L’écologie, un problème de riches ?

"L’écologie est un luxe réservé aux riches"

Épisode 2

, par ritimo

Vrai et faux !
À bien des égards, l’écologie fait apparaître une nouvelle fracture dans la société : elle divise les personnes qui tentent de mettre leur mode de vie en adéquation avec leurs préoccupations écologiques et les personnes qui semblent éloignées de ces questions, notamment parce qu’elles sont absorbées par des urgences quotidiennes comme celles de se nourrir ou d’avoir un logement.
Cette division est entre autres une fracture de classes : la majeure partie des classes moyennes et supérieures des pays riches se sentent plus « écolos » que les classes populaires et pauvres qu’elles considèrent comme ne prenant pas soin de leur environnement immédiat ou de leur santé.
Pourtant, la réalité est sans ambiguïté : même si elles se sentent plus « conscientisées », les classes moyennes à supérieures ont une empreinte écologique bien plus élevée que celle des pauvres. Ce qui vient contredire l’idée que l’écologie serait une affaire de riches…
D’un autre côté, l’écologie telle qu’elle est pensée et véhiculée par les discours politiques et médiatiques semble hors de portée pour les populations modestes et précaires : envisagée uniquement sous l’angle d’une consommation éthique, elle représente souvent un luxe inatteignable.

Préjugés partout, vérité nulle part

La quantité de fausses informations ou d’omissions qui circulent sur la réalité des mutations écologiques parvient à installer durablement des préjugés et des stéréotypes chez les populations pauvres comme chez les riches, au Nord comme au Sud. En masquant les vrais problèmes et les réels responsables du saccage, ils freinent la prise de conscience nécessaire à une transition écologique portée par tou·tes.
Quelles sont ces idées reçues ? Dans les pays occidentaux, les personnes pauvres sont souvent perçues par les classes moyennes et supérieures comme des consommatrices aveugles et compulsives, abonnées aux rayons « malbouffe » des hypermarchés et aux fins de semaine passées dans les galeries commerciales, rêvant de matériel high tech et de vacances low cost… La consommation des classes populaires est sans cesse stigmatisée par les plus aisé·es, qui ont le sentiment que leur propre consommation est bien plus éthique et écologique. Dans les classes populaires, on perçoit souvent l’écologie comme un luxe réservé aux bobos ou aux privilégié·es, en tout cas comme un impératif hors de leur portée : il est beaucoup plus facile d’avoir une alimentation bio, une voiture électrique et un logement bien isolé quand on en a les moyens et qu’on n’a pas constamment la préoccupation de savoir comment boucler ses fins de mois.
Les populations pauvres des pays du Sud sont aussi victimes de représentations erronées : déconnectées des enjeux écologiques, elles jetteraient leurs détritus dans la nature et feraient beaucoup trop d’enfants, rendant notre planète insoutenable. Comment démêler le vrai du faux dans tout ce qui se raconte ?

Les pauvres font-ils vraiment trop d’enfants ?
L’ONU prédit que nous serons 11 milliards d’individus d’ici la fin du siècle. Cette explosion démographique, qui s’est produite en seulement 2 siècles – nous n’étions que 1 milliard en 1800 ! - amène à poser cette question existentielle : dans un futur proche, va-t-on réussir à nourrir tout le monde ?
En réalité, si la question démographique s’est fait une place de choix dans les discours écologiques, c’est surtout pour culpabiliser les femmes pauvres qui feraient trop d’enfants. On en appelle à contrôler leur ventre (avortements forcés, stérilisation de masse...), peu importe que leurs droits reproductifs et à disposer de leur corps leur soient niés, pendant qu’à l’autre bout de la planète, d’autres femmes se voient refuser l’accès à l’avortement et à la contraception. Le problème démographique « justifie » le contrôle sociétal des corps des femmes.
Pourtant, la démographie doit être pensée en lien avec l’évolution du niveau de vie. Si l’on pense souhaitable de réduire le nombre de personnes sur terre, c’est à l’extrême pauvreté qu’il faut s’attaquer. Car au-delà de raisons religieuses et culturelles, faire des enfants dans les pays pauvres permet de s’assurer une sécurité. En Afrique subsaharienne, où les plans d’ajustements structurels ont détruit de nombreux services publics, les enfants font office de sécurité sociale, de sécurité alimentaire, de caisse de retraite pour leurs parents et fournissent la force de travail. À l’inverse, si une population voit son niveau de vie augmenter, elle peut disposer d’un meilleur accès aux services d’éducation et de santé, et son taux de fertilité va s’en trouver diminué. Pour le démographe Emmanuel Todd, c’est l’augmentation du taux d’alphabétisation des femmes dans une société donnée qui peut déclencher une transition démographique.
Enfin, la préoccupation de la démographie dans les pays du Sud est une belle diversion pour ne pas se pencher sur les modes de vie insoutenables des pays du Nord. Quand on sait que les émissions de gaz à effet de serre d’un·e Nigérian·e sont 200 fois moins élevées que celles d’un·e habitant·e des États-Unis et même 10 000 fois moindres que celle d’un·e milliardaire chinois·e, on se dit qu’il est pratique (et cynique !) d’accuser les pays pauvres de trop procréer. Le problème n’est pas tant le nombre d’êtres humains sur terre que le comportement de prédation et de surconsommation d’une partie de l’humanité.
La véritable urgence pour l’écologie, c’est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre et les pollutions des plus riches !

Qui sont les plus écolos ?

Une autre croyance nous habite : les classes moyennes et supérieures des pays riches seraient plus conscientes des enjeux environnementaux et plus écolos dans leurs pratiques. Il est vrai qu’au fil du temps elles ont basculé vers une consommation plus éthique, plus « verte » et qu’elles investissent davantage les alternatives… Mais, alors même que l’on note une plus grande présence des discours écologiques dans leur milieu, elles ont une empreinte écologique bien plus élevée que les classes populaires [1]. À l’échelle mondiale, cette distinction est flagrante puisque les 10 % les plus pauvres de cinq pays d’Afrique et d’Amérique latine émettent 2 000 fois moins de gaz à effet de serre que les 1 % les plus riches de cinq pays développés [2]. Comment expliquer ce décalage ?
Les nombreux équipements numériques et les déplacements en avion des classes privilégiées génèrent un mode de vie moins écolo, avec une empreinte écologique plus forte que les populations modestes. Les populations riches vivent aussi plus facilement dans des foyers individuels ou des « petits foyers » - comprenant moins de personnes -, ce qui se traduit par un niveau d’émissions de gaz à effet de serre individuel plus important puisque les postes de dépense liés au chauffage, à la cuisson, à l’alimentation ne sont pas collectifs.
Les différentes études consacrées aux modes de vie selon le revenu posent le constat d’un fort décalage entre des intentions écologiques et la réalité des pratiques : être sensible à l’écologie n’est pas le gage d’un faible bilan carbone. En effet, les actions des classes supérieures pour l’environnement – elles sont aussi adeptes des achats en vrac ou du covoiturage – ne suffisent pas à compenser leur style de vie gourmand en énergies.
Contrairement à une idée répandue, les modes de vie populaires sont donc moins impactants pour la planète. Même si leurs pratiques ne sont pas exemptes de critiques, les classes modestes consomment moins que les riches et ne prennent pas aussi souvent l’avion, ce qui fait toute la différence. Par exemple, prendre l’avion plusieurs fois par an, pour le travail ou les loisirs, pollue énormément. Le transport aérien représente en effet 2 à 3 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

Comment les riches détruisent la planète

 [3]

En 2019, les riches n’ont jamais été aussi riches, alors que la moitié de la population mondiale doit survivre avec moins de 5 € par jour [4]. La fortune des riches n’a pas grand rapport avec leur travail, ni avec leur mérite : elle est davantage liée aux revenus du capital (à l’argent qu’ils·elles perçoivent de par leur statut d’actionnaires) et à ceux de leur patrimoine, qui ont atteint un niveau sans précédent.

Attention vertige !
* Les richesses des 1 % les plus riches de la planète correspondent à plus de deux fois la richesse de 90 % de la population mondiale (6,9 milliards de personnes).
* Les milliardaires du monde entier, c’est-à-dire seulement 2 153 personnes, possèdent plus de richesses que 60 % de la population mondiale (4,5 milliards de personnes).
* Le versement de dividendes par le CAC 40 était, en 2019, à son plus haut niveau jamais enregistré [5].

Le temps n’est pas aux complexes pour les très riches : les milliardaires affichent leur mode de vie outrancier – à base de yachts, de jets privés, de villas somptueuses, de produits de luxe provenant de l’autre bout du monde, de vacances sur des îles paradisiaques privatisées… – sans la moindre retenue. Nous sommes d’ailleurs sans cesse abreuvé·es d’informations sur leurs styles de vie dans les médias, la publicité, les films et les magazines people. Leur hyperconsommation luxueuse et tapageuse n’est pas du tout décriée, elle serait plutôt érigée en modèle, bien qu’elle soit anti-écologique au possible : elle aggrave les pollutions et la destruction des écosystèmes, la surexploitation des ressources mais aussi des femmes et des hommes qui produisent ces richesses. Sans compter que ce mode de vie dominant génère encore et toujours plus d’inégalités... Ces milliardaires ne partagent pas le sort commun de l’humanité : ils·elles sont hors-sol, déconnecté·es des réalités du plus grand nombre. Pour accroître toujours plus leur fortune, ils·elles s’organisent pour échapper à l’impôt en plaçant leur argent dans des paradis fiscaux. Ce manque à gagner fragilise le financement des services publics, par ailleurs bien malmenés par les différents gouvernements qui n’ont cessé d’abaisser les budgets et le personnel des secteurs clés garants de la solidarité, de l’égalité et de l’intérêt général. On le sait : l’éducation, la santé, les transports, les systèmes de retraites... sont des remparts puissants contre la pauvreté.
Pour le journaliste Hervé Kempf [6], la crise écologique et la crise sociale sont les deux facettes d’un même désastre : les hyper-riches saccagent directement la planète - en émettant des tonnes de CO2 - mais aussi de manière plus indirecte, car une grande majorité de personnes cherche à les imiter. Ainsi, les populations modestes n’auraient pas d’autres rêves, d’autres modèles, d’autres envies que d’adopter ceux des classes supérieures. À plus grande échelle, cette théorie pourrait même s’appliquer aux relations internationales : les pays du Sud rêveraient globalement aux mêmes standards de consommation que ceux de l’American way of life ou du mode de vie européen. Loin de se rebeller contre une domination politique, économique, culturelle imposée par l’Occident, les pays du Sud chercheraient alors bien au contraire à l’imiter, aspireraient comme lui à se « développer », réclamant les mêmes droits à polluer. En suivant la théorie de Veblen, qui affirme que toute classe sociale rivalise avec la classe qui lui est immédiatement supérieure dans l’échelle sociale, on peut donc penser que les milliardaires participent à présenter leur mode de vie à tou·tes comme un but à atteindre.
Par conséquent - et c’est là que ça se complique ! -, demander aux classes moyennes à supérieures occidentales de réduire leur train de vie serait vain. Comment pourraient-elles accepter de réduire drastiquement leur consommation si les inégalités sociales sont aussi criantes et si les ultra-riches continuent de se vautrer dans le luxe pendant qu’elles consentent à tous les efforts ?
Pour enclencher un modèle vertueux, il faudrait cibler les ultra-riches. Mais de celles et ceux-là - qui demeurent accroché·es à leurs privilèges, à la morale peu éthique [7] et prêt·es à tout détruire pour conserver leur standing de vie -, il y a vraisemblablement peu à attendre.

La théorie de Veblen
Dans Théorie de la classe de loisir (1899), Thorstein Veblen développe l’idée que la tendance à rivaliser est inhérente à la nature humaine. Les différentes classes prennent en modèle le comportement de la classe sociale supérieure. C’est donc la classe située tout en haut de la pyramide qui définit le modèle culturel général et impose ses normes et habitudes de consommation comme un idéal à toutes les classes inférieures.

Écologie : au cœur d’un conflit de classe

On entend souvent dire que les classes populaires ou les populations pauvres ne se préoccupent pas d’écologie : elles se montrent peu réceptives aux écogestes, ne gèrent pas leurs déchets et conduisent des véhicules polluants (notamment dans les pays du Sud), ne « marchent pas » pour le climat… Y a t-il un réel désintérêt des classes populaires pour la sauvegarde de la planète ? Faut-il y voir la manifestation d’une autre gestion des priorités ? Si la préoccupation environnementale semble avoir gagné une grande partie des opinions publiques occidentales, elle reste un privilège de favorisé·es et la projeter sur le reste du monde ne fait pas sens : comment exiger de jeunes gens qu’ils·elles se mobilisent pour le climat quand leurs angoisses quotidiennes sont concentrées sur les besoins essentiels : se nourrir, se loger, se soigner, rester en vie ? Il ne s’agit pas de « sauver la planète » mais de sauver sa vie.
Étudions une autre hypothèse : et si ce manque apparent d’intérêt provenait aussi du fait que les classes aisées se sont totalement accaparé le discours écologique ? En opérant ce renversement de perspective, c’est-à-dire en considérant l’écologie sous l’angle de discours et de représentations qui font l’objet d’un conflit de classe, on comprend mieux les antagonismes et fractures qui persistent sur le sujet, notamment entre pays pauvres et pays riches.
Quand on voyage dans un pays du Sud, on peut être frappé·e par les amoncellements de déchets dans les rues, par l’utilisation abusive de sachets plastiques, par la fumée noire irrespirable qui s’échappe des voitures diesels de 30 ans d’âge, par la cuisson alimentaire à base de carburants solides… et il est commun de penser que, si les pauvres sont davantage pollué·es que les riches, c’est un peu de leur faute. Pour nous, populations des pays riches, qui sommes habitué·es aux discours et débats sur le tri et le recyclage des déchets, le zéro plastique, les voitures hybrides, électriques ou à hydrogène, ces pratiques polluantes témoignent d’un manque de considération évident des pauvres vis-à-vis de leur environnement immédiat. Pourtant, au-delà de ces signes visibles – et réels – de pollution, les pauvres vivent beaucoup plus écologiquement au quotidien : le recyclage et la réparation d’objets vont de pair avec un niveau de vie qui les incite à utiliser les objets jusqu’à ce qu’ils deviennent vraiment inutilisables ou à leur donner une seconde vie ; la consommation d’objets high tech ou de voitures est infiniment inférieure à celles des populations riches ; l’alimentation est peu carnée, peu transformée et rarement emballée en portions individuelles, etc.
Si nous avons développé en Occident des politiques de gestion des déchets, ce n’est pas uniquement parce que nous sommes préoccupé·es par l’écologie, mais parce que c’est essentiel pour maintenir en vie notre modèle de société surproducteur, qui invente des systèmes comme l’obsolescence programmée pour rendre durable cette surproduction. Cette complexité des causes et des responsabilités ne peut pas être résumée en un discours bien pensant et discriminant, issu d’une fraction privilégiée des habitant·es de la planète. Elle demande à être mieux analysée, et en profondeur.

Écologie de distinction

Celles et ceux qui se considèrent écologistes au sein des classes dominantes ont fait de l’écologie un outil de distinction [8] c’est-à-dire un marqueur d’appartenance de classe et de hiérarchisation sociale.
Prenons un exemple, dans les pays riches cette fois, à travers les pratiques alimentaires. Le prix de la plupart des produits bio ou issus du commerce équitable est prohibitif pour les plus précaires. Beaucoup d’aficionados du bio clament que manger bien ne coûte pas cher et que c’est une « question de choix » (sous-entendu que les pauvres ne font pas d’efforts). Mais c’est faux : un panier de courses bio coûte en moyenne environ 30 % plus cher qu’un panier moyen. Un écart de prix qui se révèle considérable pour les plus précaires ! Le prix des aliments n’est pas le seul critère qui oriente les pauvres vers une « mauvaise » alimentation, ce sont aussi les coûts de cuisson.
Quand on a très peu d’argent, on achète des aliments peu chers, qui se préparent vite et dont le coût de cuisson est peu élevé. Deux études menées par le département santé d’ATD Quart Monde (2013) indiquent effectivement que l’alimentation sert de variable d’ajustement dans les budgets, après le paiement du loyer et des autres factures.
Pour les populations un peu moins précaires qui voudraient accéder à une alimentation de qualité, rien n’est facilité car les magasins bio, les associations environnementales ou les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP) sont rarement implantés dans les quartiers défavorisés. On voit bien à quel point l’écologie prônée par les riches est une écologie de la distinction : elle n’est pas inclusive et met sur le banc de touche toutes celles et tous ceux qui ont moins de moyens financiers. Dès lors, on comprend mieux pourquoi les classes populaires et les plus précaires trouvent les injonctions écolo-alimentaires des riches insupportables et culpabilisantes. Leur invitation à plus d’engagement éco-citoyen a un effet repoussoir : cette écologie qu’ils·elles qualifient de « bobo » leur semble totalement déconnectée de la réalité de leur vie, parce qu’elle suppose que tous les individus aient la même part de responsabilité et le même pouvoir de changer les choses, en feignant d’oublier que ces exigences écologiques ont des coûts financier et social que ne peuvent assumer les plus modestes.
Cette morale de classe est d’autant plus mal perçue que de nombreuses personnes savent désormais que derrière l’attitude éco-friendly (respectueuse de l’environnement) des riches se cache une grosse empreinte carbone.

L’écologisme des pauvres

Ce terme a été popularisé par l’économiste Joan Martinez Alier [9] pour prouver que les populations défavorisées d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine ont des pratiques respectueuses de l’environnement même lorsqu’elles n’ont pas comblé tous leurs besoins matériels. Souvent, les populations pauvres ne se reconnaissent pas dans l’emploi du terme « écologistes » mais les luttes qu’elles mènent contre l’exploitation intensive de leurs ressources en font des actrices de première ligne pour maintenir la planète viable : les résistances contre des projets de mines de cuivre, d’uranium ou de charbon, contre des projets hydroélectriques (centrales, barrages), contre l’extraction de la biomasse, de minerais, de combustibles fossiles, contre la biopiraterie* ; les luttes pour sauver la pêche artisanale, sortir du modèle agro-industriel, préserver les forêts, conserver les terres menacées d’accaparement ; les mobilisations contre la pollution de l’air dans les quartiers populaires des villes, contre la spéculation urbaine pour obtenir des espaces verts, pour l’approvisionnement en eau potable... Toutes ces luttes illustrent la grande diversité des mouvements de résistance menés à travers le monde.
Au-delà de prôner la conservation des ressources et de la nature, cet écologisme défendu par des populations pauvres développe aussi une critique radicale du capitalisme. C’est la recherche d’une croissance effrénée qui produit des dégâts environnementaux et des inégalités toujours plus criantes : pour accumuler toujours plus de richesses et de biens matériels, les pays riches pratiquent l’extractivisme, en exploitant les richesses naturelles des pays pauvres. Cette remise en question du capitalisme – jusqu’alors peu présente dans les discours les plus en vogue sur l’écologie dans les pays occidentaux - présente l’avantage de penser la justice au niveau global : des groupes sociaux ont pris conscience qu’ils sont pollués, dépossédés, expropriés de leurs territoires et de leurs ressources par des acteur·rices agissant à l’échelle globale (multinationales, États…) parce qu’ils sont pauvres et dominés dans les rapports de force internationaux ; ils dénoncent ce système qui les maintient et les confine dans cette pauvreté. Ces luttes qui prennent comme angle d’attaque la défense de l’environnement, sont historiquement indissociables d’un combat pour la justice sociale.

Plus d’écologie = plus de justice sociale

Si elles avaient davantage de moyens, les classes populaires pourraient avoir de meilleures conditions de vie : elles auraient alors la possibilité de vivre dans des logements résistants, bien isolés – limitant ainsi les émissions liées au chauffage -, de vivre en centre-ville et privilégier les transports en commun plutôt que la voiture individuelle, d’acheter bio et éthique… C’est surtout à l’autre bout de la planète que les populations pauvres se trouveraient moins vulnérables face aux catastrophes environnementales : avec davantage de moyens financiers, elles auraient la possibilité de se protéger, de se soigner, de changer de cadre de vie, d’accéder aux ressources nécessaires. Décloisonner l’écologie, en faire un axe fort de la lutte pour la justice sociale, permettrait de la rendre accessible à tou·tes et de donner des moyens supplémentaires aux plus pauvres, qui sont déjà les plus impacté·es par le désastre en cours dont ils·elles ne sont pas responsables.
Attention toutefois à ne pas survaloriser le pouvoir de l’écologie individuelle. Nous le verrons plus loin : les injonctions à l’écologie et au changement de comportement sont récupérées par le capitalisme - il s’est d’ailleurs créé un vrai marché économique autour de la diffusion des éco-gestes. Devenir consommacteur·rice et multiplier les comportements écologiques peut provoquer des bienfaits à la marge et participer à la conscientisation mais les seules pratiques individuelles ne permettront pas d’aller vers une vraie transition écologique et sociétale, si elles laissent le système néolibéral dominant continuer d’exploiter et d’asservir la nature et les êtres humains.

Notes

[1Voir l’étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie : « Consommation durable : l’engagement de façade des classes supérieures », Victoire Sessego, Pascale Hébel, CREDOC, mars 2019. Disponible sur le site du Credoc.

[2« Carbone et inégalité : de Kyoto à Paris », étude de Lucas Chansel et Thomas Piketty, novembre 2015.

[3Titre d’un essai du journaliste Hervé Kempf, publié en 2007.

[4Rapport Oxfam 2019.

[5Données extraites de « Davos 2020 : Nouveau rapport d’Oxfam sur les inégalités mondiales », janvier 2020 (sauf mention contraire).

[6Lire Comment les riches détruisent la planète, Kempf, 2007.

[7Une étude publiée en février 2012 par des chercheur·es étatsunien·nes et canadien·nes confirme l’existence d’une relation inverse entre élévation dans la hiérarchie sociale et éthique du comportement individuel. Plus on est riche, plus on a de risques de mal se comporter.

[8Voir La Question climatique, genèse et dépolitisation d’un problème public, Jean-Baptiste Comby, 2015.

[9L’écologisme des pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le monde, Joan Martinez Alier, 2014.