Le défi d’être une femme autochtone au Guatemala

Des crimes de la guerre civile à la violence ordinaire contre les femmes

, par CIDES

Au-delà des inégalités et des violences socio-économiques qui les touchent fortement, les femmes, notamment les femmes autochtones, sont en butte à des violences physiques graves et fréquentes, majoritairement impunies, les traits misogynes et racistes de la culture dominante se traduisant par le mépris pour l’intégrité et la vie des femmes. [1]

1960-1996 : un génocide durant le conflit interne armé

Ces violences atteignent un paroxysme pendant les décennies de la guerre civile : entre 1960 et 1996, le conflit armé provoque la mort ou la disparition de 200 000 personnes, en majorité civiles et autochtones, et un million de personnes sont déplacées ou doivent se réfugier dans les pays voisins.

Un mouvement social se développe au début des années 1940 pour lutter contre les inégalités économiques, combattre l’exclusion politique et favoriser la participation de la société civile. Ce mouvement nommé « la révolution de 1944 », massivement soutenu par la population, aboutit à la mise en place d’un régime politique démocratique et d’une politique de développement qui soustrait le Guatemala à la tutelle états-unienne. Une importante réforme agraire est lancée mais se heurte à l’opposition des propriétaires terriens et des compagnies états-uniennes. Dans le contexte de la guerre froide, cette expérience est considérée par les États-Unis comme une menace communiste et un coup d’État fomenté en 1954 par la CIA renverse le gouvernement démocratique et réformateur de Jocobo Arbenz Guzman. Plusieurs gouvernements militaires se succèdent alors et usent de la violence pour faire valoir les intérêts de l’oligarchie : interdiction des partis politiques et organisations syndicales, répression des oppositions de gauche et affrontements avec les différents groupes de guérilla.

Le premier groupe armé de guérilla armé est créé en 1960 par des officiers dissidents mais la rébellion prend de l’ampleur à la fin des années 1970, lorsque la population maya commence à se tourner massivement vers la guérilla. Le CUC (Comité d’unité paysanne) lutte pour se réapproprier les terres volées. Les différents groupes finissent par s’unifier en un mouvement, l’URNG (l’Union révolutionnaire nationale guatémaltèque).

Face à la montée en puissance des guérillas, entre 1979 et 1983, l’armée mène une stratégie massive de répression d’une violence inouïe. Le général Efrain Rios Montt, qui prend le pouvoir en 1982, développe une politique de la terre brûlée (440 villages complètement rasés), car on soupçonnait les villageois de protéger des groupes de guérillas, notamment en leur donnant à manger. La politique de la terre brûlée cherchait donc à « ôter l’eau du poisson ». Les escadrons de la mort assassinent des centaines d’individus accusés de soutenir la guérilla et commettent massacres collectifs, enlèvements, tortures et viols systématiques. De multiples exactions sont également perpétrées par les PAC (Patrouilles d’autodéfense civile) recrutées, souvent de force, dans les villages.

On considère que le conflit a fait plus de 200 000 victimes. Les massacres commis par l’armée durant le conflit armé interne ont été qualifiés « d’actes de génocide » par la CEH (Commission d’éclaircissement historique [2]).

Le rapport final de cette commission, publié en 1999 « Guatemala, mémoire du Silence », établit que les citoyen·nes d’origine maya, qui constituaient 40 à 60 % de la population guatémaltèque, représentent 83 % des victimes et que l’État guatémaltèque (armée, forces de sécurité, milices d’autodéfense, escadrons de la mort, etc.) est responsable de 93 % des actes de violence et des violations des droits humains (dont 92 % des exécutions arbitraires recensées et 91 % des disparitions forcées), contre 3 % pour les groupes guérilleros ; 4 % du reste des violations n’ayant pu être attribués à un acteur en particulier. Un quart des victimes sont des femmes, les violences de genre prenant principalement la forme d’agressions sexuelles, perpétrées par des militaires.

Ainsi, les paysannes autochtones (selon les chiffres de la CEH, environ 88 % des femmes victimes de violences sexuelles sont d’origine maya), après avoir vu leur maison brûlée et leur mari enlevé torturé et assassiné, sont victimes de viols, d’humiliations et d’actes de barbarie. Certaines sont emmenées pour être utilisées comme esclaves par les militaires pour qui elles doivent cuisiner, danser, avant d’être victimes de viols collectifs. Il s’agit d’une stratégie délibérée (le viol comme arme de guerre, l’appropriation violente du corps des femmes comme prolongation de l’appropriation de la terre), dont les conséquences sont durablement dévastatrices, non seulement sur le plan physique, mais aussi psychologique et social : les femmes, profondément traumatisées par ce qu’elles ont subi, souffrent de plus d’une stigmatisation importante au sein de leur communauté, les victimes de viol étant implicitement considérées comme responsables, voire coupables, dans la logique d’une culture machiste. La situation est particulièrement difficile pour les femmes qui se sont retrouvées enceintes à la suite du viol, et qui ont souvent été amenées à placer dans des centres d’accueil ces enfants –socialement exclus par leur communauté-.

Dans une logique ouvertement génocidaire, les enfants ont été l’objet de violences insoutenables : témoins des violences infligées à leurs proches ou victimes de tortures et d’atrocités sous les yeux de leurs parents. La moitié des cas de massacres enregistrés sont des assassinats collectifs d’enfants et la barbarie va jusqu’à s’en prendre à des femmes enceintes pour massacrer les fœtus. De nombreux enfants sont morts également dans la fuite avec leurs parents, faute de nourriture ou de soins. Certain·es enfin ont été enlevé·es, et parfois adopté·es de manière illégale par les bourreaux de leurs propres familles, d’autres enrôlé·es de force et de nombreuses mineures violées. On estime à 5 000 les enfants « disparu·es », et un véritable trafic (très lucratif) a été établi en vue d’adoptions à l’étranger : entre 1997 et 2007, 32 250 enfants guatémaltèques ont ainsi été adopté·es dans des conditions illégales surtout aux États-Unis (pour 86 %) mais également en France (4 ,6 %). Des associations continuent de se mobiliser pour permettre à ces personnes de retrouver leurs familles biologiques qui ont été trompées, qui ont « signé » un acte d’abandon sans en comprendre la teneur ou qui ont confié leur enfant à un centre supposé prendre en charge sa santé ou à qui l’on a fait croire que leur enfant était décédé·e. [3]

La violence contre les enfants n’est pas seulement un élément de la violence contre la communauté, elle a aussi un caractère intentionnel et spécifique : l’assassinat des enfants signifie, pour les soldats ou les patrouilleurs, l’élimination de toute possibilité de reconstruction de la communauté.

Près de 45 000 femmes guatémaltèques sont devenues veuves, après l’assassinat de leur mari par l’armée. Elles sont en butte à de multiples difficultés financières mais aussi administratives pour faire reconnaître leurs droits sur les terres appartenant à leur mari lorsque celui-ci a « disparu » lors des massacres de la guerre civile. Cela s’ajoute à la difficulté, pour les réfugié·es, de récupérer leurs biens à leur retour au Guatemala à la fin du conflit. L’illettrisme de nombreuses femmes et l’absence de documents officiels compliquent encore la situation.

La longue et difficile lutte contre l’impunité

Journée internationale des femmes
Guatemala city. Photo k t (CC BY-NC-ND 2.0)

Après les années d’extrême violence du début des années 1980, le mouvement guérillero est très affaibli mais l’armée, malgré la « victoire » militaire, est discréditée par la cruauté de la répression. Un gouvernement civil, élu démocratiquement en 1986, entame alors des négociations avec l’URNG, qui aboutiront en 1993 au retour des exilé·es et à la signature d’accords de paix à Oslo en 1994.

Ces accords prévoient notamment la redistribution de terres aux petit·es paysan·nes, une réforme fiscale, ainsi que le démantèlement des forces parapolicières et des organisations clandestines de sécurité qui terrorisaient le pays. La Loi de réconciliation générale stipule que l’amnistie ne concerne pas les personnes responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et que l’État doit enquêter, juger et sanctionner les coupables.

Mais, en 2004, la Mission de vérification de l’ONU au Guatemala (MINUGA) constate que le système judiciaire et sécuritaire du pays reste trop faible et corrompu pour défaire les structures ancrées dans le passé du crime organisé.

Malgré la publication en 1999 du rapport de la CEH et ses conclusions sans appel sur la responsabilité de l’armée et de l’État, la recherche effective et le jugement des coupables se heurtent à l’inertie, voire l’obstruction systématique des autorités, de nombreux responsables des exactions étant toujours au pouvoir (par exemple le président Perez Molina, ancien commandant de troupes impliquées dans des massacres) persuadés que la lutte contre la guérilla et le communisme était une cause juste et niant farouchement la réalité du génocide.

Ces difficultés se révèlent dramatiquement dès la fin du conflit : en 1998 est publié le rapport du projet interdiocésain Récupération de la mémoire historique (REMHI), intitulé « Guatemala : nunca màs » (Guatemala : jamais plus). ». [4] À partir de milliers de témoignages, ce document met à jour les stratégies de terreur sciemment élaborées par l’armée, documente plus de 54 000 violations des droits humains pendant le conflit.

Deux jours après la publication de ce rapport, son responsable, Mgr Juan José Gerardi Conedera, coordinateur de l’ODHA (Bureau des droits de l’homme de l’archevêché du Guatemala) est assassiné. Le gouvernement prétend d’abord qu’il s’agit d’un crime de rôdeur mais des témoignages permettent d’aboutir à un procès en 2001 et à la condamnation de trois militaires, dont un ancien garde du corps présidentiel, et de l’ancien secrétaire de Mgr Gerardi, malgré de nombreuses intimidations envers les témoins à charge (plusieurs meurent dans des circonstances non élucidées) et les juges (certains contraints à l’exil par crainte pour leur sécurité). Le verdict est ensuite annulé pour vice de forme par la Cour d’appel de Guatemala Ciudad mais les quatre accusés restent en prison jusqu’à l’ouverture d’un nouveau procès. L’un deux est assassiné en 2003 au cours d’une émeute dans la prison.

Devant les difficultés à faire juger les diverses violations des droits humains, la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) est créée en 2006 par un traité entre l’ONU et l’État guatémaltèque, sur l’initiative de la société civile. Financée par un groupe de pays donateurs (États-Unis, Suède, Union européenne, Canada) elle a pour mission d’aider le Guatemala à démanteler le crime organisé, héritier des appareils de sécurité de la guerre civile. Grâce à plusieurs réformes de la procédure pénale, la CICIG a mis au jour l’ampleur de la corruption et de l’impunité, démantelé 60 structures criminelles, fait juger 680 personnes et obtenu plus de 300 condamnations, notamment d’hommes politiques, de militaires et d’importants chefs d’entreprises. En 2015, elle a même obtenu la démission du président Otto Pérez Molina et de sa vice-présidente, accusés de fraude sur les revenus douaniers.

Mais, trente ans après la fin du conflit, la lutte pour la justice et contre l’oubli est encore très difficile. Les preuves accablantes des horreurs commises se heurtent toujours aux dénégations systématiques des autorités. La ténacité des associations et de quelques juges, malgré des menaces contre les militant·es allant jusqu’à l’assassinat, permet l’ouverture de quelques procès emblématiques, dont les retentissements sont amoindris par la difficulté à faire témoigner les victimes maintenant vieillissantes.

Parmi les procès marquants, l’un des plus symboliques est celui de l’ex-dictateur Efrain Rios Montt ; la période de dix-sept mois pendant laquelle il a dirigé le pays en 1982 et 1983 est considérée comme l’une des plus violentes, mais il faut attendre 2013 pour que s’ouvre le procès qui aboutit à sa condamnation à quatre-vingts ans d’emprisonnement. Suite au mécontentement manifesté par des intérêts conservateurs, dont le CACIF (Comité coordinateur des associations commerciales, industrielles et financières), le verdict est presque immédiatement annulé pour vice de forme. Un second procès s’ouvre en 2015, à huis clos, (Rios Montt, alors âgé de 89 ans souffrant de démence sénile), mais est interrompu le 1er avril 2018 par le décès de l’accusé.
Les plus importantes arrestations concernent le cas du CREOMPAZ (Commandement régional d’entraînement aux opérations de maintien de la paix). En 2012, une enquête a abouti à la découverte de 85 cimetières clandestins et à l’exhumation des ossements de 565 personnes portant des marques de torture, dont 15 % d’enfants, sur cette zone militaire, devenue centre de détention, de torture et d’exécution extrajudiciaire. 14 militaires à la retraite ayant eu des postes de commandement, sont arrêtés en janvier 2016 ; 11 sont inculpés mais le procès est bloqué par une série de recours souvent abusifs, les accusés se réclamant de « l’amparo ». [5]

Ces inculpations ont toutefois été un moment important pour les proches des victimes, par la reconnaissance de l’ampleur des exactions commises et la mise en évidence des chaînes de commandement. Les exhumations et l’identification de plus d’une centaine de victimes ont permis aux familles d’organiser inhumations et cérémonies à la mémoire de leurs proches disparu·es. [6]

Autre exemple, le « Diario Militar », document rendu public en 1999, prouve de manière irréfutable la participation de l’armée aux crimes contre l’humanité ; la cour interaméricaine des droits de l’homme condamne l’État guatémaltèque pour la disparition forcée de 28 personnes, mais il faut attendre juin 2021 pour qu’un procès s’ouvre, afin de juger 12 militaires, dont un général, coupables de ces exactions.

Au-delà de ces arrestations et procès retentissants, l’action de la CICIG a entraîné une baisse notable des homicides -de l’ordre de 5% par an, quand les voisins du Guatemala connaissent une hausse annuelle de 1%, selon une étude publiée en ocobre 2018 par l’International Crisis Group (ICG) [7]. Elle a surtout mis en lumière le niveau élevé de corruption mais, en s’en prenant à des membres de l’élite politique et économique, la Commission, qui bénéficie d’un large soutien de la population, s’est attiré l’hostilité d’une part croissante de la classe dirigeante. Cela aboutit en 2018 au refus du président Jimmy Morales de renouveler le mandat de la CICIG, qu’il avait pourtant soutenue avant qu’elle n’entame une enquête sur des soupçons de financement illégal de sa campagne électorale (acteur comique, il a été élu en 2015 avec le slogan « ni corrompu, ni voleur ») et fait enquêter sur des membres de sa famille. Le président fait expulser le directeur de la CICIG, Ivan Velasquez, en déclarant celui-ci – de citoyenneté colombienne – de persona no grata. Les enquêteurs de la CICIG sont victimes de menaces. L’ancienne procureure générale, Thelma Aldana, qui a travaillé étroitement avec la CICIG, est empêchée de se présenter aux élections présidentielles sous une fausse accusation et contrainte de se réfugier à l’étranger, après des menaces de mort. [8]

L’élection en 2019 du conservateur Alejandro Giammattei et le non-renouvellement de la mission de la CICIG créent les conditions d’un grave retour en arrière dans le domaine de la lutte contre la violence et la corruption. Le début du mandat présidentiel est notamment marqué par un décret « d’État de prévention » qui entraîne des opérations policières et militaires de répression et l’adoption d’une loi réformant la Loi des ONG, qui viole le droit à la liberté d’association, pourtant garanti par la Constitution.

Violences quotidiennes

Les violences extrêmes du conflit interne armé et la forte résistance de l’État à punir ces crimes, pour paroxystiques qu’elles soient, sont en continuité avec les violences ordinaires, surtout contre les femmes, et le déni non moins ordinaire de ces violences.

La violence au Guatemala est particulièrement prégnante, entre autres du fait des « maras », gangs de jeunes ultra-violents ; il s’agissait au départ de jeunes émigrés aux États-Unis, puis expulsés, qui ont reconstitué au Guatemala les groupes d’autodéfense créés notamment à Los Angeles face aux gangs locaux. Nombre d’orphelins de la guerre civile y ont aussi trouvé une « nouvelle famille ». À côté des règlements de comptes pour le contrôle de quartiers, des enlèvements, vols à main armée et trafics de stupéfiants, des extorsions arrachées aux petits commerçants et familles, des exactions allant jusqu’au meurtre gratuit font partie des rites d’initiation des membres, souvent recrutés dès l’enfance.

Mais si cette violence, réelle, sert au gouvernement à justifier des politiques répressives, les assassinats de syndicalistes, témoins de procès, défenseur·ses des droits, opposant·es à des projets miniers ou hydroélectriques sont également monnaie courante et ne sont pratiquement jamais élucidés. D’après Frontline defenders, au moins 14 défenseur·ses des droits humains autochtones ont été tué·es au Guatemala en 2018. On peut citer, parmi d’autres, le cas d’un Français, Benoît Maria, directeur de l’ONG AVSF (Agronomes et Vétérinaires sans Frontières) tué par balle en août 2020. Si la justice n’est pas rapide pour faire la lumière sur les menaces, attaques et assassinats de défenseur.es de droits humains, elle est toutefois beaucoup plus rapide lorsqu’elle se retourne contre eux et elles [9].

Les femmes victimes majoritaires de la violence

La violence à l’égard des femmes constitue le délit le plus signalé au ministère public. En 2020, il a enregistré 58 428 cas de femmes victimes de violences, 8 257 filles et adolescentes victimes d’abus, 7 732 victimes de viols, 3 975 victimes d’agressions sexuelles, 451 femmes victimes de féminicides et de mort violente, en moyenne 4 femmes disparaissent par jour. [10] De nombreuses agressions ne sont pas signalées, surtout lorsqu’il s’agit d’agressions sexuelles ou de violences intrafamiliales. [11]

L’OSAR (Observatoire en santé sexuelle et reproductive) a enregistré, de janvier à juin 2021, plus de 36 000 naissances chez des mères adolescentes, dont 948 chez des adolescentes de 10 à 14 ans. Beaucoup de ces grossesses (la totalité pour les jeunes filles de moins de 14 ans) sont la conséquence d’un viol et, dans 90 % des cas, l’agresseur est un proche, souvent membre de la famille. [12]

Devant l’ampleur du phénomène, une loi contre le féminicide a pourtant été votée en 2008, avec la mise en place de tribunaux spécialisés dans les crimes de genre et des peines plus élevées dans un but dissuasif. Le Guatemala est le premier pays au monde à mettre sur pied de tels tribunaux, avec un personnel spécialement formé, des professionnel·les en psychologie et travail social, majoritairement des femmes, et des services de garderie pour favoriser l’accès à la justice pour les femmes victimes. D’après le Centro de Informacion, desarollo y estadistica judicial : Centre d’information sur le développement et la statistique judiciaire (CIDEJ) le taux de condamnation est supérieur à 30 % dans ces tribunaux, alors qu’il ne dépasse pas 10 % dans les tribunaux ordinaires.

Une sentence historique a notamment été prononcée en septembre 2020 par le tribunal de Santa Cruz del Quiché, avec la condamnation à soixante-deux ans de prison ferme de Jacinto Brito, jugé coupable de féminicide et de violation sexuelle contre Juana Raymundo ; le corps de cette infirmière maya ixile âgée de 25 ans, militante du Comité de développement paysan (CCDA) et du Mouvement de libération des peuples (MLP) avait été retrouvé deux jours après sa disparition en 2018, portant des traces de torture. La sentence a été accompagnée de mesures de réparation symboliques, telles que la création de 24 bourses pour permettre à des jeunes filles ixiles de poursuivre des études d’infirmière ou pour mettre en place des ateliers de sensibilisation dans les centres de santé de la région.
Mais cette sentence, si elle est porteuse d’espoir, reste encore un exemple rare.

Hogar Seguro, une tragédie emblématique

Le 8 mars 2017, 41 jeunes filles ont trouvé la mort et 15 ont été gravement blessées dans l’incendie d’un foyer pour adolescent·es « Hogar Seguro Virgen de la Asuncion » (Foyer de la Vierge de l’Assomption). Les circonstances de ce drame sont particulièrement révoltantes : la veille, 60 adolescentes avaient tenté de fuir ce foyer surpeuplé (600 résident·es pour 400 places) et ses mauvais traitements et avaient été enfermées dans une petite salle par punition. Selon l’enquête officielle, les jeunes filles auraient elles-mêmes mis le feu à leurs matelas. Il aura fallu attendre 9 minutes après le début de l’incendie pour que la personne responsable décide d’ouvrir la porte de la salle où étaient enfermées les jeunes filles et 40 minutes avant que les pompiers soient autorisés par les responsables et les policiers à intervenir. 19 jeunes filles périrent immédiatement carbonisées, 22 décédèrent de leurs brûlures dans les semaines suivantes et 15 survécurent, avec de lourdes séquelles (brûlures, amputations, etc.).
L’enquête a révélé que cet établissement étatique, dont la mission était de protéger des jeunes en danger, avait fait l’objet de plusieurs signalements pour disparitions de mineur·es, et était même suspecté d’abriter un réseau d’exploitation sexuelle et d’extorsion. En décembre 2016, le tribunal pour enfants et adolescent·es avait même condamné le gouvernement pour négligence et ordonné une restructuration de l’établissement, mais le gouvernement a fait appel de ce jugement. Le procès connaît de multiples reports, délais, embûches qui empêchent son aboutissement.

En février 2019, après de nombreux reports, la forte mobilisation des familles et de plusieurs collectifs pour demander justice a permis l’ouverture d’un procès contre les responsables du foyer et des fonctionnaires des organismes de tutelle. De nombreuses formes d’intimidation ont émaillé cette lutte : deux des mères de victimes ont été violemment assassinées, une autre famille a subi des menaces de mort, des documents ont été volés dans les bureaux de « l’Alianza Politica del sector de mujeres » (Alliance politique du secteur des femmes), un autel à la mémoire des victimes a été détruit sur ordre du ministre de la Culture, avant d’être rétabli à la suite de manifestations. Comble de l’ironie, une plainte contre les victimes est toujours ouverte dans laquelle un fonctionnaire relié à l’ancien directeur du foyer d’accueil accuse les survivantes d’incendie, de vols, de blessures, d’attentat, de désordre public et d’incitation à la délinquance, cette stratégie de criminalisation des victimes a amené l’avocate de Refugio de la Infancia (Refuge de l’enfance, ONG pour la protection des droits des enfants) à porter plainte contre cet avocat pour dénonciation calomnieuse. [13]

Ce manque de considération pour les victimes, depuis leurs conditions de vie dans l’institution, jusqu’aux difficultés à obtenir justice après le drame, est très significatif du racisme et de la misogynie systémique du pays, puisqu’il s’agit de jeunes filles de familles pauvres, alors que les responsables sont proches du pouvoir politique.