Turquie : le grand revirement d’Erdogan

Une alliance turco-russe fragile mais stable

, par CDTM 34

L’affaire de l’avion russe

Le mois de novembre 2015 peut être considéré comme une première étape dans le changement de politique de la Turquie vis-à-vis de la Russie. En effet, après plusieurs incidents, l’armée turque abat un bombardier russe qui survolait le territoire de la Turquie. Très vite, Erdogan se justifie en déclarant que le bombardier a violé l’espace aérien de son pays dont la souveraineté et les frontières doivent être respectées. L’armée russe, quant à elle, affirme que son bombardier est resté exclusivement dans l’espace aérien syrien. Afin d’éviter une escalade des tensions, les Etats-Unis et l’Union européenne interviennent auprès des belligérants pour trouver une solution.

Une nécessaire « réconciliation » autour d’intérêts communs

Erdogan et Poutine ont finalement repris leurs relations. En août 2016, les deux présidents se rencontrent à St Petersbourg pour relancer les échanges entre leurs pays. Le secteur touristique en Turquie est fortement dépendant de la Russie, le pays étant une destination privilégiée pour les Russes. Par ailleurs, de nombreuses entreprises turques spécialisées dans le bâtiment sont implantées en Russie. Une bonne entente et la levée de l’ensemble des restrictions russes à l’encontre de la Turquie ne peuvent être que bénéfiques pour Erdogan. Sur le plan économique, une rupture aurait des conséquences néfastes pour les deux pays qui ne peuvent les ignorer.

La construction d’un gazoduc : un enjeu de coopération

La Turquie s’éloignant de l’Union européenne et se rapprochant du couple Russie/Syrie, le projet européen « Nabucco » d’un gazoduc allant de la mer Caspienne (Azerbaïdjan et Iran) jusqu’en Europe, en traversant la Turquie d’Est en Ouest, est alors mis à mal. Les Russes imposent que ce projet soit remplacé par celui d’un gazoduc qui relierait la Russie au Moyen-Orient. Il serait construit et financé par les Russes et traverserait la Turquie, afin de transporter les hydrocarbures du Nord au Sud.

En août 2016, le projet de gazoduc prend un nouveau tournant. Il est dorénavant question de réaliser un conduit passant sous la mer Noire, afin de faire transiter les réserves de gaz de la Russie jusqu’en Europe, en traversant la Turquie. Le « TurkStream » permettrait à la Russie de conserver sa primauté en matière de gaz en Europe, tout en évitant de faire appel à l’Ukraine avec qui les relations sont de plus en plus tendues. En octobre 2016, les deux pays signent un accord pour la réalisation du gazoduc, concrétisant durablement leurs relations et permettant d’envisager une certaine stabilité dans leurs échanges.

Le poids des intérêts géopolitiques dans le positionnement des deux pays

La Turquie a une position géographique qu’elle peut utiliser pour tourner à son avantage son rapprochement avec la Russie : sa frontière avec la Géorgie et l’Irak, deux pays importants pour Moscou. Dans la région du Caucase, les intérêts turcs et russes coïncident, rendant nécessaire leur entente.
Mais c’est principalement en Syrie que les deux pays s’accordent pour coordonner les interventions de leurs armées contre Daesh. Ils parviennent même à imposer, par une action conjointe, un cessez-le-feu à Alep, en janvier 2017. Ce rapprochement entre Russes et Turcs leur permet, pour un temps, d’intervenir dans cette partie du monde, s’arrogeant la place qui avait été jusque-là occupée par les Occidentaux. La Russie et l’Iran, alliés du régime de Bachar Al-Assad, ainsi que la Turquie, soutien des rebelles, ont adopté, jeudi 4 mai 2017, à Astana, au Kazakhstan, un accord de principe portant sur la création de quatre « zones de désescalades » en Syrie.

De plus, la Turquie et la Russie se trouvent en froid avec les États-Unis. En effet, la Turquie prend assez mal le fait que les États-Unis retirent de la liste des organismes terroristes le Parti de l’union démocrate (PYD), plus précisément le parti des Kurdes syriens. En ce qui concerne la Russie, ses relations avec les États-Unis sont souvent tendues.

Par contre, même si l’État islamique est leur ennemi commun, la Turquie et la Russie ne sont pas d’accord sur le choix des forces à soutenir en Syrie. La Turquie soutient fermement les rebelles syriens alors que la Russie appuie le régime de Bachard Al-Assad depuis le début des soulèvements populaires de 2011.