Sortir les radios poubelles du Québec
Comment qualifier une radio qui propose dans ses émissions des solutions pour débarrasser le Québec de ses indésirables comme par exemple de « castrer et déporter les itinérants [2] » ? Le terme radio poubelle n’est pas excessif quand ces médias semblent laisser la place sans aucun complexe à tous les discours de la haine (contre les musulmans, contre les « assistés », contre les autochtones, contre les homosexuels...). Pas de chance, ces radios font partie des médias les plus écoutés au Québec, surtout dans la ville de Québec et sa région, réputée très à droite. La page facebook de la radio poubelle Radio X - CHOI est ainsi likée par plus de 43 000 personnes. « Les radios poubelles ne le sont pas par idéologie mais comme elles veulent s’attirer un maximum d’audience, elles donnent dans la polémique », précise Stéphane Couture, professeur en communication à l’université de York et membre du FMML.
Pour contrer ces radios populistes, un collectif a rassemblé dans un blog les critiques sur les radios poubelles et des stations de radio ont fait des campagnes de pub appelant au boycott des radios poubelles. Mais les contre-discours ne pénètrent pas vraiment la société car « tant que la gauche et les médias qui luttent contre l’oppression n’adoptent pas des discours plus populaires, plus accessibles, ils n’auront pas l’audience nécessaire à la déconstruction des émissions des radios poubelles » analyse Stéphane Couture. Comme dans de nombreux autres pays, les médias libres du Québec manquent de financements et leurs tentatives avortées de regroupement les empêchent de présenter des demandes collectives de soutien au gouvernement.
Des radios communautaires à l’assaut du Trumpisme
Aux Etats-Unis, les médias mainstream n’ont pas caché leur contribution à l’ascension de Donald Trump. « Ils l’ont fait pour l’argent plus que par idéologie, en s’amusant de ce candidat qui devenait une caricature de lui-même » affirme Sphynx Eben, membre fondateur d’Indymedia Africa, qui vit et travaille aux États-Unis. Pour cet activiste de la communication, le rôle des radios communautaires a été primordial dans la dénonciation du populisme du candidat à la présidentielle. Des radios comme Wort FM sont devenues des espaces pour organiser les luttes contre l’extrême droite. « Les radios communautaires ont fait converger leurs actions sur les campus, pour les faire passer à gauche et pour organiser des manifestations étudiantes qui ont par exemple permis d’annuler une intervention de Trump à New York et un événement public à Chicago », raconte Sphynx. Leur mode d’organisation très horizontal a rendu ces radios structurées et puissantes à travers le pays. Malgré ces succès, Sphynx rappelle que les médias libres aux Etats-Unis ne sont plus aussi puissants et créatifs que dans les années 2000 : « Le renouvellement du Patriot Act en 2011 a accentué la défiance vis-à-vis des mouvements sociaux et des médias libres, qui souffrent aujourd’hui d’un gros manque de moyens humains et matériels ».
Maghreb-Machrek : promouvoir la tolérance contre les discours de radicalisation
Dans la région Maghreb-Machrek, les discours de la haine se propagent abondamment par la communication de groupes extrémistes appelant au jihad. Ces groupes ont de gros moyens financiers pour leur communication et bénéficient du relais de médias privés : « Pas mal de chaînes satellitaires basées en Occident, notamment à Londres, reprennent les discours de la haine de ces groupes terroristes et appellent les jeunes à se radicaliser », affirme Mohamed Leghtas, coordinateur du portail d’information e-Joussour. Face à la menace de radicalisation de nombreux jeunes dans cette région, des associations et des médias ont constitué l’an dernier à Tunis, pendant le FSM, une « Coalition Maghreb-Machrek pour la lutte contre les discours de la haine et la promotion de la tolérance ». Première action : la production d’une vidéo (en arabe, version française à venir), diffusée par tous les médias libres de la région. Instigateur d’un réseau d’une vingtaine de radios communautaires au Maroc, e-Joussour compte lancer très prochainement un appel à projets aux radios associatives pour financer des productions audiovisuelles, artistiques et culturelles contre les discours de la haine. Les radios communautaires ont effectivement pris à bras le corps cette nécessaire lutte contre la radicalisation et utilisent beaucoup de temps d’antenne pour en débattre. Mais leur audience est moindre par rapport à celle des communications produites par Daesh. Pour Mohamed Leghtas, cela tient en partie aux évolutions technologiques qui nécessitent des « moyens humains, techniques, matériels que nous n’avons pas » mais aussi au taux d’analphabétisme élevé dans certaines régions qui fait que les contenus des médias libres n’arrivent pas toujours jusqu’aux populations défavorisées.
La crise politique renouvelle l’audience des médias libres au Brésil
Les médias libres se sont beaucoup développés au Brésil depuis les années 2000. Qu’elles soient le fait de journalistes professionnels ou de jeunes communicateurs sociaux, la multiplication d’initiatives individuelles et décentralisées a cantonné ces médias à de faibles audiences. Mais la crise politique que traverse le Brésil est en train de changer la donne : « Les médias privés ont joué un rôle dans la déstabilisation du gouvernement ; aussi, toutes les personnes qui veulent sauver la démocratie cherchent des informations alternatives » explique Bia Barbosa, directrice du collectif de communication sociale Intervozes. Pour couvrir les manifestations et fournir des analyses sur la menace Temer, les médias libres ont bombardé les réseaux sociaux, créé des groupes de communication en continu sur Telegram, WhatsApp... Depuis le début de la crise, Midia Ninja produit jusqu’à 300 informations par jour. Et le Front brésilien populaire a créé son propre collectif de communication, rassemblant plus de 200 organisations et journalistes.
« Aujourd’hui, on travaille comme des fous pour défendre la démocratie mais une fois cette crise passée, que va-t-il rester de cette intense activité médiatique ? » questionne Bia. Autre réserve : malgré le succès des médias alternatifs, la concentration médiatique va bon train au Brésil. Il n’existe toujours pas de système public fort de communication ni de politique de diversité des programmes. « Dilma a reçu deux fois des collectifs de blogueurs mais n’a jamais soutenu les médias libres ». Une situation qui ne devrait guère s ’améliorer avec l’actuel président par intérim et qui devra attendre 2018 – année électorale – pour trouver (ou pas !) des auspices plus favorables...