Pourquoi il est important de faire entendre la voix des collectivités locales
La meilleure manière d’expliquer l’importance de faire entendre la voix et d’intégrer le point de vue des collectivités locales dans les discussions internationales sur le climat est de retracer leur histoire de leadership et de plaidoyer des collectivités locales dans ce domaine.
Nous sommes en 1990. Suite à la publication, trois ans auparavant, du rapport de la Commission Brundtland qui appelait à une action multilatérale en matière de lutte contre le changement climatique, 200 dirigeants de villes de plus de 50 pays se réunissent, pour la première fois dans l’histoire, au siège des Nations unies à New York, un jour de septembre, avec une mission commune : « construire et appuyer un mouvement mondial de collectivités locales afin d’obtenir des améliorations tangibles en matière de développement soutenable global, avec un accent particulier sur les conditions environnementales, à travers des actions locales cumulatives ». Ce fut le congrès fondateur du Conseil international pour les initiatives écologiques locales ou International Council of Local Environmental Initiatives (ICLEI) en anglais, désormais connu sous le nom d’ICLEI - Local Governments for Sustainability (« Collectivités locales pour la durabilité »).
L’objectif sous-jacent à la création d’ICLEI était d’unir les villes du monde et, pour la première fois, de porter la voix des collectivités locales sur la scène internationale, en revendiquant ce que nous appelons aujourd’hui le « développement urbain durable ». Le moment choisi n’aurait pas pu être plus opportun.
En 1992, le Sommet de la Terre des Nations unies à Rio de Janeiro a débouché sur trois conventions internationales fondamentales, qui continuent à ancrer et orienter la politique internationale en matière de changement climatique aujourd’hui :
• La Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC)
• La Convention sur la diversité biologique (CDB)
• La Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CLD)
ICLEI a joué un rôle crucial d’appui technique et de coordination pour ériger les collectivités locales en parties prenantes clés du processus d’élaboration et de suivi de ces conventions onusiennes, en particulier la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique et la Convention sur la diversité biologique. Aussi, ICLEI a travaillé étroitement avec le secrétariat du Sommet de Rio pour élaborer le chapitre « Initiatives des collectivités locales pour l’appui de l’Agenda 21 », un chapitre crucial de l’Agenda 21, le plan d’action global sur le développement durable issu de la Convention.
Le Sommet de la Terre fut un succès considérable, dans la mesure où les collectivités locales furent incluses parmi les neuf groupes principaux de l’Agenda 21. Les autorités sous-nationales, avec les autorités municipales et locales, se trouvaient ainsi reconnues comme l’une des parties prenantes officielles de la CCNUCC.
Cependant, aussi bien la CCNUCC que le Protocole de Kyoto négligeaient le rôle critique que jouent ou que devraient jouer les collectivités locales et les administrations territoriales dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que dans les efforts d’adaptation au changement climatique. L’absence de référence aux autorités locales ou régionales se traduisit une fois de plus, par l’élaboration de stratégies par pays exclusivement centrées sur les gouvernements nationaux.
Créer un leadership des collectivités locales –le Sommet des leaders municipaux
Face à cette faible intégration des collectivités locales dans les cadres nationaux de lutte contre le changement climatique, ICLEI organisa en 1993, à New York, le Sommet des leaders municipaux sur les changements climatiques [1] afin de créer une plateforme pour un leadership multi-niveaux en matière de climat.
Ce sommet donna naissance à la campagne « Villes pour la protection du climat » (Cities for Climate Protection, CCP pour ses sigles en anglais), qui constitue la réponse globale des collectivités locales à l’adoption de la CCNUCC. Basée sur les acquis du projet « Réduction du CO2 urbain » (Urban CO2 Reduction) d’ICLEI, lancé en 1991, la campagne CCP [2] se concentrait sur l’action climatique locale, avec pour objectif de renforcer la capacité des administrations territoriales à concevoir et mettre en œuvre des politiques énergétiques municipales parvenant à réduire les émissions urbaines de gaz à effet de serre. Elle proposait un processus en 5 étapes pour mesurer les progrès en matière d’atténuation du changement climatique.
Le Deuxième Sommet des leaders municipaux sur les changements climatiques [3] eu lieu à Berlin en mars 1995, en même temps que la première Conférence des parties (COP1) de la CCNUCC. Ce Sommet déboucha sur l’établissement des Gouvernements locaux et autorités municipales (Local Authorities and Municipal Authorities, LGMA pour ses sigles en anglais) comme partie prenante officiel des COP, au même titre que les entreprises et les ONG environnementales. Un autre résultat significatif de ce Sommet fut le « Communiqué » adressé à la COP au nom de 150 leaders municipaux de plus de 50 pays, pressant celle-ci de mettre en place un organisme affilié dédié aux collectivités locales afin de soutenir les efforts de ces dernières pour aider les pays signataires de la CCNUCC à respecter le traité.
Copenhague ou rien –plaidoyer et leadership pour l’action climatique locale de 1995 à 2007
Depuis 1995, ICLEI a été présent à chaque Conférence des parties de la CCNUCC. ICLEI a soutenu la participation de leaders locaux à ces conférences, et a organisé des événements parallèles afin de promouvoir le point de vue des collectivités locales et leur fournir une plateforme pour la reconnaissance de leurs actions ambitieuses en matière d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
Quelque que soit l’événement ou le lieu, notre message est resté le même : les collectivités locales agissent et se sont engagées à réduire significativement leurs émissions de gaz à effet de serre. Le temps est venu pour les gouvernements nationaux de reconnaître ces efforts, d’y donner suite et de soutenir les efforts ambitieux de leurs villes. Ce plaidoyer initial se basait sur des actions solides sur le terrain au niveau local et sur une large gamme de programmes régionaux et nationaux pour soutenir l’action des villes en matière de climat, de manière mesurable et notifiable.
La feuille de route climat des gouvernements locaux
En 2007, lorsque l’expiration imminente du Protocole de Kyoto commença à se faire sentir, les négociations climatiques entrèrent dans une nouvelle phase. Lors de la COP13 de la CCNUCC en 2007, accueillie par le gouvernement indonésien à Bali, diverses nations prirent des engagements à travers l’élaboration du Plan d’action de Bali. Il encourageait les gouvernements nationaux à adopter des actions de réductions des émissions de gaz à effet de serre qui soient « mesurables, notifiables et vérifiables », et posa les fondations des progrès à venir en matière de réduction des émissions, en vue d’un futur accord sur le climat post-2012. Étant donné que la feuille de route présentée par l’ONU à Bali ne mentionnait pas les autorités à l’échelle subnationale, ICLEI décida de combler ce vide en élaborant la « Feuille de route climat des collectivités locales » [4], un processus parallèle d’accompagnement.
Les efforts déployés entre Bali et Copenhague constituèrent une prise de conscience pour d’autres réseaux de villes, internationaux et régionaux, du besoin de participer à ce processus. Certains d’entre eux s’enregistrèrent même comme observateurs à la CCNUCC. ICLEI a facilité la création de la « Feuille de route climat des collectivités locales » dans le cadre d’un effort conjoint des réseaux de villes intéressées pour porter une voix unique et pour faire reconnaître les autorités locales et subnationales comme un acteur clé de toute politique visant les conséquences aussi bien que les causes du changement climatique.
Feuilles de route pour un plaidoyer et une action du local au global
La « Feuille de route climat des collectivités locales » (Local Government Climate Roadmap, LGCR pour ses sigles en anglais) est une coalition et un processus de plaidoyer des gouvernements locaux, des autorités municipales et de leurs réseaux, établi par ICLEI en 2007, pour reconnaître, impliquer et renforcer les collectivités locales dans les négociations globales sur le climat. ICLEI a facilité la « Feuille de route Climat des collectivités locales », qui est soutenue par de nombreux autres réseaux de villes comme Cités et gouvernements locaux unis (CGLU), Metropolis et CityNet, pour guider les nations dans l’élaboration d’un plan d’action mondial en vue d’un cadre post-Kyoto sur le changement climatique qui implique toutes les parties prenantes et bénéficie de leur potentiel.
En 2009, pour la COP15, la plus importante délégation de l’histoire de représentants de collectivités locales à une conférence internationale sur le climat, et la seconde plus importante délégation à la COP – 1200 personnes dont une centaine de maires – formulèrent des engagements et la plupart se rendirent à Copenhague. À cette occasion fut lancé le Catalogue mondial des engagements climatiques locaux de Copenhague, la toute première base de données en ligne centralisant 3000 engagements locaux en matière d’action climatique (ce catalogue est aujourd’hui intégré au Registre Climatique carbonn [5]).
En 2010, à Cancun, le Pacte mondial des villes sur le climat, ou Pacte de Mexico, et le Registre climatique carbonn furent lancés quelques jours en amont de la COP16 de Mexico, en lien à la fois avec le Sommet mondial de la CGLU et avec un événement parallèle associant maires et parlementaires, organisé par ICLEI et le maire de Mexico, Marcelo Ebrard, alors président du Conseil mondial des maires sur le changement climatique. À travers le Pacte de Mexico, les collectivités locales se sont engagées ensemble à adopter des objectifs climatiques mesurables, notifiables et vérifiables et à rendre compte des évolutions de leurs engagements, de leurs inventaires de gaz à effet de serre et de leurs actions en matière de climat (atténuation et adaptation). L’année suivante, à Durban (COP17), ICLEI et des partenaires sud-africains lancèrent la Charte de Durban sur l’adaptation, qui contribua à approfondir les engagements des collectivités locales en matière d’adaptation au changement climatique et de résilience locale.
En 2012 à Bonn, ICLEI et C40, en partenariat avec le World Resources Institute (WRI), lancèrent la version pilote 1.0 du Protocole global sur les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle communautaire, un mécanisme de comptabilité et de reporting des émissions de gaz à effet de serre destiné aux villes et aux territoires. Ce pas en avant décisif constitue une base pour des développements futurs en matière de soutien technique à destination des collectivités locales.
Ambitions renforcées vers un nouvel accord sur le climat à Paris, en 2015
En 2013 fut adoptée la Déclaration de Nantes des maires et des dirigeants territoriaux sur le changement climatique [6], un signal fort et clair des collectivités locales et des villes à leur homologues nationaux. Le but de cette seconde phase de la « Feuille de route Climat », avec l’objectif fondamental de reconnaître, impliquer et renforcer les collectivités locales, était de consolider un leadership au niveau des gouvernements locaux et nationaux pour accroître le niveau d’ambition en vue d’un nouvel accord climatique à Paris en 2015.
En parallèle à son travail de plaidoyer, ICLEI a proposé de nombreux programmes pour des Villes bas carbone [7] , et toute une gamme d’autres outils pour soutenir la planification, la mise en œuvre et l’évaluation par les villes de leurs efforts en matière de soutenabilité et de réduction de leur empreinte carbone. Dans le domaine de l’atténuation du changement climatique, cela inclut des outils d’inventaire des émissions de gaz à effet de serre comme l’Outil harmonisé d’analyse des émissions plus (HEAT+ [8] ) et la plateforme internationale de reporting pour l’action climatique locale et subnationale, à savoir le Registre Climatique carbonn, mentionné précédemment.
Cette plateforme se distingue des registres territoriaux homologues par son objectif rigoureux d’amélioration de la transparence, du suivi et de la crédibilité des actions climatiques locales, en répertoriant les engagements des villes en matière d’actions quantifiables, mesurables, notifiables et vérifiables, afin de mettre en lumière, au niveau national et international, les actions menées localement. Ce programme volontaire de reporting, promu conjointement par des villes pionnières et par les partenaires de la Feuille de route Climat des collectivités locales, a produit à ce jour des résultats très encourageants.
En 2014, plus de 500 villes et autorités territoriales du monde, représentant plus de 12% de la population urbaine mondiale, ont rapporté leurs données au Registre Climatique carbonn. Au total, plus de 5000 actions d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique ont ainsi été déclarées, dont un millier sont des engagements en matière énergétique qui représentent une diminution de 2,28 gigatonnes de gaz à effet de serre (GtCO2eq). Selon le rapport annuel 2014 du Registre Climatique carbonn, plus de la moitié des villes participantes (54%) ont déclaré des objectifs de réduction de plus de 1% par an, bien au-delà des objectifs affichés par les gouvernements nationaux les plus ambitieux dans le cadre du Protocole de Kyoto.
ICLEI a établi de nombreux programmes internationaux et régionaux pour soutenir les villes dans l’élaboration et la planification de leur stratégie climatique, comme le Plan d’action climatique municipal (PACMUN - Plan de Acción Climática Municipal), un programme mené par le Secrétariat d’ICLEI pour le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes, soutenu par le gouvernement fédéral mexicain et des gouvernements locaux du pays, ainsi que par le Mexico Prosperity Fund de l’ambassade du Royaume-Uni.
Paysage actuel du plaidoyer des collectivités locales pour le climat
L’importance de villes soutenables comme facteur déterminant d’un avenir soutenable pour notre planète est désormais largement acceptée. Cette reconnaissance est largement due aux efforts collectifs de réseaux de villes tels qu’ICLEI, Metropolis, la CGLU, le Groupe leader des villes pour le climat C40 et de réseaux nationaux, pour continuer à valoriser les réussites ambitieuses des villes et à lutter pour leur prise en compte dans l’arène climatique internationale. La poursuite de ces efforts est néanmoins nécessaire pour s’assurer que le rôle crucial des collectivités locales et de leurs réseaux de plaidoyer ne soit pas négligé dans l’élaboration de la stratégie internationale en matière de climat.
L’histoire de ces deux dernières décennies de plaidoyer climatique montre que pour promouvoir l’action climatique locale au niveau global, il vaut mieux unir ses forces. Il est difficile d’imaginer, par exemple, que jusqu’en 2008, seule une poignée d’organisations de collectivités locales étaient enregistrées comme observateurs à la CCNUCC, tandis que 20 réseaux de villes et de territoires sont aujourd’hui aux côtés d’ICLEI dans le groupe LGMA [9] pour revendiquer l’intégration verticale d’engagements et d’actions climatiques ambitieux à tous les niveaux de gouvernement.
Au vu de la riche histoire du plaidoyer climatique des collectivités locales, il est clair que celles-ci ne se contentent pas d’attendre le changement – elles le suscitent.