Erdogan, Premier ministre de la Turquie de 2003 à 2014, était considéré jusqu’à la fin des années 2000 comme un « réformateur éclairé », favorisant la mise en place de mesures progressistes, respectant les libertés fondamentales et libéralisant le système politique, dans la perspective de l’ouverture de négociations pour l’adhésion de son pays à l’Union européenne. Mais, depuis 2010, Erdogan manifeste une volonté d’exercer un pouvoir sans partage en révisant la constitution dans son ensemble pour renforcer les pouvoirs du président et instaurer une constitution présidentielle.
Une réforme de la constitution en 2007, modifiant les conditions de l’élection présidentielle, lui permet, en 2014, d’être élu comme président de la Turquie pour la première fois au suffrage universel. En juillet 2015, le Parti de la justice et du développement, son parti, remporte les élections législatives mais n’obtient pas la majorité absolue, ce qui constitue un handicap dans son projet de révision de la constitution.
De plus, un nouveau parti voit le jour en 2012, le Parti démocratique des peuples (HDP), qui regroupe en son sein des défenseurs des droits des femmes, mais aussi et surtout des droits des Kurdes. Le HDP obtient 80 sièges au parlement lors des élections législatives de juillet 2015. Erdogan décide alors de dissoudre l’Assemblée et d’organiser de nouvelles élections qui ont lieu en novembre. L’AKP retrouve 50% des sièges en occupant 317 sièges sur 550, mais le HDP parvient à en conserver 59, une réussite pour ce parti.
Pour affermir son pouvoir, Erdogan parvient à faire passer, en mai 2016, un amendement qui supprime l’immunité parlementaire des députés. Les députés du HDP sont alors accusés d’être de connivence avec le PKK. Considérés comme des « terroristes kurdes », ils sont arrêtés, accusés de trahison et destitués de leurs mandats. Un second événement survient en juillet 2016 : le coup d’Etat raté des militaires. Il accuse les « gümélistes », les membres de la confrérie de Fethullah Güllen, de vouloir renverser le régime [1]. Erdogan en profite pour entamer une vaste purge au sein de l’armée. La répression atteint également les médias.
Le referendum d’avril 2017
La volonté de prise de pouvoir d’Erdogan atteint son paroxysme en 2016 lorsqu’il annonce l’organisation d’un referendum, fixé au 16 avril 2017, pour réviser la constitution parlementaire et en faire une constitution présidentielle. Cette révision a pour objectif un accroissement important des pouvoirs du président, avec la suppression du poste de Premier ministre, la possibilité de briguer plusieurs mandats et de rester à la tête du pouvoir jusqu’en 2029.
Le 16 avril 2017, le « oui » l’emporte avec une participation de 85% de la population et 51,37% des voix seulement. Les trois plus grandes villes du pays, Istanbul, Ankara et Izmir ont voté « non » et des manifestations voient le jour dans plusieurs grandes villes du pays, contestant le résultat des élections et dénonçant des manipulations. Les observateurs européens ont aussi remis en cause le déroulement de la campagne du vote.
Cette victoire n’est pas un triomphe pour Erdogan, mais elle lui permet de rester au pouvoir plus longtemps et d’avoir la mainmise sur les pouvoirs législatif et judiciaire. Elle donne aussi au président le pouvoir de déclarer l’état d’urgence, en cas de soulèvement qui pourrait mettre en danger la nation ou la diviser, ce qui revient à faciliter la répression d’un simple soulèvement populaire. Il obtient aussi un droit de véto lors de la promulgation des lois, même si le parlement garde son pouvoir de création de la loi. Enfin, Erdogan annonce l’organisation d’un referendum afin de rétablir la peine de mort, qui avait été abolie en 2002.
Un doute subsiste à ce jour concernant la place du Parlement dans les projets d’Erdogan. Beaucoup parlent de son intention de dissoudre cette assemblée pour effectuer de nouvelles élections et permettre à l’AKP de remporter plus de sièges. Face à la dérive autocratique du régime, l’opposition est menacée dans son droit à s’exprimer et dans son existence même.
Les droits fondamentaux menacés
Avec l’arrivée d’Erdogan au pouvoir, le pays avait progressé au plan démocratique avec de réelles avancées concernant les droits des femmes et des Kurdes. Mais, depuis quelques années, un retour en arrière est en train de s’opérer. Outre la régression de la condition des femmes (il est question que le port du voile redevienne obligatoire dans les universités alors qu’il avait été supprimé), les journalistes, les intellectuels et les universitaires font l’objet de privation de leurs droits. Depuis la tentative du coup d’Etat militaire de juillet 2016, on compte plus de 130 000 arrestations de fonctionnaires, enseignants, magistrats, militaires, suivies de suspension de leur fonction. Environ 40 000 personnes ont été placées en détention provisoire dont 128 journalistes. Quant aux journaux, radios, maisons d’éditions, télévisons indépendantes, 168 d’entre eux ont été fermés. De plus, les médias qui sont considérés pro-kurdes par le gouvernement parce qu’ils défendent leur cause sont censurés depuis octobre 2016. Les atteintes à la liberté de la presse et à la liberté d’expression s’aggravent considérablement.