L’écologie, un problème de riches ?

"Il faut de la croissance pour redistribuer la richesse, tant pis pour l’environnement !"

Épisode 3

Faux !
Dans la culture occidentale, le rapport au monde s’est construit sur la notion de progrès et croissance continus. Dès les prémisses du capitalisme et de façon accélérée avec la révolution industrielle, nous avons cherché à gagner en confort matériel. Si on peut saluer ces évolutions pour les avancées évidentes qu’elles ont permis en matière de santé publique et de bien-être pour une partie de la population, elles ont en revanche contribué à dégrader très fortement les écosystèmes et creusé les inégalités, par un système de prédation des ressources et d’asservissement d’une partie de l’humanité. Elles débouchent sur un faux paradoxe : pour sortir les pauvres de la pauvreté, il faudrait toujours plus de croissance économique afin de pouvoir redistribuer les richesses. Ce qui reviendrait donc à devoir choisir entre social et écologie puisque la croissance des biens matériels amenuise inexorablement les ressources, pollue les sols, l’eau et l’air, et repose sur l’exploitation des personnes. Examinons les rouages de ce faux dilemme. Et voyons pourquoi la croissance ne permet pas la redistribution des richesses, au moyen d’un petit détour dans l’Histoire. Ou comment le ravage écologique est intrinsèquement lié au capitalisme et à son développement…

Aux origines de la croissance économique

La Révolution industrielle – dont les origines remontent à 1770 en Angleterre – marque un tournant qui aura des conséquences sur l’ensemble de la planète. C’est l’avènement pour le continent européen d’une période d’accroissement économique continu et tous azimuts : les innovations industrielles se propagent et les progrès dans les méthodes de production provoquent un accroissement du revenu par habitant·e. On vante les mérites d’un progrès qui apparaît comme indiscutable et inéluctable.
Cette révolution industrielle trouve ses fondements dans une révolution qui est d’abord agricole : l’essor des machines et des sciences agronomiques augmentent la productivité mais privent aussi d’emplois nombre de petit·es paysan·nes, qui arrivent massivement dans les villes.
Cette nouvelle main-d’œuvre urbaine est embauchée dans les manufactures, où des ingénieurs installent des machines à vapeur. Grâce à ces nouveaux outils, la production augmente à un rythme jamais vu auparavant mais les conditions de travail à l’usine sont déplorables : travail des enfants, salaires de misère, journées à rallonge… La croissance est loin d’être profitable à la majorité mais ces résultats quantitatifs permettent de la faire passer comme positive et incontournable, passant sous silence l’exploitation des travailleur·ses ou l’inégale répartition des richesses. L’idéologie implicite consiste à penser qu’il faut créer de la richesse et qu’il sera toujours temps – et plus facile - de la répartir après, peu importent les conditions (sociales et environnementales) dans lesquelles est produite cette richesse ! Ce raisonnement ne changera pas beaucoup au cours des siècles : tous les gouvernements se prononceront à l’unanimité pour la croissance.
La machine à vapeur, inventée par James Watt et fonctionnant au charbon, a aussi marqué l’entrée du monde moderne dans l’âge des énergies fossiles, avec ses conséquences écologiques de taille. En un siècle, la révolution industrielle (combinée au colonialisme en pleine expansion) permet à l’Europe d’imposer partout dans le monde l’idéologie et les modes de production capitalistes.

Répandre le capitalisme

Il n’y a pas de définition unique et unanimement acceptée du capitalisme. Selon les théories, il prend racine tantôt au Moyen-Âge, tantôt au XIVe siècle - avec l’émergence de l’esprit d’entreprise - ou encore pendant la Réforme protestante, à partir du XVIe siècle. Au XVIe siècle toujours, avec le début de la colonisation et du commerce triangulaire, le génocide et la mise en esclavage des autochtones américain·es et des Africain·es ont été les principales sources d’accumulation du capital. C’est « l’âge préhistorique du capitalisme » [1] : les Occidentaux·ales découvrent des territoires aurifères et argentifères dans les Amériques et commencent leur conquête et leur pillage également dans les Indes orientales. Le développement de la traite négrière répond alors au besoin de main- d’œuvre liée à l’exploitation de l’Amérique par les Européen·nes. C’est ainsi que l’Angleterre financera sa révolution industrielle.

Ainsi les conditions sont réunies pour que le capitalisme se développe sur trois piliers indissociables : pillage et accumulation de richesses, désir effréné pour l’expansion et la création de marchés, et situation monopolistique des pays colonisateurs.
En Europe, au XVIIIe siècle, le capitalisme industriel se construit sur la base de la propriété des moyens de production et du salariat. La bourgeoisie prend l’ascendant sur la noblesse, en s’appuyant sur le droit de propriété et l’accumulation de patrimoines. Il devient communément admis qu’on peut gagner de l’argent juste pour l’accumuler - pas pour le dépenser - et se hisser au sommet de la société. Le capitalisme industriel va se développer sur cette hiérarchie sociale, génératrice de fortes inégalités. À partir de la révolution industrielle anglaise, le capitalisme se répand partout dans le monde. Le libre-échange, qui prône la libre circulation de produits et services, devient un progressivement principe dominant et inattaquable, culminant à la fin du XXe siècle : aucune mesure ne doit entraver le commerce international. Les pays colonisateurs en sont les principaux acteurs : ils jettent les bases de la société d’hyperconsommation, là où ils ont répandu le système capitaliste et imposé in fine un modèle de développement unique sur quasiment l’ensemble de la planète.

Croissance + redistribution = société de consommation

Au début du XXe siècle, Henry Ford, fondateur de la marque automobile qui portera son nom, bouscule la pensée capitaliste en affirmant que rechercher seulement à croître n’est pas suffisant. Si on laisse les ouvrier·ères dans la misère, seul·es les plus aisé·es pourront accéder à la consommation. Mais s’il décide d’augmenter les salaires de celles et ceux qui travaillent pour lui, son intention n’est pas purement généreuse : en réalité, il veut s’assurer de nouveaux débouchés et parie que ses ouvrier·ères deviendront ses futur·es client·es (c’est aussi un moyen pour lui d’acheter la paix sociale car Ford est clairement contre la formation de syndicats, quels qu’ils soient). Quelles sont les conséquences de cette hausse des salaires ? Elle permet une redistribution du pouvoir d’achat et fait entrer progressivement les classes populaires dans la société de consommation.
Cette dernière se développe massivement à la sortie de la Seconde guerre mondiale avec l’arrivée d’une idéologie consumériste d’une efficacité inouïe. Il faut créer sans cesse de nouveaux désirs (par le biais d’outils comme la publicité et le marketing) pour donner envie de gagner de l’argent et de se réaliser au travers des actes d’achats. Cette société des plaisirs éphémères et matériels, qui va pourtant à l’encontre des communs, des relations sociales et de l’écologie, va peu à peu gagner l’ensemble de la planète.

Assujettir les pays du Sud

Les États européens ont développé très tôt une politique impérialiste justifiée par une « mission civilisatrice » en s’accaparant des territoires sur tous les continents. Cet esprit de conquête et de domination s’incarne dès le XVe siècle par le commerce triangulaire : la traite négrière démarre entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique à la fois pour que l’Occident puisse s’approvisionner en ressources naturelles dans le « Nouveau monde » (fourrures, denrées alimentaires, minerais et ressources énergétiques…), pour fournir à l’Afrique des marchandises et aussi pour y disposer de la main-d’œuvre quasi-gratuite esclavagisée.
Ces colonisations historiques sont à l’origine de destructions humaines d’une violence extrême : monopolisation des terres « justifiée » par le concept nouveau de « propriété privée », pillages, massacre des populations originelles ou mise en esclavage, etc.

L’histoire coloniale a aussi contribué à imposer un contrôle des écosystèmes : on commence à déforester pour faire de l’élevage ou des cultures intensives. Ce changement de l’usage des sols est la cause majeure du déclin des écosystèmes.
Le modèle agricole de la plantation en Amérique, basé sur des monocultures d’exportation à destination de l’Europe, très polluantes et destructrices, préfigure la spécialisation des pays du Sud dans des productions agricoles – à faible valeur ajoutée puisque non transformées - prisées par les consommateur·rices européen·nes (café, cacao, caoutchouc, coton, canne à sucre, banane). L’accession à l’indépendance des pays colonisés, aux XIXe et XXe siècles, ne changera rien à cette situation de domination car les richesses restent concentrées entre les mains de quelques Etats et entreprises multinationales. Cette indépendance n’est pas accordée sans contreparties. À titre d’exemple, en juillet 1960, le Premier ministre français Michel Debré rappelle au futur président de la République du Gabon que l’indépendance sera conditionnée au respect des accords de coopération, qui maintiennent un lien de subordination tant sur le plan matériel que culturel.
C’est la base d’un néo-colonialisme qui n’a jamais cessé depuis. La division internationale du travail a donc lésé économiquement les continents du Sud s’appuyant sur la destruction des écosystèmes et sur un modèle agricole extractiviste à fort impact environnemental (épuisement des sols, utilisation d’intrants chimique, etc.).

Imposer le développement

Le commerce mondial a rendu les pays interdépendants : dans un esprit colonisateur, les pays riches ont incité les pays pauvres à leur exporter leurs ressources naturelles ou de la main d’œuvre bon marché alors qu’eux-mêmes se sont spécialisés dans l’exportation de produits manufacturés ou de technologies à haute valeur ajoutée. Parallèlement, le progrès technique observé dans les pays industrialisés (notamment dans les domaines de la médecine, des nouvelles technologies, de la communication ou encore des transports) a contribué à améliorer les conditions de vie des populations, même si cette amélioration reste très inégale. Dès lors, cette conception du développement, calqué sur le modèle occidental, se diffuse dans les pays du Sud et nourrit les aspirations. Mais de quel développement parle-t-on ? Celui qui oblige les pays pauvres à acheter des technologies aux pays riches, renforçant par là même la dépendance à leur égard ? Ou bien les perspectives d’une croissance à deux chiffres qui ne profite qu’à une minorité, incapable d’assurer le bien-être général ni la préservation de notre environnement ? Aujourd’hui, moins que jamais, la croissance et le développement ne sont plus synonymes de progrès ni de justice sociale. La mondialisation néolibérale a en effet accéléré et creusé les inégalités à l’intérieur des pays, partout dans le monde. À l’heure actuelle, en France, qui fait pourtant partie des pays les plus redistributifs, les 10 % les plus riches possèdent 50 % des richesses [2]. En Afrique du Sud, l’un des pays les plus inégalitaires au monde, les 10 % les plus riches absorbent 70 % des richesses et la moitié de la population vit avec moins de 5 dollars par jour [3].

Développement contre écologie ?

À l’heure du dérèglement climatique, l’idée même de développement apparaît comme dépassée, voire même dangereuse. Comment peut-on vouloir poursuivre avec un modèle de développement destructeur qui accélère la destruction du vivant ?
À partir des années 1960, un certain nombre de personnes commencent ainsi à pointer du doigt les effets des technologies industrielles polluantes et destructrices développées au service du capitalisme. Publié en 1962, le livre Silent Spring (« printemps silencieux ») de la biologiste Rachel Carson accuse les pesticides d’être dangereux pour les oiseaux et pour les êtres humains et provoque une onde de choc dans la société étatsunienne. De graves accidents environnementaux viennent ensuite favoriser cette prise de conscience écologique : pollution au mercure à Minamata au Japon en 1955, marée noire du Torrey Canyon dans la Manche en 1967…

Quelques années plus tard, le Club de Rome (groupe international réunissant des scientifiques, des économistes, des fonctionnaires) entame une réflexion sur le modèle occidental de la croissance. Ces réflexions donnent lieu à la publication en 1972 d’un rapport « Halte à la croissance », baptisé Rapport Meadows, qui met en exergue les dangers, pour la Terre et l’humanité, de la croissance économique cumulée à un accroissement démographique. L’augmentation de l’activité productive mondiale conduit en effet à consommer toujours plus de ressources (matières premières et énergie), à épuiser les sols et les écosystèmes, et à augmenter les pollutions. Pourtant, tout se déroule comme si les ressources naturelles étaient infinies, et qu’il n’y avait pas d’autre alternative à la recherche d’une croissance à tout prix. Ce qui rend de plus en plus essentielle cette interrogation : à quelles conditions un développement respectueux des droits humains fondamentaux et des contraintes planétaires est-il possible ?

Les coûts cachés : qu’est-ce que c’est ?
Lorsque nous consommons des objets ou de la nourriture, cela nécessite d’abord d’extraire des matériaux, de les transformer en produits puis de les transporter (le trajet d’une paire de jeans avant sa mise en vente avoisine les 19 000 km) ; enfin, nous les utilisons, un peu, et les jetons, presque toujours (peu d’objets ou produits sont recyclés). On peut mesurer ces coûts écologiques des objets tout au long de leur cycle de vie mais nous, les consommateur·rices, ne sommes pas toujours capables d’en prendre la mesure car les impacts sociaux et environnementaux de notre consommation nous sont souvent cachés. Encore trop peu de personnes savent que la fabrication de la plupart de nos vêtements – dans des usines chinoises, indiennes ou bangladaises – exige une quantité astronomique d’eau, de pesticides, de produits chimiques... qui polluent les rivières et sont à l’origine de nombreux problèmes sanitaires. Sans oublier les conditions de travail déplorables et dangereuses des ouvrier·ères du textile : exposition aux produits toxiques, horaires à rallonge et salaires de misère.

Autre produit, autre coût caché : qui d’entre nous a clairement à l’esprit le lien qu’il peut y avoir entre la viande dans son assiette (si on ne l’achète pas au producteur du coin !) et la déforestation massive en Amérique latine, responsable de l’extinction de nombreuses espèces animales et végétales ? Car la production de viande peut être particulièrement gourmande en terres : plus de 70 % de la surface agricole mondiale est utilisée soit pour le pâturage du bétail, soit pour la production de céréales destinées à le nourrir. Le manque de terres agricoles lié aux besoins de l’élevage est une cause importante de la déforestation.
La face cachée du numérique n’est guère plus reluisante, quand on sait que la fabrication de nos « téléphones intelligents » participe à l’exploitation des enfants ou que les extractions minières pour obtenir l’indispensable tantale financent des rébellions armées dans certains pays. Quant à toutes les personnes qui pensent que la dématérialisation est une bonne nouvelle pour l’écologie, ces quelques chiffres vont vite éteindre leur enthousiasme : l’envoi d’un courriel assorti d’une pièce jointe est aussi énergivore qu’une ampoule allumée pendant une heure… et sur une année, les courriels professionnels de 100 salarié·es représentent l’équivalent de 13 allers-retours Paris / New-York en avion [4] ! La triste réalité est que le numérique émet aujourd’hui 4 % des gaz à effet de serre dans le monde, soit davantage que le transport aérien civil [5].

Le développement durable : pour qui ? pour quoi ?

À partir des années 1980, on voit émerger des problèmes environnementaux globaux : atteinte à la couche d’ozone, changement climatique, accidents technologiques majeurs dans les industries nucléaire et chimique (explosion d’une usine de pesticides à Bhopal en Inde en 1984, d’un réacteur nucléaire à Tchernobyl en Ukraine en 1986), marées noires, etc. Face à ces catastrophes, il devient urgent de réfléchir à une autre façon de se développer.
Les tiraillements entre croissance, équité et écologie semblent trouver un compromis avec l’apparition du concept de « développement durable ». Popularisé en 1987 par le rapport Brundtland, le développement durable repose sur l’idée que la croissance économique ne peut être durable que si l’on se préoccupe, dans le même temps, de l’environnement et du développement humain.
Mais la doctrine fondamentale du développement n’est pas remise en cause : pour satisfaire à leurs besoins de base, les pays pauvres doivent viser une croissance économique importante. L’hypothèse est faite que l’amélioration de leur niveau de développement économique et culturel va enclencher la transition démographique et faire ainsi diminuer la pression qu’exercent les pays pauvres sur l’environnement. Pourtant, les résultats obtenus par le calcul de l’empreinte écologique démontrent au contraire qu’une croissance économique continue va de pair avec une détérioration de l’environnement. Et qu’en plus de cet impact négatif sur l’environnement, la croissance ne permet pas non plus de satisfaire les besoins de base de toutes les populations.
L’autre postulat posé à l’époque est que les pays riches doivent aussi continuer de croître, afin de soutenir le développement des pays du Sud et orienter leurs progrès techniques vers la préservation de l’environnement (on parlera plus tard de « croissance verte »). Mais ces préconisations laissent des angles morts : si les pays pauvres aspirent légitimement à un bien-être matériel équivalent à celui des pays riches, il faut nécessairement que les populations riches baissent leur propre consommation, afin de garantir un droit d’usage de la nature égal pour tou·tes. Or le développement durable tel qu’il a été défini ne fournit pas d’indications sur les mesures nécessaires pour changer le comportement des producteur·rices et des consommateur·rices.
En réalité, même si ce concept est utile dans le sens où il apporte une approche prenant en compte des aspects environnementaux et qu’il a abouti à des résultats intéressants dans certains territoires à travers le monde (l’Amapa au Brésil, le Kerala en Inde...), il a été repris et édulcoré de manière à ne pas remettre en cause le modèle occidental de croissance. Pire, il est même récupéré par des entreprises parmi les plus polluantes de la planète pour reverdir leur image. « Polluer moins pour polluer plus longtemps » pourrait résumer ces objectifs.

Faut-il en finir avec la croissance ?

Notre système de développement n’est pas soutenable : aucun pays n’a atteint un niveau de « développement humain élevé » sans dépasser dans le même temps le seuil de durabilité environnementale. Pour diminuer les pressions sur l’environnement, il est urgent d’empêcher les puissant·es du monde de continuer à tout détruire sur leur passage pour accumuler des richesses. Dans le même temps, les classes moyennes des pays riches vont devoir s’interroger sur leur mode de vie et sa durabilité. C’est ce que proposent les théoricien·nes de la décroissance : rompre avec la société consumériste et la logique de croissance, arguant du fait qu’« on ne peut plus croître dans un monde fini ». En diminuant la consommation et la production dans nos pays riches, nous pourrions retrouver plus de bien-être social, préserver les ressources et notre environnement, retrouver des relations pacifiées et plus équitables entre les pays, revivifier notre démocratie, etc.
La décroissance est un concept situé socialement : il s’adresse aux classes moyennes ou aisées et préconise qu’elles acceptent de réduire quantitativement leurs habitudes de consommation pour ne répondre qu’à des besoins essentiels. Elle s’accompagne d’une volonté de réfléchir plus collectivement à la place du travail dans nos vies, à la place de l’économie dans nos sociétés, à la relocalisation et l’autonomisation, en lieu et place d’une globalisation qui accentue les inégalités entre pays du Nord et pays du Sud. La décroissance développe l’idée d’une reterritorialisation pour créer des sociétés autonomes. Tous les domaines de la vie doivent trouver une autre territorialité : l’économie, la production et l’alimentation, le pouvoir politique, la démocratie, les loisirs et la culture, les liens sociaux… Ces relocalisations apparaissent comme la clé du futur, encore plus fortement depuis la crise du Covid-19, dans un contexte où la raréfaction des ressources et des énergies conjuguées à des pénuries d’approvisionnement vont nous inciter à plus de sédentarité.
À celles et ceux qui craignent un glissement sur la pente de la préférence locale ou nationale, les décroissant·es répondent que si la relocalisation a pour but de favoriser le local, elle ne dispense aucunement de consolider des partenariats nationaux et internationaux, de défendre des services publics pour tou·tes et des mécanismes de solidarités nationale et internationale.

Une pensée bourgeoise ?
Dans des pays où les besoins essentiels des populations ne sont pas satisfaits, la décroissance est souvent inconcevable. Est-ce que cela fait pour autant une pensée bourgeoise, issue des pays riches, qui voudrait empêcher un rattrapage économique des pays du Sud ? Le chercheur indien Rakesh Saxena y voit plutôt un intérêt universel, considérant la décroissance « non pas seulement comme une réduction du PIB, mais comme des alternatives pour contribuer à la durabilité de nos sociétés et au bien-être des populations. En ceci, tout pays peut s’intéresser à cette pensée » [6].

Si la décroissance inspire beaucoup de citoyen·nes pour modifier leur façon de vivre, et si elle fait aussi des émules dans des territoires qui font évoluer leurs politiques locales, ce courant de pensée n’est pas encore assez présent au sein de l’opinion pour mettre fin au mythe de la croissance dans les discours hégémoniques. Et l’on continue d’entendre nos chef·fes de gouvernement vouloir « doper la croissance », « rattraper des points de PIB »… usant constamment d’un lexique qui témoigne d’un accrochage très fort et quasi généralisé à cette sacro-sainte croissance. Envers et contre l’écologie.