Voir le monde comme un·e palestinien·ne

Luttes intersectionnelles contre Big Tech et l’apartheid israélien

, par TNI , FORTON Jac (trad.), PG Apoorva

Avec la collaboration de la Big Tech, l’État d’Israël a développé toujours plus d’outils numériques pour espionner, surveiller et réprimer les Palestiniens pour resserrer son gouvernement d’apartheid. La Palestine est en première ligne du colonialisme numérique et donc un endroit stratégique pour que la résistance mondiale commence.

En mai 2021, alors que les forces israéliennes lançaient une intense vague d’attaques aériennes sur la Bande de Gaza assiégée ‒avec pour résultat 256 Palestiniens tués et des dizaines de milliers de blessés‒ Google et Amazon Web Services (AWS) signaient le Projet Nimbus, un contrat de 1,2 milliards de dollars pour fournir des services Cloud au gouvernement et aux militaires israéliens. Les deux entreprises fourniraient ainsi à Israël la colonne vertébrale de son occupation des territoires palestiniens. Trois centres de données sont déjà en construction pour ce projet. Amazon Web Services a également fourni la plateforme Cloud pour le logiciel d’espionnage Pegasus jusqu’à la révélation du Projet Pegasus, et continue à le faire pour l’app Blue Wolf qui permet aux soldats israéliens de prendre des photos de Palestiniens dans toute la Cisjordanie occupée pour les comparer aux centres de données des militaires et des services secrets.

Avec son impact de grande portée et sans précédent, ce contrat n’est qu’une manifestation des liens profonds entre Israël et les entreprises de la Big Tech. Hewlett Packard Enterprise (HPE), par exemple, avait l’exclusivité de la fourniture de serveurs de 2017 à 2020 pour le centre de données sur la population d’Israël, qui était aussi utilisé pour déterminer diverses formes d’exclusion des citoyens palestiniens d’Israël et des résidents de Jérusalem Est occupée. Big Tech a aussi aidé à soutenir une occupation construite sur le contrôle militaire et la surveillance perpétuelle que les Palestiniens ont, pendant des décennies, dénoncé comme une forme d’apartheid et de colonialisme par peuplement. Amnesty International et d’autres organisations internationales, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires Palestiniens Occupés depuis 1967, ainsi qu’un nombre croissant de gouvernements estiment qu’Israël commet le crime d’apartheid.

Une femme en Palestine
Kashfi Halford - www.kashfihalford.com - CC BY-NC 2.0

L’ubiquité de la technologie et du contrôle numérique, en plus de la monétisation des données personnelles, ont conduit à ce que les données deviennent la nouvelle frontière du colonialisme. Comprendre le rôle de la Big Tech dans la consolidation de la violation des droits humains des Palestiniens de la part d’Israël expose clairement le besoin urgent de défier ce colonialisme mondial des données. Ceci tant parce que les méthodes de répression testées sur les Palestiniens sont adoptées partout dans le monde, que parce que remettre en question Big Tech, sa collusion avec les militaires et les agences de surveillance, et le vol de nos données, nous permet de construire des luttes intersectionnelles contre la matrice d’oppression ‒ de militarisation, de capitalisme néolibéral et d’apartheid israélien ‒ que la Big Tech promeut et de laquelle elle tire profit.

Les liens profonds entre Israël et la Big Tech ont permis un flux de profit, crime et complicité dans les deux sens. Cela permet à Israël de déployer des technologies à évolution rapide, développées par des entreprises transnationales, et de les intégrer dans sa surveillance, son contrôle et sa répression des Palestiniens. En même temps, la technologie israélienne développée pour contrôler le peuple palestinien est rendue disponible aux compagnies israéliennes et internationales pour la développer et l’exporter vers d’autres pays à des fins répressives. Observez ces quelques statistiques élaborées par la campagne palestinienne « Stop the Wall », publiées dans son rapport Digital Walls :

  • Pendant les dernières décennies, plus de 300 entreprises technologiques multinationales leaders du secteur ont établi des centres R&D [Recherche et Développement] en Israël, ce qui correspond à environ 50 % des dépenses des entreprises en R&D.
  • Ces multinationales ont acquis un total de 100 compagnies israéliennes. Un certain nombre d’entre elles ‒ telles Intel, Microsoft, Broadcom, Cisco, IBM et EMC ‒ ont acquis plus de 10 compagnies locales durant leur temps opérationnel en Israël.
  • Plus de 30 licornes de la tech ‒ des start-up évaluées à plus d’un milliards de dollars ‒ sont situées en Israël. Cela représente environ 10 % des « licornes » dans le monde.

Cette relation symbiotique promeut les investissements de la Big Tech en Israël et renforce l’expansion de la technologie numérique militarisée et de la surveillance, dont Israël a été le pionnier mais qu’il n’est pas le seul à utiliser.

Big Tech et les guerres impériales mondiales

Le contexte spécifique de la Big Tech et de l’apartheid israélien fait partie d’une structure mondiale de pouvoir de domination, de racisme et d’États coercitifs. La technologie numérique comprend des systèmes de surveillance d’abord utilisés par les militaires, comme le soutient le rapport Digital Walls :

Les deux processus ‒la numérisation et la militarisation‒ ne sont pas seulement des développements partiellement parallèles dans le temps. Ils sont inextricablement liés : les premiers ordinateurs ont surgi de la Deuxième Guerre Mondiale et internet a été développé durant la Guerre Froide par les militaires états-uniens. On ne s’étonnera pas que la technologie, la recherche et l’industrie militaires font d’énormes profits dès le début de l’économie numérique.

Le Projet Maven du Pentagone illustre la façon dont ces processus et leurs liens continuent à grandir parallèlement aux guerres globalisées et impériales. Depuis le début des années 2000, les militaires US ont utilisé des drones pour attaquer des cibles dans d’autres pays, provoquant aussi de nombreuses victimes civiles. Le Projet Maven est conçu pour augmenter les attaques de drones en analysant les enregistrement de surveillance à l’aide de l’Intelligence Artificielle. Google avait initialement été engagé pour ce projet mais s’en est retiré suite aux objections émises par ses propres employés. Le contrat est alors passé à AWS et à Microsoft, et a depuis été transféré à l’Agence Nationale de Renseignement Géospatial (National Geospatial-Intelligence Agency, NGA).

Le projet « Big Tech Sells War » (« La Big Tech Vend la Guerre », ndt), qui a suivi la piste de la collusion entre les corporations tech états-uniennes et la violence anti-musulmane et l’islamophobie, a noté que « Le Patriot Act octroie des pouvoirs considérables au gouvernement pour surveiller les États-uniens et même détenir indéfiniment des migrants qui ne sont pas accusés de crimes. Cela ouvre les portes pour que la Big Tech devienne d’abord et surtout, les courtiers de nos données personnelles en les vendant aux agences gouvernementales et aux compagnies privées, aux États-Unis comme à l’étranger, et lance ainsi l’ère de l’économie des données ». L’Agence Nationale de Sécurité des États-Unis (National Security Agency), dont le programme de surveillance de masse fut révélé par l’ancien entrepreneur et lanceur d’alerte Edward Snowden, avait accès aux serveurs Microsoft en septembre 2007 ; à Google en janvier 2009 ; à Facebook en juin 2009 ; à YouTube en 2010, et à Apple en octobre 2012, en vertu d’amendements à la loi de surveillance du renseignement étranger qui a depuis été renouvelée.

Des décennies de normalisation de la surveillance de masse, l’introduction de drones d’attaque à distance par les militaires US et la construction de murs et autres mécanismes de contrôle des frontières pour empêcher l’entrée d’immigrants, ont dépendu d’une technologie constamment plus avancée pour classer, surveiller et attaquer des gens. Ceci parallèlement à l’évolution de la Big Tech devenue aujourd’hui une industrie multi-milliardaire. On peut trouver une chronologie des deux trajectoires ‒ l’évolution des technologies de répression et la croissance de la Big Tech ‒ dans la campagne ‘Big Tech Sells War’. En 2013, AWS (Amazon) a gagné son premier contrat Cloud aux États-Unis avec la CIA, l’Agence Nationale de Sécurité et d’autres agences de renseignement états-uniennes. En avril 2022, la NSA a de nouveau confié à AWS un autre contrat de 10 milliards de dollars pour des services informatiques basés dans le Cloud. Microsoft a protesté contre l’octroi à AWS de ce contrat, successeur du contrat de services informatiques ‘Entreprise Conjointe d’Infrastructure de Défense’ (Joint Enterprise Defense Infrastructure ou JEDI ) octroyé à Microsoft en 2019. En mars 2021, Microsoft a signé un contrat de fourniture de casques de réalité augmentée HoloLens à l’armée états-unienne qui vaut près de 21,88 milliards de dollars sur 10 ans.

Big Tech Sells War a calculé que durant les 20 dernières années, les contrats signés par Big Tech avec le Pentagone et le Département de la Sécurité Intérieure (Department of Homeland Security » ou DHS ) se montent à environ 44 milliards. Ils révèlent aussi (sans surprise) la porte tournante entre l’establishment de la Défense US et les directeurs exécutifs de la Big Tech : au moment de rédiger cet article, le directeur de la Sécurité de AWS, Steve Pandelides, avait travaillé pour le FBI pendant 20 ans, y compris au Centre national du contreterrorisme et à la Division de la Technologie Opérationnelle. Jared Cohen a travaillé chez Google où il a créé Jigsaw (Puzzle) dont la tâche était de développer des outils contreterroristes pour les plateformes des réseaux sociaux, entre autres. Il faisait auparavant partie du personnel de la Planification des politiques du Département d’État US, et travaille aujourd’hui pour Goldman Sachs.

De plusieurs façons, la Big Tech se construit sur le modèle du complexe militaro-industriel en créant un nouveau complexe techno-militaire. Mais, au contraire de la nature visible de la traditionnelle industrie de production d’armes, où les armes sont clairement conçue pour tuer et réprimer, Big Tech est plus insidieuse parce que, de manière simultanée, elle prétend être démocratique et accessible. La distinction floue entre utilisation civile et militaire aide à normaliser son ubiquité et émousse notre réponse aux défis urgents qu’elle présente.

La technologie d’apartheid d’Israël

Regarder la situation d’une perspective palestinienne aide à dissiper le brouillard, au vu de la complicité de la Big Tech dans le système d’apartheid israélien. Dès avant son établissement en 1948, à travers le nettoyage ethnique de centaines de milliers de Palestiniens, Israël a déployé son appareil militaire et de surveillance pour les déposséder, les fragmenter et les affaiblir encore plus. Le Corps de Renseignement des Forces Israéliennes d’Occupation, l’Unité 8200, fut créé en 1952. Depuis, il lui a été donné pour tâche la collecte de renseignements et le décryptage des codes. L’espionnage et la surveillance des Palestiniens est la force motrice derrière une grande partie du développement rapide israélien des nouvelles technologies. Voici comment l’Autorité des Innovations d’Israël se prononce concernant la cyberguerre :

La cyberguerre a toujours été à la pointe de l’industrie high-tech israélienne. […] La combinaison gagnante entre les diplômés des unités technologiques de l’IDF (Israel Defense Forces) et l’environnement innovateur soutenu par l’Autorité de l’Innovation permet à la technologie de pointe israélienne de former le futur dès aujourd’hui.

Israël exporte ce paradigme sécuritaire ‒de craintes crées de toute pièce justifiant des réactions autoritaires de la part d’États pour assurer leur ‘sécurité’ et leur ‘survie’, en plus de ses armes et de ses technologies. Dans le cas du régime d’apartheid israélien, ce besoin de sécurité s’étend seulement à la population juive, alors que les Palestiniens vivent des divers degrés de privation de droits, spolié·es de toute sécurité par les politiques israéliennes.

L’Unité 8200 peut intercepter toute conversation téléphonique dans les Territoires Palestiniens Occupés. Des caméras de reconnaissance faciale ‒ une pour 100 Palestiniens‒ ont été installées à Jérusalem Est occupée. Des informations privées sont utilisées pour faire chanter des Palestiniens et les transformer en informateurs. Des cameras « Œil de Faucon » conçues pour lire les plaques de voiture permettent aux forces de police israéliennes d’obtenir des informations sur la situation de véhicules en temps réel. Les points de contrôle israéliens possèdent la technologie de reconnaissance faciale, fournies initialement par Hewlett Packard. Le logiciel ‘Blue Wolf’, surnommé le ‘Facebook pour Palestiniens’ secret de l’armée israélienne, capture des photos de Palestiniens sur toute la Cisjordanie et les compare aux bases de données gérées par les militaires et le renseignement israéliens. Les soldats israéliens sont récompensés lorsqu’ils capturent un grand nombre de photos de Palestiniens en zone occupée.

Même le ‘panoptique’ de Jeremy Bentham ne remplit pas cette fonction car il vise seulement à observer pour contrôler alors qu’Israël et sa technologie visent à observer, contraindre, faire chanter et transgresser ‒ tout cela dans le cadre de son régime d’apartheid.

Tout comme l’industrie des armes, la sphère de la technologie numérique israélienne se déploie dans le cadre d’un système d’apartheid dans lequel des outils et des applications sont ‘testés sur le terrain’ sur les Palestiniens avant d’être exportés. Jalal Abukhater dans l’article mentionné plus haut, note :

Pour les compagnies israéliennes impliquées dans le développement des technologies de surveillance et d’espionnage, les territoires occupés sont simplement un laboratoire où leurs produits peuvent être expérimentés avant d’être mis sur le marché et exportés partout dans le monde pour faire des profits. Pour le gouvernement israélien, ce régime de surveillance est à la fois un outil de contrôle et un marché profitable.

De fait, comme le Projet Pegasus l’a révélé, le logiciel d’espionnage Pegasus du groupe israélien NSO a été utilisé dans le monde entier pour espionner des journalistes et des militants ainsi que des responsables de gouvernements et des opposants. En Inde, par exemple, la liste des personnes ciblées par le logiciel Pegasus inclut toute personne qui s’oppose sérieusement au gouvernement de droite du président Modi. Que les armes et les technologies militaires israéliennes soient utilisées comme moyens de répression dans le monde, c’est bien connu. Ce qui reste encore à dévoiler, c’est le rôle de la Big Tech dans la production et l’exportation des technologies répressives israéliennes.

Les profits de l’apartheid pour la Big Tech

Alors que l’apartheid et le régime de colonisation de peuplement sont le ‘laboratoire’ pour la production d’armes et de technologies répressives, c’est la Big Tech qui fournit les investissements nécessaires et soutient la prolifération de la Technologie de l’Information et de l’industrie de la cybersécurité, de laquelle elle tire de juteux profits.

Les géants de la tech, de Microsoft à Google à AWS (Amazon), sont activement engagés dans l’industrie technologique israélienne. On sait que Microsoft a acquis deux compagnies israéliennes de cybersécurité entre 2015 et 2017. Adallom, créée par un vétéran d’une unité spéciale du renseignement israélien, a été achetée en 2015 pour $320 millions et Hexadite pour $100 millions en 2017.

En 2019, AWS, retenue avec Google pour construire la plateforme Cloud israélienne, a travaillé avec des centres de données locaux pour en édifier l’infrastructure. Faisant partie du projet Nimbus, Google a récemment monté une région locale Cloud en Israël. Selon ce contrat, les deux compagnies « se sont engagées à réaliser des achats réciproques et à lancer une coopération industrielle en Israël équivalente à 20 % de la valeur du contrat ». La deuxième plus grande base R&D de Facebook est également basée en Israël.

Les États qui achètent la technologie d’espionnage et numérique d’Israël pour réprimer leurs citoyens enracinent le régime d’apartheid israélien et doivent être remis en question tout en exposant la complicité et les profits des corporations Big Tech basées aux États-Unis.

La praxis de l’Intersectionnalité : la campagne ‘Non à la tech pour l’apartheid’

Le contrôle croissant et la complicité dans la répression militaire de la Big Tech ont été contrés par divers défis et mouvements populaires. Depuis le début des révélations des lanceurs d’alerte aux campagnes actuelles dénonçant les profits de guerre de la Big Tech, il existe une demande croissante de mettre fin à la militarisation de la technologie.

Aux États-Unis, par exemple, le mouvement populaire ‘No Tech for ICE’ (« Pas de Tech dans l’Application des lois Immigration et Douanes », ndt) met en évidence le rôle clé joué par Palantir et AWS dans la fourniture de l’infrastructure destinée à l’ICE (« Immigration and Customs Enforcement », en anglais) ainsi qu’à d’autres agences de sécurité publique, impliquées dans les politiques brutales de séparation des familles décidées par l’administration Trump. Palantir a collecté des informations sur des individus, ce qui a permis aux agences d’État de poursuivre et d’établir le profil des immigrants à déporter, pendant que AWS (Amazon) fournissait les serveurs pour héberger les outils de Palantir.

Les organisations communautaires ont vite reconnu et répondu à la modalité numérique de la militarisation et de la répression, vue non seulement dans les exportations par des géants vers des États répressifs, mais aussi dans la façon dont la censure et l’omerta numérique sont utilisées pour écraser les voix de résistance et pour amplifier les idéologies régressives de droite. Cela a aussi été souligné par des organisations de défense des droits numériques tels que 7amleh, le Centre arabe pour le développement des médias sociaux, et Sada Social, qui ont montré comment, pendant l’assaut sur Gaza en 2021 et la lutte populaire qui a suivi, les contenus d’origine palestinienne étaient censurés par les plateformes des réseaux sociaux tels que Facebook et Instagram. Le discours en faveur des droits numériques s’amplifie et rassemble des organisations populaires et des experts qui travaillent pour rendre la sphère numérique ouverte et démocratique plutôt que de servir d’outil de soumission.

Se sont joints à ces forces divers employés actuels (et anciens) des compagnies tech, en se mettant en grève pour s’opposer à ce que leurs produits soient utilisés pour violer les droits de personnes marginalisées et pour des usages militaires. Ils ont souligné les profondes implications politiques de tout engagement dans la guerre automatisée. En 2018, un an avant son expiration, Google a annoncé qu’il ne renouvellerait pas son contrat avec le Projet Maven. Comme mentionné plus haut, ces contrats ont été gagnés par Microsoft et AWS (Amazon).

La campagne contre le Projet Nimbus présente une opportunité cruciale de rassembler les luttes contre Big Tech de diverses perspectives ‒militants palestiniens et mouvements solidaires, travailleurs tech, droits numériques et militants travaillistes et anti-militarisation.

Plusieurs mois après l’annonce du contrat, 90 employés de Google et 300 employés d’Amazon ont écrit une lettre ouverte pour le condamner et s’opposer à la décision de leur employeur de « fournir à l’armée et au gouvernement israéliens de la technologie utilisée pour nuire aux Palestiniens ». Certains protestataires ont subi des représailles tel que Ariel Koren, qui a reçu un ultimatum qui voulait le relocaliser des États-Unis au Brésil, malgré de grandes pétitions publiques contre cette action. Koren a quitté Google en août 2022, remarquant dans sa lettre de démission que « Google réduit systématiquement au silence les voix palestiniennes, juives, arabes et musulmanes inquiètes de la complicité dans les violations des droits humains des Palestiniens ‒ au point de monter des représailles formelles contre des travailleurs et de créer une ambiance de peur ». D’autres l’ont rejointe pour s’élever contre les actions de représailles prises contre ceux qui soutiennent cette campagne.

En plus de la profonde complicité d’AWS dans l’industrie de la technologie de l’information et de la cybersécurité israélienne, et de son soutien pour la répression ailleurs comme décrit dans l’exemple ICE, son bilan du traitement inhumain des travailleurs et sa destruction des syndicats ont été largement dénoncés. La formation du Syndicat du Travail d’Amazon (« Amazon Labor Union » en anglais) sur l’île Staten de New York a ainsi été un moment historique pour le mouvement syndical états-unien. L’ensemble des actions de ces employé·es vont sans doute provoquer bien des inquiétudes auprès des PDG actuels de la Big Tech.

Au-delà du soutien aux agences militaires et de surveillance, contribuant en substance à une militarisation approfondie de la vie quotidienne des gens, il est aussi question du contrôle de Big Tech sur nos données. Des aspects de nos vies qui laissent des traces dans le monde virtuel ‒aujourd’hui inéluctables‒ sont tissés dans des algorithmes qui influencent profondément nos choix, nos opinions politiques et nos décisions. Les mouvements de droits numériques appellent à défendre notre vie privée et notre sécurité contre la commercialisation des données personnelles, nulle part plus évidente que chez Google. Il existe un défi croissant envers le contrôle de Big Tech sur les vies individuelles et les choix codifiés en données. L’alternative au colonialisme des données a aussi suscité des débats animés sur l’open source, la propriété publique, etc.

En première ligne face au colonialisme numérique, la Palestine est donc un signe de ce qui est à venir ‒ et par conséquent le lieu où nous devons d’abord résister. Sous prétexte de combler la fracture numérique, Big Tech s’enracine de plus en plus, en extrayant des données et en tirant profit de celles-ci. L’épidémie de Covid-19 a exacerbé cela en ce que les gens partout dans le monde ont dû travailler et étudier chez eux, la plupart sans accès à la technologie numérique et sans équipement.

L’intérêt croissant des étudiants et des professeurs pour remettre en question le contrôle des compagnies Big Tech, telle que Google, dans le domaine de l’éducation, ainsi que ses liens directs avec l’oppression des Palestiniens, a poussé la campagne mondiale ‘No tech for Apartheid’ à développer une boîte à outils pour s’organiser sur les campus universitaires.

La campagne contre le Projet Nimbus se situe au croisement de la solidarité palestinienne, de l’anti-apartheid, des droits des travailleurs, des droits numériques et des mouvements de décolonisation et de démilitarisation. Dans ce mouvement en évolution, elle offre un clair regard sur la matrice d’oppression, de la militarisation, du capital néolibéral et de l’apartheid israélien ‒ tous promus par la Big Tech qui en retire des profits massifs. Elle se construit sur la compréhension développée par les campagnes contre la Big Tech dans la guerre, et assemble de nombreuses communautés en lutte contre un contrat qui a de profondes implications pour tous et toutes. Des systèmes interconnectés qui nous oppressent exigent que nos formes de résistance s’unissent aussi, pour défier les forces qui cherchent à nous isoler. La solidarité n’existe que dans l’action, et par sa simple existence comme une force intersectionnelle, sape la violence infligée par le colonialisme, le patriarcat, le racisme et le néolibéralisme. La technologie n’est pas conçue pour être neutre et, au fur et à mesure que les aspects de nos vies s’enfoncent dans cette sphère, et que ses opérations et ses mécanismes restent loin d’être démocratiques, avec la force de la résistance mondiale ses outils de base peuvent encore être rendus démocratiques et accessibles.

Voir l’article original en anglais sur le site du TransNational Institute