filles harcelées étaient mineures la première fois qu’elles y ont été confrontées. Cet été, le Ravi a suivi un atelier sur les violences sexistes animé par le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) des Bouches-du-Rhône auprès des jeunes de la Maison pour tous Endoume-Bompard (Marseille 7ème) gérée par la Ligue de l’enseignement. Toutes les jeunes filles présentes, mineures pour la plupart, avaient malgré leur jeune âge une triste histoire de harcèlement de rue à exprimer. « Hier en sortant de l’atelier, j’ai été suivie par un homme tout le long du trajet. Mais heureusement, en arrivant chez moi, j’ai eu l’idée de sonner pour que quelqu’un vienne m’ouvrir. Là, il a eu peur et il est parti », raconte Jade, 14 ans, pantalon noir et tee-shirt ample. « Peu importe que l’on soit en jogging ou en jupe, avec nos parents ou notre copain, on se fait quand même emmerder », poursuit Clara, 17 ans.

Apprendre à riposter

Depuis l’entrée en vigueur en août 2018 de la loi pénalisant les « outrages sexistes », impulsée par Marlène Schiappa alors secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, 1746 infractions ont été relevées au niveau national. Paca se situe à la troisième place en terme du nombre d’infractions, et les Bouches-du-Rhône est le 4ème département le plus impacté. Pourtant seulement 46 infractions ont été relevées à Marseille en deux ans (source 20 minutes). Toutes les femmes qui se promènent ne serait-ce qu’un après-midi sur la Canebière savent bien qu’on est loin du compte… Oui mais voilà, contrairement à ce qui était annoncé au départ, le flagrant délit est exceptionnel, la victime doit alors porter plainte pour que l’infraction soit prise en compte. « Autant dire que si je dois me déplacer au commissariat à chaque fois qu’un mec me fait une remarque dégueulasse ou me suit le soir, j’ai pas fini », s’énerve Mariama, marseillaise de 32 ans. Ces faits sont passibles d’amendes allant de 90 euros à 750 euros, et jusqu’à 3 000 euros en cas de récidive ou de circonstances aggravantes.

La France est l’un des rares pays du pourtour méditerranéen à avoir légiféré sur la question, mais tristesse est de constater que cela ne marche pas vraiment. Éduquer les hommes serait la solution… mais en attendant, les femmes apprennent à riposter. Pendant sept ans, Anaïs Bourdet, graphiste marseillaise, a répertorié sur son blog, dont elle a tiré le livre Paye ta shnek, les insultes graveleuses des harceleurs de rue, qu’ils soient de Lille ou de Marseille, avant de se retirer l’an dernier, épuisée par l’accumulation de violences sexistes. Avec ses comparses, Elsa Miské et Margaïd Quioc, journaliste-pigiste au Ravi à ses heures, elles ont créé il y a deux ans un podcast « de warriors », Yesss qui donne la parole à des femmes victimes de sexisme et qui sont parvenues à répondre et à se défendre. Elsa Miské s’en est d’ailleurs inspirée pour créer avec la game designer Axelle Gay le jeu Moi c’est Madame, avec des cartes « attaque » et « riposte ». De quoi s’entrainer à la maison pour affronter le sexisme ordinaire de la vie quotidienne.

Se réapproprier l’espace public

Chacune ses armes… La plupart du temps, la seule que les femmes possèdent est celle d’investir l’espace public. Fin 2018, le collectif Masaktach (« je ne me tairai pas »), a réalisé un happening dans les grandes villes du Maroc en distribuant des sifflets aux femmes afin qu’elles les utilisent lorsqu’elles sont importunées dans la rue. « Si on vous harcèle, sifflez !  », tel était le mot d’ordre. A Turin, des étudiantes compilent des messages entendus par des Italiennes pour ensuite les écrire à la craie de couleur en gros caractères dans les endroits où ils se sont produits. De même, les collages féministes en lettres noires sur fond blanc qui dénoncent les violences sexistes et des féminicides un peu partout en France et qui se sont exportés depuis en Espagne, en Italie et même jusqu’en Syrie.

Au Liban, le dessin animé Les Aventures de Salwa créé il y a déjà une dizaine d’années racontant les mésaventures d’une jeune fille en proie au harcèlement dans les transports, mais aussi au bureau etc, qu’elle résout à coups de sac à main envoyé dans la face de l’agresseur, est toujours visible sur Youtube. A Ramallah, la designer américano-palestinienne Yasmeen Mjalli a décidé que les femmes au lieu de se cacher sous des vêtements sans forme pour marcher dans la rue, afficheraient plutôt, fièrement, des messages sur leurs tote-bags ou leurs t-shirts. Le plus symbolique étant « Not your habibti » (« Je ne suis pas ta chérie »). Des vêtements made in Palestine tissés à Gaza et dont 10 % des ventes sont reversés à une association qui intervient dans les écoles pour faire évoluer le tabou des règles.
« En Tunisie, ce genre de violence attire de plus en plus l’attention de la société civile », dit Nejma Aouadi, présidente de l’Association des femmes tunisiennes pour la recherche sur le développement (Afturd). « Il faut que les femmes sortent de leur pudeur et de leur silence pour dénoncer ce qu’elles subissent », explique la militante. En octobre 2019, une lycéenne diffuse sur les réseaux sociaux les photos d’un homme semblant se masturber dans sa voiture sur le trajet de son établissement scolaire. Cet homme n’est pas un illustre inconnu mais un député fraîchement élu… Des femmes se regroupent alors sous le hashtag « EnaZeda » traduction littérale de #MeToo, et manifestent devant l’Assemblée. L’élu a démissionné depuis. « Aujourd’hui encore, le harcèlement de rue empêche la femme d’accéder librement à l’espace public et de jouir pleinement de ses droits », poursuit Nejma Aouadi.

En Egypte, l’un des pays où les femmes sont le plus harcelées, la situation n’a pas évoluée depuis notre reportage en 2017. Le harcèlement sexuel est un crime puni par la loi égyptienne, avec des peines d’emprisonnement pouvant aller de 6 mois à 5 ans et une amende pouvant atteindre 2 300 euros. Mais dans les faits, les femmes ne portent jamais plainte et les hommes ne sont jamais condamnés, à une exception près, le cas de Rania Fahmy que l’Égypte aime montrer en exemple et dont l’agresseur a été condamné à trois ans de prison. Pour l’opinion publique, la femme égyptienne est souvent jugée responsable de sa propre agression, « trop aguicheuse » . Et certaines familles préfèrent déscolariser les filles que de subir l’opprobre en cas d’harcèlement.

L’ONG Plan international qui promeut la scolarisation des enfants via des parrainages mène depuis 2015 une campagne pour maintenir la présence des filles à l’école et éduquer les garçons à cette problématique. « Cela se passe à travers des jeux de rôle. On apprend aux filles à argumenter et à prendre la parole pour se défendre. Quand aux garçons, on essaie de démonter les stéréotypes de virilité et d’en faire des hommes respectueux », explique le chargé de communication de l’ONG. Des contrats sont aussi passés avec des chauffeurs de Tuk tuk sensibilisés à la question afin d’assurer un trajet serein aux jeunes filles qui vont à l’école.

Les applis se multiplient

L’enfer est pavé de bonnes intentions… Les applications qui permettent aux femmes de donner l’alerte ou de se réfugier dans un lieu partenaire sont de plus en plus nombreuses : « Street alert », « Garde ton corps », « Sekura », « The Sorority », etc. Oui mais voilà, certaines se retrouvent détournées de leur sens premier.

C’est le cas de « Handsaway », lancée en 2016, 110 000 utilisateurs enregistrés, qui a dû stopper son activité le 8 juin dernier. Le but de l’appli était que, suite à une alerte, des personnes puissent venir en aide à des femmes. Mais, début juin, une déferlante de fausses alertes a été postée ainsi que des messages à caractères sexistes, voire des appels au viol, jusqu’à un dessin de croix gammée en Arctique et de phallus allant jusqu’en Sibérie. Contactées par tweeter, les responsables de l’appli se désolent pour l’instant de ne pas pouvoir donner de date de reprise.