Thaïlande : la junte militaire, le Roi et la "démocratie"
Le 24 mars, des élections législatives ont eu lieu en Thaïlande. Dans cette monarchie où les privilèges et le pouvoir du Roi restent très importants, la junte militaire maintient une main de fer sur le gouvernement, dans un « tour de vis autoritaire » suite à l’adoption de la Constitution de 2017. La perspective de ces élections, les premières depuis le coup d’État de mai 2014, est peu enthousiasmante, dans le sens où elles semblent avoir été orchestrées de bout en bout par la junte : opposition bâillonnée, cooptation des institutions « indépendantes », encadrement sévère de la campagne pour favoriser le parti pro-junte… Cette « mise en scène électorale [...] pourrait suffire à conférer à la junte une légitimité démocratique indispensable à la relance économique et commerciale de la deuxième économie de l’Asie du Sud-Est. » Un dossier en anglais de Focus on the Global South fait le point sur les résultats des élections. En plus des alertes au sujet d’une très mauvaise organisation du vote, de nombreuses irrégularités dans le décompte des votes ont été relevées, et l’ECT (Commission Electorale Thaïlandaise) a été durement critiquée pour son manque de transparence et d’organisation. Les résultats, contestés par les deux principaux partis (le Pheu Thai Party (PTP) et Palang Pracha Rath Party (PPRP) –pro-junte) qui estiment avoir gagné, devraient être suivis de négociations pour former une coalition au Parlement. Les bons résultats du Future Forward Party (FFP), parti de « la jeune génération » qui appelle à une réforme ambitieuse de la société, de la politique et de l’économie thaïlandaises, est malgré tout un souffle d’espoir pour les mouvements sociaux. Une coalition des différents partis contre l’héritage de la junte militaire (y compris la Constitution) n’est pas non plus à exclure dans les semaines et mois qui viennent.
Indonésie : crispations autour des lignes de fractures religieuses et sociétales
Les élections présidentielles et législatives indonésiennes du 17 avril ont été le théâtre d’une polarisation encore plus importante que les précédentes (même si cette polarisation rhétorique n’implique pas nécessairement des positions concrètement antagoniques de part et d’autre). Le président sortant, Joko Widodo, l’a emporté sans surprise face à son rival Prabowo Subianto très lié à la dictature militaire des années 1960. Un élément distinctif de cette campagne électorale aura été une nette progression des courants islamistes conservateurs. La vague anti-féministe qui a eu lieu mérite d’être mentionnée : des candidates féminines conservatrices liées à des courants islamistes rigoristes, revendiquent la place principale des femmes dans le cadre familial, leur « chapeautage » par des hommes, mais aussi leur droit à l’éducation, au travail et à la libre expression ; en revanche, elles critiquent durement le concept de genre, le sexe pré-marital, l’avortement légal et la communauté LGBTQI car, selon elles, « contraires aux valeurs de l’islam ». En effet, les « centres d’autorité politico-théologiques [qui] se trouvent au Moyen-Orient, avec l’aide décisive des pétrodollars [...] cherchent à imposer aux cultures locales leur version de l’orthodoxie, comme le wahhabisme d’Arabie saoudite ». Face à cela, c’est apparemment le courant traditionaliste, pluraliste et inquiet de cette poussée du salafisme qui l’a emporté avec Jokowi et son vice-président Ma’ruf Amin, théologien de l’islam et président de l’organisation traditionnaliste Nahdlatul Ulama –qui, malgré tout, est considérablement attaqué par les secteurs progressistes et les défenseur·es des droits sexuels et des minorités religieuses.
Philippines : Duterte et la pente glissante autoritaire
Aux Philippines, l’exercice du pouvoir par le Président Rodrigo Duterte (décrit en 2016, lors de sa victoire, comme le « nouvel homme fort des Philippines ») a depuis renforcé l’économie néolibérale et le contrôle autoritaire de la société, où il concentre de plus en plus les trois branches du pouvoir ; et cela, dans une perspective conservatrice. Sa rhétorique populiste, teinté d’une forme d’« anti-intellectualisme », a particulièrement porté sur la « guerre contre le trafic de drogue », et joui d’une aura presque religieuse ; et le sexisme et la misogynie de son discours ont largement contribué à délégitimer les mouvements de femmes. Dans ce contexte, les élections du 13 mai se présentaient comme un moment décisif entre l’accélération de la dictature ou l’amorce d’un virage vers des politiques progressistes et résolument démocratiques, comme le montre la publication « Policy Review 2019 » de Focus on the Global South. Au lendemain des élections, le panorama est assez sombre : si Duterte parvient à mettre la main sur le Sénat, ce serait à nouveau un coup très dur pour l’opposition et les aspirations à un pays plus libre, plus solidaire et plus démocratique.
Inde : bilan et perspectives du gouvernement de droite dure de Modi et du BJP
Enfin, du 11 avril au 23 mai, les élections générales se tiennent en Inde. Le premier ministre Narendra Modi et son parti nationaliste, le BJP (Bharatiya Janata Party), jouent leur première réélection. Le bilan économique et social du premier mandat du quinquénat de Modi est sujet à débat, les enjeux géopolitiques sont nombreux, et les discours de haine, notamment dans la classe politique et alimentés par le BJP, sont montés en intensité. Ce parti de la droite dure a notamment été accusé de promouvoir et faciliter le massacre de Muzaffarnagar (ville située dans l’État d’Uttar Pradesh, au nord de New Delhi) contre des musulman·es en 2013, dans une logique d’imposition d’une ‘démocratie ethnique’ avec la ‘suprématie de la religion hindoue’. Les représentant·es du parti de Modi présentent régulièrement la communauté musulmane comme « l’ennemi de l’intérieur », de mèche avec le Pakistan, ce qui a eu pour effet de débrider les agressions et discriminations les plus violentes contre les musulman·es. L’hostilité du BJP envers les syndicats et les ONG est également source d’inquiétude pour les militant·es des droits. Après la défaite aux élections régionales de décembre 2018, la tension autour des résultats de ces élections se fait de plus en plus pressante.
[EDIT] : avec 56% des voix, le BJP a connu ce 23 mai une victoire importante. Plusieurs facteurs expliquent le score : un débat sur les politiques (dont économiques) de Modi relativement absent, une mise en scène de la personnalité charismatique du dirigent indien, un discours sur la sécurité nationale qui fait mouche, la difficulté du parti du Congrès (l’opposition) à communiquer efficacement avec le public, et des alliances qui ne se sont pas faites entre les différents partis régionaux... Les craintes pour l’avenir de la démocratie indienne grandissent.