Luttes et espoirs des activistes des médias libres dans le monde
Le Forum mondial des médias libres (FMML) est un rassemblement de militants des médias libres et alternatifs, de chercheurs et de facilitateurs du monde entier. Il fait partie du Forum social mondial (FSM), plus large, qui regroupe depuis 2001 des activistes, des mouvements sociaux et des organisations qui militent pour la justice sociale et la construction d’une nouvelle société fondée sur la solidarité, l’égalité et le développement écologique.
Depuis la première édition du FMML en 2009 (à Belém, au Brésil), de nombreuses réunions se sont tenues, notamment au sein du FSM, mais aussi lors de séminaires locaux et régionaux et de réunions en ligne. Ce processus nous a aidé.e.s à créer des collaborations et même des amitiés. Plus important encore, il nous a permis de développer une meilleure compréhension des problèmes concernant les médias et technologies libres dans le monde entier.
Ce recueil d’articles est un résultat de ces discussions. Plus précisément, il fait suite à la dernière édition du FMML qui s’est tenue à Montréal en août 2016. Nous avons eu des débats stimulants au cours de cet événement mais nous voulions également conserver des documents écrits de ces discussions, afin de pouvoir les diffuser sur nos réseaux et au-delà, et contribuer à éclairer et à faire respecter les luttes et les initiatives du type. L’objectif était de se pencher sur les nombreux défis communs auxquels sont confrontés les médias libres dans le monde, tout en soulignant certaines spécificités régionales.
Outre les contributions provenant de différents pays, il est important de noter que ce dossier a été entièrement réalisé à distance et coordonné entre des personnes provenant de trois pays (Canada, Brésil et France). Les contributions ont été rassemblées en deux parties : la première partie s’intéresse aux enjeux et aux défis auxquels sont confrontés les médias libres aujourd’hui, et la deuxième contient différentes propositions et alternatives face à ces défis.
Le premier article, de Gustave Massiah, est basé sur le discours que l’auteur a prononcé lors de la cérémonie d’ouverture de la 5e édition du FMML, à Montréal. L’article présente une vue d’ensemble du « vieux monde en train de mourir » et l’émergence de nouveaux mouvements, tels que la révolution écologique et le mouvement des femmes, en réponse à ce déclin du vieux monde. Bien qu’il ne porte pas spécifiquement sur les médias libres, l’article pose le contexte dans lequel évoluent les activistes des médias libres.
Rita Freire, Bia Barbosa et Mônica Mourão sont engagées dans les organisations brésiliennes Ciranda et Intervozes. Dans leur article, elles relatent l’histoire des monopoles et de la concentration des médias en Amérique du Sud et elles soutiennent que ces concentrations bénéficient la plupart du temps, voire en permanence, aux idéologies et aux politiciens conservateurs. C’est particulièrement le cas dans la récente lutte politique au Brésil, où les médias dominants ont « manipulé l’opinion publique brésilienne contre le gouvernement » de Dilma Rousseff.
Dans l’article suivant, l’AMARC (Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires) se penche sur le processus de violence et de criminalisation contre les communicateurs populaires. L’association affirme qu’il n’y a pas de crise structurelle affectant les radios communautaires et que la pression subie par ces radiodiffuseurs finit par les conduire à créer des « échappatoires », à rechercher de nouveaux types d’actions et à modifier leurs modèles opérationnels afin de pouvoir rester socialement et politiquement actifs dans les communautés où ils sont présents.
Dans son article, Sébastien Boistel aborde les défis auxquels sont confrontés les médias libres et citoyens pour pouvoir survivre financièrement. C’est particulièrement le cas pour les médias indépendants, qui dépendent de travailleurs salariés pour pouvoir fonctionner. L’auteur analyse spécifiquement la situation en France et note que, bien que des fonds importants aient affectés au secteur des médias libres suite au massacre de Charlie Hebdo, ces investissements sont le plus souvent limités à un type particulier d’activité médiatique et excluent, par exemple, les pratiques participatives.
Sally Burch compare dans son article l’Internet propriétaire , qui contrôle de plus en plus nos vies, avec l’Internet populaire qui, malgré des conditions défavorables, continue à avoir le vent en poupe, comme le démontrent les initiatives en faveur de l’ouverture de l’accès aux connaissances, de la culture libre, des technologies non propriétaires, des réseaux communautaires, etc. Sally rappelle également la proposition du Forum social de l’Internet d’unir ces différentes initiatives.
Alex Haché et Fieke Jansen expliquent dans leur article comment la protection de la vie privée, la surveillance et le suivi des données devraient avoir davantage d’importance pour les défenseurs des droits humains et les projets de médias libres. Elles montrent les différentes manières dont l’utilisation d’Internet - en particulier à des fins commerciales - peut mettre en danger les personnes, leurs contacts et leurs réseaux. Ces auteures nous exhortent à changer nos pratiques afin d’envisager, entre autres, des alternatives de protection de la vie privée.
Dans la seconde partie portant sur les propositions, Bernard Salamand et Viviana Varin analysent le rôle des médias alternatifs dans le traitement de la justice climatique. Ils soutiennent que l’approche des médias dominants face au changement climatique est essentiellement consensuelle et centrée sur des conséquences spectaculaires ou significatives. A contrario, les médias alternatifs tendent plutôt à politiser la question des changements climatiques. Les médias alternatifs, plus proches des mouvements de justice sociale et environnementale, sont mieux placés pour s’attaquer aux causes systémiques du changement climatique et faire valoir des solutions.
Loreto Bravo appelle à la décolonisation de la communication, des médias et des technologies numériques. Son appel est basé sur son engagement dans la radio communautaire et les réseaux autonomes de téléphonie mobile en Amérique latine, et particulièrement à Oaxaca, au Mexique. Décoloniser signifie initier plusieurs processus, tels que démystifier l’idée que la technologie est le domaine masculin des ingénieurs (blancs), garantir une création de connaissances durable, rejeter la marchandisation et l’exotisation des cultures autochtones, et reconquérir le spectre radio pour une utilisation communautaire (en particulier sur les territoires des populations autochtones).
Gretchen King et Laith Marouf se référent également à la radio communautaire et décrivent la Radio Free Palestine, une émission de radio diffusée sur une radio communautaire de Montréal depuis 2008. L’article décrit les objectifs de Radio Free Palestine, son organisation et son impact, mais replace aussi cette initiative dans le contexte d’autres émissions similaires faisant place à des voix palestiniennes, et plus largement avec les médias communautaires.
Myriam Merlant aborde les questions des discours médiatiques de la haine dans différents pays, comme les « Radios poubelle » au Québec, la contribution des médias dominants à la montée du « Trumpisme » aux États-Unis, la lutte contre la radicalisation islamiste au Maghreb-Machrek et finalement, contre les médias conservateurs au Brésil. Son travail est basé sur des interviews qu’elle a réalisées lors de la 5e édition du Forum mondial des médias libres, en 2016.
L’article suivant signale la nécessité de créer un réseau médiatique international indépendant. Il a été rédigé par le Groupe de travail Convergence Indymedia Montréal 2016, un collectif de militants qui se sont rencontrés lors du 5e FMML à Montréal pour discuter de la façon dont Indymedia – le réseau mondial de médias indépendants très actif au début des années 2000 – pouvait contribuer à la création d’un nouveau réseau de médias indépendants. L’article résume ces discussions et expose les différents aspects qu’un tel réseau devra prendre en considération.
Enfin, Erika Campelo présente l’histoire et les défis du FMML. Elle décrit les moments clés qui ont marqué le FMML et conduit à son projet le plus important, la Charte mondiale des médias libres. Entre autres choses, l’auteure nous rappelle que l’approche adoptée par le FMML est inspirée par l’idée de l’information en tant que bien commun, ce qui signifie que l’information ne devrait pas être contrôlée par un petit nombre de groupes de communication. Le droit à l’information et à la communication et l’appropriation sociale des technologies sont également des questions majeures discutées au sein du processus du FMML.
Après cet aperçu des articles, nous aimerions signaler quelques idées communes qui traversent ce recueil d’articles.
La reconnaissance du « vieux monde agonisant » - pour utiliser la formule de Massiah – marqué parexemple par une radicalisation du conservatisme, et la persistance de mouvements sociaux alternatifs et progressistes dans lesquels les médias libres sont ou devraient être ancrés.
La nécessité d’utiliser des technologies non propriétaires (comme les logiciels libres), d’être conscient.e.s et d’éviter, espérons-le, la surveillance et la collecte de données par l’État et les entreprises, et la nécessité de construire et de maintenir des infrastructures appartenant à la communauté.
La nécessité de créer des réseaux de médias ou de renforcer les réseaux existants. Des réseaux de radios communautaires ont été créés depuis les années 1960, mais il est également nécessaire de créer ou d’actualiser nos réseaux dans le contexte du développement important de l’utilisation de médias numériques.
La nécessité de décoloniser les médias, et plus spécifiquement de renforcer la voix des peuples autochtones à travers le monde et, inversement, d’affaiblir la voix du colonialisme, souvent cachée derrière un discours de neutralité et d’universalité.
Les médias libres et alternatifs ne cessent de croître et de se renouveler, notamment avec le développement rapide des technologies de communication numérique. Cependant, les luttes sociales et leurs enjeux restent largement les mêmes au fil du temps et il est donc nécessaire d’avoir des échanges réguliers et de développer des alliances stratégiques.
Si vous souhaitez faire partie de ce mouvement, n’hésitez pas à nous contacter ou à contacter un auteur ayant participé à ce recueil d’articles.