Turquie : le grand revirement d’Erdogan

L’éternelle question kurde sur fond de conflit syrien

, par CDTM 34

La lutte d’un peuple sans territoire

Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) voit le jour en 1978 en Turquie. Il a pour objectif de faire appliquer le traité de Sèvres [1] de 1920 qui prévoyait la formation d’un Kurdistan autonome, en Anatolie, situé en partie sur le territoire turc actuel. Cependant, avec la découverte de pétrole en zone kurde par le Royaume-Uni et l’application du traité de Lausanne en 1923, les Kurdes voient s’évanouir leur rêve d’une entité territoriale propre et de réunification de leur peuple éclaté entre la Turquie, la Syrie, l’Irak, l’Iran. A partir de 1984, pour faire entendre leurs idées et leurs revendications, ils décident de mener une lutte armée contre la Turquie, sous forme de guérilla.

Ouverture d’une période de trêve : Erdogan accorde une place à l’opposition kurde

En 2009, une trêve s’ouvre entre Turc et Kurdes, grâce aux négociations entre Erdogan et le président du PKK, Abdullah Ocalan, bien qu’il soit emprisonné depuis 1999. Les soldats turcs et kurdes arrêtent les combats et le PKK peut participer au Parlement. Erdogan envisage même la possibilité de créer des liens durables avec le Parti de l’union démocratique (PYD), formation kurde syrienne.

Rupture de la trêve après la bataille de Kobané

Ces négociations durent jusqu’en 2015, mais la bataille de Kobané marque un tournant dans les relations turco-kurdes et porte un coup d’arrêt aux négociations. En effet, Kobané, ville syrienne située à quelques kilomètres de la frontière turque, a été au cœur de combats acharnés durant plusieurs mois entre les forces de l’État islamique qui tentaient de prendre la ville et les forces kurdes de la région qui luttaient pour la défendre. Entre septembre 2014 et juin 2015, les forces kurdes repoussent inlassablement l’EI et parviennent finalement à reconquérir l’ensemble de la ville. Cette victoire donne confiance aux Kurdes syriens. Ils prennent conscience de leur capacité à se défendre et de leur pouvoir.

Vue de Kobané, depuis la Turquie, le 16 octobre 2014
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Quant à l’armée turque, durant les combats, elle s’est positionnée à la frontière sans jamais apporter son aide aux assiégés, ne serait-ce qu’un soutien médical ou logistique. Sa non-intervention montre à quel point Erdogan et son gouvernement craignent de voir la puissance kurde devenir assez importante pour revendiquer concrètement la création d’un Kurdistan autonome.

L’attitude ambiguë d’Erdogan face au terrorisme

En juillet 2015, un attentat commis par l’État islamique au sud de la Turquie, entraîne d’importantes manifestations de la part de la population kurde qui accuse le gouvernement de complicité avec les djihadistes. Ces allégations sont basées sur la facilité avec laquelle les convois blindés et les camions chargés de pétrole de contrebande franchissent la frontière turco-syrienne sous les yeux des habitants de la zone, sans être inquiétés par les douaniers turcs. La mort de deux policiers tués par le PKK en Turquie conduit Erdogan à lancer une grande « guerre contre le terrorisme », à l’encontre de l’EI et surtout à l’encontre des forces du PKK. Il utilise le prétexte de la lutte contre les djihadistes pour combattre les Kurdes et se positionner fermement contre l’EI dans l’espoir d’être mieux vu de l’Occident.

La ville de Silopi, en Turquie, non loin de la frontière irakienne, devient rapidement le centre de la rébellion kurde et de l’insurrection urbaine. Entre décembre 2015 et janvier 2016, elle fait l’objet de fortes attaques de la part de l’armée turque : 79 jours d’isolement complet, blocus, barrages, bombardements constants, destructions de plusieurs quartiers selon les villes. Les forces armées du PKK finissent par se retirer, laissant la ville et les municipalités des alentours sans défense. Par la suite, plusieurs maires affiliés au HDP sont arrêtés par les autorités turques. Amnesty International évoque le chiffre de 53 maires, notamment le maire de Silopi, accusés d’entretenir la rébellion. Ils sont remplacés par des administrateurs nommés par le gouvernement. Même si l’armée se retire, la police maintient une forte pression sur les populations de la région par des contrôles d’identité incessants, des fouilles au corps, des barrages routiers à chaque coin de rue, afin de maintenir l’autorité turque et éviter un soulèvement kurde de masse, l’ultime crainte d’Erdogan.

Fin des négociations avec le PKK et répression accrue de la population kurde de Turquie

Face à l’action efficace des Kurdes syriens, Erdogan comprend que la ferveur qui les anime pourrait facilement se transmettre aux Kurdes de Turquie et influencer les négociations entreprises avec Ocalan. Ces événements, couplés à la montée du HDP en Turquie qui obtient des députés aux élections législatives, finissent de convaincre Erdogan qu’il doit contenir le danger kurde chez lui. C’est pourquoi, il prend le prétexte des attentats survenus en Turquie pour mettre fin aux négociations avec le PKK. La minorité kurde est l’objet de violences policières et de discriminations qui ne cessent de croître.

Pour ajouter à la confusion, Erdogan prend parti dans le conflit syrien. Il soutient les forces rebelles syriennes contre l’État islamique et Bachar Al-Assad ce qui lui permet de garder un œil sur la progression des forces kurdes syriennes.