Climat : choisir ou subir la transition ?

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Energies citoyennes dîtes-vous ? Quand les énergies renouvelables citoyennes sont moteurs d’une transition sociétale

, par GUILLOU Maelle, PEULLEMEULLE Justine

Tandis que les conférences sur le climat devraient être l’espace de gouvernance au sein duquel se décide l’avenir des générations futures,d’autres ont décidé de ne pas attendre les grandes « avancées » supranationales pour tester, tâtonner collectivement afin de reprendre leur destin énergétique en main.

C’est l’histoire d’agriculteurs, d’enseignants, d’élus locaux, d’experts comptables en Bretagne, en Auvergne, en Rhône-Alpes, etc. Toutes ces personnes ont un point commun : s’être engagées dans un ou plusieurs projets de production d’énergies renouvelables sur leur territoire. En France, lorsque l’on parle d’énergie citoyenne, nous faisons référence avant tout à l’organisation d’une initiative collective faite d’habitants, de collectivités, d’entreprises locales qui mettent leurs forces en commun pour créer et financer ensemble des unités de production d’énergies renouvelables et des initiatives pour réduire leur consommation d’énergies.

Ces initiatives collectives existent partout en Europe. Elles tendent à se multiplier depuis quelques années. En France, l’enjeu est d’autant plus important au regard d’un système énergétique toujours centralisateur et très nucléarisé.

Dans cet article, nous souhaitons présenter les réalités de l’énergie citoyenne en France, son ADN, ses enjeux actuels. Nous nous efforcerons d’être le plus clair possible pour vous donner envie, à vous lecteurs aussi citoyens-investisseurs-consom’acteurs, de vous engager dans une tendance qui doit à terme devenir majoritaire.

Crédits : D.R

L’énergie citoyenne, son ADN

Se chauffer, recharger son portable, allumer la lumière sont des actes tout à fait « élémentaires », comme se nourrir. A l’image de l’alimentation, l’énergie provient de ressources que nous exploitons afin de subvenir à nos besoins, tant primaires que (de plus en plus) secondaires.

Au même titre qu’il existe des coopératives alimentaires pour réconcilier la chaîne d’approvisionnement avec la consommation de produits généralement locaux et « bio », il existe des coopératives d’énergie ou des sociétés de production qui se rapprochent du fonctionnement coopératif [1]. Il s’agit de mettre en place trois circuits-courts plus innovants les uns que les autres :

Circuit-court de la gouvernance  : considérées comme des énergies de terroirs, les énergies renouvelables citoyennes répondent à un mode de gestion de la ressource basé sur des principes coopératifs et non concurrentiels ainsi que sur un pouvoir partagé entre les acteurs locaux. Le consommateur d’énergie investit et s’investit dans la gouvernance d’une entreprise. L’enjeu ici est bien de maîtriser les décisions du projet depuis sa conception jusqu’à son exploitation. La gouvernance peut être majoritairement assurée par des acteurs locaux (collectivités, collectifs d’habitants, collectifs d’agriculteurs, etc.) ou peut prévoir une minorité de blocage citoyenne dans le cas où le projet est une initiative d’une entreprise privée, communément appelée « développeur ».

Un des exemples de ce modèle de gouvernance sont les centrales villageoises [2] ; un modèle alternatif de production d’énergies renouvelables sur les territoires ruraux. Nées et développées en Rhône-Alpes, à l’initiative de l’Agence Régionale de l’Energie et de l’Environnement [3] et des parcs naturels régionaux de Rhône-Alpes, les centrales villageoises ont comme principe d’associer citoyens, entreprises locales et élus autour de projets communs et cohérents avec les Parc Naturels régionaux.

Les centrales villageoises sont des sociétés locales d’énergies. Leur amorçage a été réalisé par des projets photovoltaïques pour montrer rapidement qu’il est possible de monter ce type de société. Le modèle repose sur des sociétés locales de type Société par Action Simplifiée (SAS) ou Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). En mai 2015, 7 structures ont été créées et l’essaimage a commencé dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Circuit-court de la finance : lorsque l’on parle d’énergies citoyennes, c’est bien une entreprise que l’on développe qui doit donc être viable économiquement. La particularité : les fonds propres qui constituent le capital de la société proviennent d’habitants, de collectivités territoriales, d’acteurs de l’économie sociale et solidaire. Les outils d’investissements citoyens qui interviennent dans le capital sont les suivants : l’investissement des acteurs locaux (tant des habitants via des clubs d’investisseurs que des collectivités via des fonds d’investissements publics comme le fonds OSER), l’épargne des citoyens via l’outil de financement national Energie Partagée Investissement (un outil qui sera détaillé dans la suite de cet article), et enfin, l’investissement d’entreprises de l’économie sociale et solidaire comme Enercoop [4] ou d’autres entreprises locales.

Le projet éolien Begawatt, débuté en 2003, a réussi à lever 2,5 millions d’euros de fonds propres. C’est une première dans le monde des énergies renouvelables. Plus de 50 clubs d’investisseurs [5] ont vu le jour durant le projet, rassemblant plus d’un millier de personnes qui ont collecté un million d’euros. Ces chiffres s’expliquent par une diffusion permanente d’information auprès des habitants du pays de Redon et de Bretagne. Des réunions « Tuperwatt » ont été organisées de manière à informer et à assurer une proximité avec les citoyens locaux. Le fonds Breton Eilan [6] a également pris part à cette aventure en investissant en capital. Enfin, Énergie Partagée Investissement, l’outil national de financement de l’énergie citoyenne, est venu finaliser les fonds propres. Résultat : sur un investissement global de 12 millions d’euros, 2,5 millions d’euros en capital fondent la société. Lors de la mise en place ce projet, il a fallu démontrer aux établissements bancaires la solidité des investisseurs citoyens, habitués traditionnellement à avoir un seul responsable.

Circuit-court de l’énergie : dans un monde idéal, les consommateurs seraient aussi producteurs, et ce dans une démarche collective. Ils revendraient leur électricité aux fournisseurs de leur choix sans avoir à faire face à des distorsions de concurrence. Dans la réalité, la plupart des projets citoyens revendent leur électricité à EDF, entreprise dont l’État est actionnaire à 84 % et qui pratique des tarifs difficilement concurrentiels pour les autres fournisseurs. A l’heure où l’on écrit cet article, ce système d’obligation d’achat devrait bientôt disparaître pour laisser la place à un système de tarifs de revente basés sur le marché, avec un complément de rémunération. Cela ne laisse pas présager d’incitation pour les projets citoyens. Pour autant, il est bien question ici d’accroître le pouvoir des habitants, des collectivités et de tout type d’acteurs locaux qui souhaiteraient conserver les revenus des projets de production d’énergie sur leur territoire. A Mélesse, en Bretagne, le projet « Soleil du Grand Ouest » est né d’une volonté commune entre la coopérative alimentaire bio Biocoop et la coopérative fournisseur d’électricité Enercoop de développer ensemble un projet de production d’énergie renouvelable de proximité. Ce projet consiste en la réalisation d’une centrale photovoltaïque sur le toit de l’extension de la plate-forme logistique de Biocoop Grand Ouest. Le branchement de cette centrale se fera en autoconsommation, c’est-à-dire que la production sera directement achetée et consommée par la plate-forme Biocoop, sans passer par EDF.

Développer les énergies renouvelables citoyennes, c’est relocaliser la richesse sur son territoire

En France, le développement des énergies renouvelables reste (pour le moment) principalement porté par des investisseurs privés « hors sol » : fonds d’investissements allemands, fonds d’investissements australien, entreprises nationales et internationales. La loi sur la transition énergétique en cours d’adoption donne un cadre davantage incitatif, notamment sur le financement par des acteurs locaux et la participation directe des collectivités dans les sociétés locales.

Par exemple, depuis quelques années, dans le pays de Combrailles, en Auvergne, une société coopérative d’intérêt collectif est née, et développe un projet photovoltaïque sur les toits des écoles. Il s’agit de la coopérative Combrailles Durables [7]. 11 centrales photovoltaïques produisent de l’énergie avec plus de 200 investisseurs-coopérateurs. Le principe est simple : pas de rémunération pour les investisseurs locaux, une personne = une voix et les bénéfices sont réinvestis dans d’autres projets d’ENR. La richesse économique est donc réinvestie, sur le territoire. C’est aussi une richesse sociale qui s’est installée au fur et à mesure, prouvant qu’il est possible de rassembler des habitants à compétences plurielles (professeurs , entrepreneurs, chargés de communication, etc.). C’est une démonstration de l’intelligence collective qui se développe.

Dans le Limousin, ce sont des agriculteurs de la CUMA (Coopérative d’utilisation de matériel agricole) des Monts de Rilhac-Lastours qui se sont rassemblés pour dresser une grande éolienne sur leurs champs. La Citoyenne est en service depuis juin 2014 et produit 3 600 MWh par an, soit la consommation de 1 440 foyers.
Les agriculteurs vont encore plus loin puisqu’ils ont créé une société coopérative qui participe au développement d’autres projets citoyens de différentes filières et partout en France.

Pour le moment, les sociétés citoyennes d’énergies renouvelables créent peu d’emplois directs. L’énergie citoyenne se base en effet beaucoup sur du bénévolat. Par contre, ces activités économiques maintiennent l’emploi et font monter en compétence celles et ceux qui s’engagent dans les projets. Elles travaillent avec des bureaux d’études et des développeurs pour qu’innovation sociétale et technique fassent la réussite de ces projets.

En Europe, les énergies renouvelables sont en marche

Le mouvement de l’énergie citoyenne, bien qu’encore naissant en France, existe depuis de nombreuses années dans de nombreux pays européens. Certains projets français comme celui d’Enercoop se sont largement inspirés de l’exemple de leurs voisins belges ou allemands lors de leur création. En effet, les initiatives citoyennes d’énergie renouvelable sont largement répandues dans certains pays d’Europe comme en Allemagne où l’on en recense plus de 800, créées uniquement entre 2006 et 2015.

Afin de pouvoir capitaliser ce savoir-faire et ces bonnes pratiques, mais également afin de renforcer le mouvement de l’énergie citoyenne, plusieurs structures se sont rassemblées pour créer la Fédération européenne des coopératives et groupes de citoyens pour l’énergie renouvelable : REScoop.eu. Cette Fédération, officiellement créée en décembre 2013 et dont la coopérative française Enercoop est membre fondateur, s’est fixée comme principaux objectifs de :
• soutenir la création de nouveaux projets citoyens d’énergie renouvelable sur tout le territoire européen ;
• soutenir le financement de ces initiatives et créer des outils notamment financiers et bancaires nécessaires à la réalisation de ces missions ;
• promouvoir et représenter les membres de REScoop.eu auprès des institutions régionales, nationales et européennes ;
• soutenir la recherche en matière d’énergie renouvelable.

La Fédération rassemble aujourd’hui plus de la moitié des projets citoyens d’énergie renouvelable en Europe à travers ses 20 organisations membres. La plupart de ses membres sont en fait des fédérations nationales de projets citoyens engagés dans la transition énergétique à leur échelle. Durant les trois dernières années, plus de 2 400 coopératives d’énergie renouvelable ont été cartographiées sur le territoire européen.

Toutes ces initiatives ont appliqué des méthodes différentes mais conservent un même objectif commun : la réappropriation des enjeux énergétiques par les citoyens. Le dérèglement climatique étant largement causé par les activités humaines, les solutions ne peuvent venir que des citoyens, des entreprises, des collectivités et de leur manière de s’organiser. La transition énergétique appelle à une révision en profondeur de notre organisation pour faire société. L’enjeu majeur est la reprise en main des décisions, c’est-à-dire de la gouvernance et du financement, et avant tout, de notre manière de consommer. C’est ce qui s’expérimente à l’échelle locale et le changement d’échelle ne repose pas sur le développement de grandes unités de productions mais bien sur la multiplication des petites et moyennes unités de production adaptés à une consommation plus sobre et moins énergivore.

Notes

[1Dans cet article, nous emploierons le terme de société de projet, à savoir une société qui a pour seule activité, la production d’énergies renouvelables.

[2Retrouver le site des Centrales villageoises : www.centralesvillaegoises.info. Un site de ressources documentaires pour dupliquer au mieux cette démarche, partout en France.

[3L’Agence Régionale de l’Energie et de l’Environnement a pour mission d’accompagner les innovations autour de la transition énergétique : www.raee.org

[4Enercoop est le seul distributeur qui s’alimente 100 % énergies renouvelables en France qui fonctionne sur les principes d’une coopérative : www.enercoop.fr

[5Clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire. Un club CIGALES (Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire) est une structure de capital risque solidaire mobilisant l’épargne de ses membres au service de la création et du développement de petites entreprises locales et collectives (SARL, SCOP, SCIC, SA, association, …). Le Club est constitué de 5 à 20 personnes qui mettent une partie de leur épargne en commun. Il se réunit plusieurs fois par an pour recevoir les créateurs, décider de leur placements et affecter cette épargne collective au capital des entreprises : cigales.asso.fr

Commentaires

ÉNERGIE PARTAGÉE, UN MOUVEMENT NATIONAL DE L’ÉNERGIE ET DE L’INVESTISSEMENT CITOYENS.

Énergie Partagée a été créé en 2010, à l’initiative d’acteurs de la finance solidaire, à savoir la Banque Ethique, la Nef, le Crédit Coopératif et d’acteurs des énergies renouvelables comme Enercoop, le Cler, Solira développement, Hespul, ainsi que de pionniers de l’énergie citoyenne comme Eoliennes en Pays de Vilaine.. L’objectif est clair : accompagner, conseiller et financer les sociétés de projets pour multiplier la réappropriation de nos moyens de consommation et de production d’énergies renouvelables. Basé sur le scénario Negawatt [1], Énergie Partagée s’attache à répondre à cet objectif par deux outils. L’association qui anime les dynamiques sur les territoires par des formations, des mises en relation, de l’accompagnement et l’outil de financement solidaire dédié à la transition énergétique, Énergie Partagée Investissement qui conseille et finance des projets d’énergies renouvelables citoyens.
Ainsi, Énergie Partagée Investissement est un outil national au service de projets locaux. Le principe est simple collecter l’épargne des citoyens et de structures pour l’investir dans des projets portés par des acteurs locaux. En quatre ans, cet outil de financement a collecté plus 8 millions d’euros, investis dans une vingtaine de projets citoyens d’énergies renouvelables. Énergie Partagée Investissement n’en est qu’à ses débuts et le changement d’échelle sera indispensable à la pérennité de cet outil. Il prévoit pour cela de collecter 25 millions d’euros d’ici 2020.