Les avocats de la colère

, par Colectivo por la Autonomia, Grain

Crédits : Wikimedia Commons (CC BY-SA 4.0)

L’avocat est le fruit tropical qui a connu la croissance de production la plus rapide au cours des dix dernières années. Le Mexique est le premier producteur et exportateur mondial d’avocats, mais ses chaînes d’approvisionnement et de valeur sont marquées par la dévastation et l’extorsion.

De manière générale, ce modèle de production implique une recrudescence inédite de l’agro-industrie, une recrudescence principalement fondée sur la déforestation et la surexploitation de l’eau, sur l’éradication des modes d’agriculture et l’expulsion de communautés entières.

Les États-Unis absorbent aujourd’hui 80 % des exportations mexicaines d’avocats. Mais la production s’intensifie dans un nombre croissant de pays : dix pays concentrent près de 80 % de la production. Pour certains d’entre eux, il s’agit d’une culture dédiée en grande partie à l’export, comme l’illustrent les cas du Mexique, du Pérou, du Chili et du Kenya. Leurs principaux marchés se situent aux États-Unis et en Europe, qui rassemblent près de 70 % des importations internationales.

Selon certaines estimations, le marché mondial de l’avocat s’élevait en 2021 à 14 milliards de dollars et pourrait bien atteindre les 30 milliards d’ici 2030. Les principaux bénéficiaires de ce commerce sont une poignée d’entreprises qui ont opté pour l’intégration verticale. Elles étendent leur activité à un nombre croissant de pays producteurs, dans lesquels elles implantent des filiales. Elles ont également renforcé leur contrôle sur les entreprises importatrices dans les principaux pôles de consommation mondiaux. Ainsi, la société californienne Mission Produce contrôle 8 600 hectares au Pérou, au Guatemala et en Colombie et exporte depuis les principaux pays producteurs.

La Californie qui, au début du XX° siècle, a d’abord voulu protéger sa production en interdisant les importations mexicaines d’avocats, a ensuite vu ses entreprises créer des filiales au Mexique et commencer à s’approvisionner directement auprès des producteurs, allant jusqu’à installer leurs propres usines de conditionnement.

Aujourd’hui, le boom de l’avocat au Mexique est devenu totalement dépendant de l’abattage de forêts entières et a souvent recours à des incendies ou à des coupes sauvages pour faire de la place à d’autres vergers d’avocats, engloutissant les ressources en eau de localités et de régions entières. Les coûts sociaux aussi sont extrêmement élevés.

Selon des données officielles, l’État mexicain du Michoacán compte 27 712 vergers de moins de 10 hectares qui impliquent 310 000 personnes et 78 000 travailleuses et travailleurs saisonniers. Il s’agit de petites exploitations prisonnières de la logique capitaliste de l’avocat qui pousse à la déforestation et à la surexploitation de l’eau, mais qui instaure surtout la violence permanente comme monnaie d’échange. Cette dernière est activée en l’absence de politiques publiques et de contrôles gouvernementaux, avec la corruption et la présence de groupes criminels qui synchronisent en effet certaines étapes des chaînes d’approvisionnement et de valeur mondiales. Mais on ne peut affirmer que ce sont purement et simplement ces groupes qui dirigent l’agrobusiness de l’avocat. Ils sont plutôt absorbés par l’intégration verticale qui instaure des relations de violence multidimensionnelle. Dans cette spirale, les investisseurs et les grandes sociétés de négoce, avec l’aide des fonds de dotation et de pension, et des fonds de capital-investissement, maintiennent l’expansion de l’avocat dans le monde entier.

L’exemple du Mexique nous alerte également sur l’une des principales problématiques liées à la culture de l’avocat : l’eau. Au Mexique, la consommation par hectare atteint les 100 000 litres par mois, à laquelle il faut ajouter la destruction des forêts biodiversifiées, fondamentales pour le cycle de l’eau dans son ensemble. Sans parler des tonnes de produits chimiques qui contaminent les aquifères.

Et les exemples d’épuisement des ressources hydriques dus à la culture de l’avocat se multiplient aussi en Californie, au Chili ou au Pérou.

Si le Mexique s’est révélé un laboratoire de la dévastation, il est aussi un laboratoire de résistance, comme l’illustre la saga édifiante de la communauté purépecha de Cherán, dans le Michoacán. En 2012, une audience préliminaire du Tribunal permanent des peuples s’y est déroulée. Le Tribunal a clairement condamné l’accaparement des terres, la déforestation et le changement d’affectation des sols, l’inondation massive de produits agrotoxiques, l’épuisement des ressources en eau, les incendies et la violence généralisée à l’encontre de la population, en grande mesure provoqués par le vol de bois, le modèle de production d’avocat, les serres de baies et l’agave.
Un an auparavant, la population, excédée par ces injustices et par la violence déclenchée par des groupes paramilitaires illégaux, a décidé de faire front. La communauté a réussi à assumer son autodétermination et a décidé de fermer ses portes durant plusieurs années, jusqu’à parvenir à récupérer sa forêt et à établir l’horizontalité de son propre gouvernement, respectueux des femmes, des hommes, des enfants et des personnes âgées.
Il ne fait aucun doute que cette lutte pour l’autonomie ne fait que commencer, enracinée dans ses traditions. Les cartels de l’accaparement s’acharnent à soumettre des régions entières, et les peuples suivent quant à eux l’exemple de Cherán et se déclarent autonomes pour se défendre.

La consommation d’avocat, vendu comme un "superaliment" ne cesse de croître dans les pays importateurs dans une opacité complaisante quant à ce qui se passe réellement au niveau local, où il ne génère pas de bénéfices. Il est impératif de redoubler d’efforts pour dénoncer l’agro-industrie et son modèle corrupteur et dévastateur, et que les populations s’organisent pour proposer des solutions à ce cauchemar.

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