A l’époque des « comptoirs » coloniaux, les structures sociales des pays concernés n’ont été que marginalement touchées, au-delà des ports marchands. En revanche, la colonisation territoriale les a bouleversées : elle a décomposé ou s’est subordonné les rapports sociaux précapitalistes (sans nécessairement les faire disparaître), a créé et diffusé des rapports sociaux spécifiquement capitalistes, a modifié le statut de la paysannerie, a fait apparaître un prolétariat et a intégré au nouvel ordre économique, en position dominée, une grande partie des élites locales.
Au XXe siècle, les révolutions anticoloniales et anti-impérialistes à caractère socialiste ont ouvert une voie alternative de développement. Deux conceptions de la « modernisation » des pays du Sud se sont alors opposées, l’une capitaliste et l’autre pas ; la première socialement très inégalitaire, la seconde beaucoup plus égalitaire.
Les termes de l’alternative se sont cependant radicalement modifiés au tournant des années 1980-1990. D’une part, en Chine, au Vietnam la dynamique révolutionnaire initiale s’est épuisée, ce qui a permis aux élites bureaucratiques de monopoliser toujours plus le pouvoir – alors que, de son côté, l’URSS a implosé. D’autre part, la structure même du marché mondial s’est transformée avec la « globalisation » néolibérale. Il était auparavant ossaturé par une hiérarchie d’Etats (impérialistes et dominés) délimitant des zones d’influence assez définies entre puissances. Pour assurer au capital une liberté de mouvement sans limites, la mondialisation a fait disparaître ou a rendu poreuses les frontières entre ces zones d’influences traditionnelles. La concurrence s’est généralisée et la capacité des Etats nippo-occidentaux à promouvoir une politique économique « nationale » s’est considérablement réduite (le cas de la Chine est à part).
De façon générale, la mondialisation capitaliste a accentué, au Nord comme au Sud, les inégalités de développement. La bourgeoisie de certains pays dominés (du Brésil à l’Inde en passant par les pétrorégimes du Moyen-Orient) a pu profiter de la mobilité nouvelle pour déployer ses propres transnationales. En même temps, moins que jamais, elle ne peut se protéger du marché mondial pour mettre en œuvre un projet national de développement.
La géographie économique et la géopolitique de l’Asie du Sud-Est se sont profondément modifiées sous l’impact de la mondialisation néolibérale d’une part et, d’autre part, de la transformation de la Chine en une nouvelle grande puissance capitaliste.
La crise financière de 1997-1998
On ne se réfère aujourd’hui qu’à la crise financière de 2007-2008, initiée aux Etats-Unis. Cependant, la première grande crise caractéristique de l’époque contemporaine a éclaté une décennie plus tôt, en Asie orientale. Elle a notamment été provoquée par la brutalité des mouvements internationaux de capitaux qui ont afflué dans un premier temps, pour se retirer massivement dans un second, dévastant des économies endettées.
La bulle financière a tout d’abord éclaté en Thaïlande, puis la crise s’est étendue à l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, et enfin la Corée du Sud, Taïwan, Singapour, Hong Kong, le Japon… avant de se répercuter ailleurs dans le monde : Russie, Mexique…
Les conséquences de cette crise pionnière ont été considérables. Notamment :
• Dans un pays comme la Thaïlande, les classes moyennes vivant à crédit ont été ruinées. Elles ont basculé à droite et se sont retournées contre plus pauvres qu’elles, comme si ouvriers et paysans n’étaient pas eux aussi frappés. Idéologiquement, à Bangkok en particulier, elles sont devenues pour une grande part ouvertement antidémocratiques, prônant même un retour à un vote censitaire.
• En Indonésie, le Fonds monétaire international a imposé au régime Suharto de sévères mesures austéritaires, suscitant une résistance sociale massive et provoquant la chute de la dictature.
• L’autorité politique du FMI a été profondément remise en cause. Les institutions financières internationales n’avaient pas prévu cette crise et sa spécificité. Leurs « remèdes » n’ont fait que l’aggraver. Ainsi – prévenue par la crise indonésienne –, Singapour a ouvertement rejeté les plans du FMI.
• Un pays comme la Corée du Sud a subi les assauts du capital international désireux d’acheter à bas prix des entreprises performantes, mais en faillite. Du point de vue du capital, une crise est une opportunité à saisir et le jeu de massacre se joue dorénavant, véritablement, à l’échelle mondiale.
• L’instabilité structurelle du nouvel ordre néolibéral annonçait la fin d’un cycle de démocratisation ouvert avec la fin des régimes militaires en Amérique latine. La dictature Marcos aux Philippines a été renversée en 1986. Au début des années 1990, le royaume thaï oscillait entre la prédominance d’un régime parlementaire civil et le retour aux affaires de l’armée. Ces deux pays vivent aujourd’hui sous un régime hyperautoritaire.
Depuis la fin des années 1990, la fin de régimes militaires ne débouche plus sur une dynamique de démocratisation durable. On le voit aujourd’hui en Indonésie, comme en Birmanie. La tendance à un autoritarisme croissant n’est évidemment pas propre à l’Asie.
Une fois encore, un tournant dans la situation mondiale a tout d’abord été annoncé d’Asie, à l’occasion d’événements majeurs. En l’occurrence, cela se comprend aisément : cette région attirait à l’époque près de la moitié des flux de capitaux orientés vers les pays du Sud. Elle était particulièrement sensible à la volatilité du capital « mondialisé ».
La puissance chinoise
Autre bouleversement majeur dont l’Asie orientale est l’épicentre, la naissance d’une nouvelle puissance capitaliste aux ambitions impérialistes. Cela n’était pas arrivé depuis plus d’un siècle – avec le Japon.
La révolution maoïste a permis à la Chine de ne pas devenir une (semi, néo) colonie des Etats-Unis ou plusieurs impérialismes. La nouvelle bourgeoisie chinoise a donc pris forme, durant les années 1990-2000, sur une base indépendante. Ce processus de transformation de la structure de classe du pays a été piloté par le PCC et le gouvernement, ce qui lui a donné sa cohérence. Son poids démographique, son tissu industriel, ses réserves financières, sa place dans le commerce mondial, le développement de ses moyens militaires, contribuent à sa stature internationale.
La formation sociale chinoise est très particulière, issue d’une histoire « rare », ce qui nourrit légitimement bien des discussions sur sa caractérisation. Ce qui est certain, cependant, c’est qu’elle se construit comme une puissance et que cette puissance se fait sentir avec particulièrement de force dans son environnement régional dont l’Asie du Sud-Est fait partie.
L’hégémonie chinoise s’affirme dans le sud-ouest de l’espace maritime propre à l’Asie orientale : Pékin a déclaré unilatéralement son pouvoir souverain sur des ilots et récifs inhabités sur lesquels il a artificiellement construit un réseau de radars, pistes d’envol, bases de missiles, baraquements militaires… Dans le nord-ouest en revanche, ce sont les Etats-Unis qui consolident la leur (Japon, péninsule coréenne).
La puissance économique de la Chine se fait très directement sentir dans la région : importance de son marché intérieur pour les exportations des Etats d’Asie du Sud-Est, zone privilégiée de dumping des produits chinois, achat massif par des capitaux chinois de terres agricoles, de zones destinées à la construction de vastes sites industriels, de mines et de forêts, investissement dans les infrastructures, prêts financiers…
La géopolitique régionale
Le Vietnam est le seul pays d’Asie du Sud-Est à s’opposer frontalement à l’hégémonie chinoise. A l’opposé, le Laos est largement devenu un Etat vassal. Cependant, la majorité des gouvernements de la région cherchent à utiliser leurs positions spécifiques dans la géopolitique régionale pour exister et jouer une sorte de double ou de triple jeu permanent – en attendant que le conflit stratégique Chine / Etats-Unis n’entre dans une phase nouvelle.
Nous passons brièvement en revue onze pays d’Asie du Sud-Est. Il ne s’agit pas de dresser ici une « fiche d’identité », mais de souligner quelques-uns des traits les plus significatifs de la situation présente pour chacun d’entre eux.
• L’effacement paradoxal de l’Indonésie (hab. 250 millions). Sur le plan démographique, c’est le principal Etat de la région – et de loin. Sur le plan géographique, l’archipel s’étend tout au long de la frontière entre océans Indien et Pacifique – une zone géostratégique de premier plan. En matière d’histoire moderne, Djakarta a été une référence du combat anticolonial. Pourtant, aujourd’hui, le régime indonésien est comme replié sur lui-même et ne joue pas de rôle significatif dans la géopolitique régionale, en tout cas pas à la mesure de son poids potentiel.
L’héritage de la dictature Suharto explique probablement cet effacement. L’intelligentsia a été décimée. La vie politique étouffée, l’éducation corsetée. L’anticommunisme a tenu lieu d’idéologie jusqu’à l’absurde… Dans l’arène internationale, le gouvernement parle encore comme si nous vivions à l’époque de la guerre froide. Quant à l’idéologie naissante de remplacement, on peut craindre, au vu des évolutions politiques récentes, que cela ne soit un fondamentalisme islamiste, pourtant très étranger à ce pays.
• Timor-Leste (Timor-Est) (hab. 1,2 million) entre deux mondes. Les récentes élections législatives ont donné au Fretilin une majorité relative. Depuis la reconnaissance de son indépendance (2002), le Timor-Leste poursuit un long processus d’adhésion à l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE ou ASEAN, sigle anglais). Cependant, c’est avec l’Australie, toute proche, que ce pays de 1,3 million d’habitant(e)s entretient les rapports les plus étroits – des rapports aujourd’hui très conflictuels. Aucune frontière maritime n’a encore été délimitée, la puissance australienne s’octroyant de fait la part du lion dans le contrôle des ressources off shore. En 2016, le Timor-Leste a engagé une procédure de conciliation obligatoire auprès de la Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye.
• Brunei (hab. 430.000), sultanat pétrolier. Le Brunei a été frappé par la baisse du prix des hydrocarbures, il est devenu sur le plan économique très dépendant de la Chine. Avec le Laos et le Cambodge, il a soutenu la position chinoise sur la mer de Chine du Sud, mettant en sourdine ses propres droits maritimes. Dès avant l’indépendance (1968), le pays a été dirigé par le sultan Hassanal Bolkiah. Il a aujourd’hui 71 ans et prépare la relève en islamisant, au profit de la monarchie, les institutions et la société.
• Les Philippines (hab. 101 millions) en rupture de ban. L’élection à la tête de l’Etat, en juillet 2016, du président Rodrigo Duterte a introduit une double rupture. Sur le plan intérieur, elle exprime l’usure finale du régime parlementaire clientéliste établi après la chute de la dictature Marcos, en 1986. Certes, les « grandes familles » continuent à structurer la vie politique de l’archipel, mais un système présidentiel hyperautoritaire prend forme. En particulier, la politique de « guerre à la drogue » (peut-être dix mille exécutions extrajudiciaires en un an) a permis d’instaurer un climat général d’arbitraire et d’impunité en faveur des forces de répression. Sur le plan régional, sans rompre avec les Etats-Unis, Duterte est allé très loin dans l’ouverture envers Pékin et Moscou, permettant au régime chinois de consolider son hégémonie en mer de Chine du Sud.
Washington garde cependant des liens privilégiés avec le haut commandement de l’armée philippine, avec lequel il collabore étroitement dans le conflit qui l’oppose, au sud de l’archipel, à des groupes islamistes, salafistes djihadistes. La loi martiale a été instaurée dans toute l’île méridionale de Mindanao et pourrait être étendue ailleurs si l’état-major et la présidence le souhaitaient. Le président Trump chante les louanges de Duterte, à la différence d’Obama. La situation est aux Philippines en pleine évolution, l’avenir est indécis – or, le pays occupe une place clé dans la géopolitique régionale.
• La Malaisie (hab. 31,7 millions), un équilibre menacé. La Malaisie a modernisé ses infrastructures et développé des zones industrielles orientées vers l’exportation. Premier pays de la région à avoir produit une automobile, elle est aujourd’hui un leader mondial dans la production de composants électroniques, notamment les semi-conducteurs. C’est aussi un exportateur majeur d’huile de palme. Ses principaux partenaires économiques sont la Chine, le Japon, les Etats-Unis et Singapour. Elle est considérée comme l’un des « tigres asiatiques ».
La vie politique est largement dominée par les rapports entre populations malaises musulmanes (55%) et indigènes (6%), chinoises (24%), indiennes (7%), étrangères (près de 10%). Depuis 1969, un système de discrimination positive a été instauré en faveur de la majorité musulmane malaise, Chinois et Indiens étant alors mieux représentés dans les élites. La plupart des partis sont à base communautaire, l’UMNO (malais) étant prépondérant. La gauche – le Parti socialiste de Malaisie (PSM) – refuse cette logique ethnique. L’islamisme radical a récemment fait son apparition dans le pays et pourrait déstabiliser un fragile équilibre entre communautés religieuses – musulmans (61%), bouddhistes (20%), chrétiens (9%), hindous (6%), autres et sans religion (4%), selon des statistiques de 2016.
• Singapour (hab. 5,6 millions), plaque tournante. Seuls 3,4 millions d’habitant.e.s de la cité-Etat ont le statut de citoyen. Place financière internationale de premier plan, elle est aussi une plaque commerciale clé entre la zone Pacifique et l’Europe. Située à l’extrémité Est du détroit de Malacca, elle possède le deuxième port au monde (après Shanghai) en termes d’exportations et de trafic maritime. Le niveau de vie moyen est très élevé et les millionnaires sont légions.
Le modèle (limité à une ville) autoritaire de développement singapourien est peut-être en train de s’épuiser tant pour des raisons internes que géopolitiques. L’emprise chinoise s’affirme sur un espace maritime et sur des voies de communication dont Singapour dépend. Pour contrer les ambitions de Pékin, Washington accorde beaucoup d’attention à la cité-Etat. Singapour entre dans une période de turbulences.
• La Thaïlande (hab. 68,2 millions), un nouveau roi et des généraux. A sa mort en octobre 2016, après 70 ans de règne, le roi Bhumibol Adulyadj a légué un pays où la contestation civile du pouvoir monarcho-militaire at été brisée. Depuis 2001, un bras de fer a opposé l’establisment traditionnel à la riche famille Shinawatra qui remportait toutes les élections (obtenant un appui populaire en mettant en œuvre des programmes sociaux). Le couple Shinawatra vit maintenant en exil et la nouvelle Constitution est conçue pour empêcher la formation de partis suffisamment puissants pour offrir une légitimité alternative à l’armée et à la famille royale. Le « crime » de lèse-majesté est utilisé pour réprimer toute opposition. Les généraux occupent de multiples positions institutionnelles ou économiques – il faut dire qu’ils sont probablement plus de 1600 contre un millier aux Etats-Unis !
Le prince Vajiralonkorn a succédé à son père. Il n’a rien d’un homme d’Etat et, caractériel, peut devenir un facteur d’instabilité. Le pouvoir central est fortement contesté dans toutes les régions de la périphérie : au Nord-Est (Isan) et au Nord d’abord, où les « chemises rouges » étaient particulièrement implantées (et sont fortement réprimées), ainsi qu’au Sud – l’armée intervient contre un mouvement irrédentiste musulman actif dans les provinces de l’extrême sud frontalier de la Malaisie. Les résistances sociales se poursuivent, bien que fragmentées et sans expression politique ouverte.
• La Birmanie (hab. 54,4 millions), gouvernement civil, contrôle militaire. Bien que le parti historique de l’opposition au régime militaire, la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), incarnée par Aung San Suu Kyi, a remporté les élections en 2015 et a pris ses fonctions en 2016, l’armée détient toujours des pouvoirs décisifs. La Constitution leur accorde trois ministères clés : l’Intérieur, la Défense, les Frontières et leur garantit 25% des sièges au Parlement (soit le droit de veto sur tout amendement à Constitution). Elle a la haute main sur tout ce qui concerne la sécurité nationale.
Or, les enjeux « sécuritaires » ne manquent pas. Dans les États kachin et shan, au nord du pays, les conflits entre les forces gouvernementales et les groupes ethniques armés n’ont cessé de s’intensifier. Dans cette zone, ce sont près de 100 000 personnes qui restent déplacées en raison des hostilités. Le processus de paix n’est toujours pas inclusif. Dans le sud-ouest, une véritable politique d’épuration ethnique est engagée contre les Rohingya (essentiellement des musulmans) dont les droits citoyens ont été abolis et qui subissent aujourd’hui massacres et exil forcé.
• Cambodge (hab. 15,8 millions), luttes d’influence. La société cambodgienne a été, dans les années 1970, traumatisée et durablement déstructurée par l’intensité des bombardements US, puis par la violence extrême des Khmers rouges. Ce n’est que relativement récemment que divers milieux affirment une activité propre, avec des grèves ouvrières, des résistances locales aux évictions, le développement des réseaux sociaux, l’expression d’exigences démocratiques, des débats politiques – et entrent en conflit avec un régime très autoritaire. Bien que le parti au pouvoir (dirigé par le Premier ministre Hun Sen) ait été initialement installé par les Vietnamiens en 1988 – avant qu’ils ne retirent leurs troupes un an plus tard –, l’influence chinoise sur le pays se renforce aujourd’hui.
Le Cambodge a été sous la tutelle de l’ONU au début des années 1990. De ce fait, de nombreuses associations et ONG sont présentent dans le pays, bénéficiant de financements internationaux. Certaines d’entre elles animent de Phnom Penh des réseaux régionaux. L’Assemblée nationale a voté en 2015 des lois permettant au pouvoir de contrôler plus étroitement les associations indépendantes.
• Laos (hab. 6,9 millions), orbite chinoise. A la différence des Khmers rouges, le parti au pouvoir au Laos était étroitement allié au Parti communiste vietnamien à l’époque des guerres de libération ; l’influence de Hanoi à Vientiane reste importante. Cependant, sur le plan économique, la Chine occupe aujourd’hui une place dominante dans le pays, même si les Etats-Unis cherchent à accroître leur présence. Le pays est structurellement dépendant des investissements étrangers et, en ce domaine, Pékin n’a pas de rival.
La « mise en valeur » brutale du Laos a des conséquences écologiques et sociales souvent dramatiques. Le régime étouffe dans l’œuf toute contestation. En 2015, Vientiane a accueilli le sommet intergouvernemental Asie-Europe (ASEM) ainsi que le Forum populaire Asie-Europe (AEPF). Dans le cadre de ce forum, des associations, syndicats, ONG se sont rencontrés et pour la première fois un espace est apparu permettant une certaine expression de la « société civile » laotienne. Il s’est rapidement refermé et de la pire façon qui soit : le principal animateur associatif du Forum populaire côté laotien, Sombath Somphone, une figure reconnue au niveau international pour le travail effectué dans le pays, a été enlevé. Aucune information sur son sort n’a été depuis fournie par les autorités.
• Vietnam (hab. 94,4 millions), une « voie chinoise » contre Pékin. Entré à l’OMC en 2007, le Vietnam suit une voie analogue à celle de la Chine en s’intégrant au cadre de la mondialisation capitaliste, en ouvrant le pays aux investissements étrangers, en laissant le marché se développer, en renforçant le contrôle du parti unique sur l’Etat et la société. Sur le plan géopolitique, cependant, Hanoi s’oppose frontalement à Pékin, en particulier en ce qui concerne la souveraineté maritime sur divers archipels et tente de rallier à ce combat les gouvernements de l’ASEAN, tout en négociant des accords avec Washington.
De nombreuses luttes sociales se sont récemment menées au Vietnam, tant sur les conditions de travail que sur des questions environnementales (pollutions massives…) impliquant souvent des entreprises taïwanaises, alors que la destruction des forêts ou l’appauvrissement des sols fragilisent le pays face à la crise écologique.
Une situation régionale fluide et incertaine
La situation en Asie du Sud-Est est profondément affectée par le conflit géopolitique qui oppose tant sur le plan international qu’en Asie du Nord-Est Washington à Pékin, ce qui alimente bien des incertitudes. Il est en effet trop tôt pour savoir dans quelle mesure la direction chinoise pourra poursuivre son expansion mondiale et développer les deux nouvelles « routes de la soie » vers l’Europe et l’Asie centrale (la route terrestre) et vers le Moyen-Orient et l’Afrique (route maritime qui traverse toute la région). De même, jusqu’où ira le bras de fer engagé sur la péninsule coréenne et à quel point va-t-il modifier les alignements politiques et les rapports de forces militaires en mer de Chine du Sud – qui commandent le contrôle des détroits entre océans Indien et Pacifique ?
La montée des fondamentalismes religieux et des nationalismes identitaires se fait sentir dans une grande partie de la région, qu’ils soient musulmans, bouddhistes, hindouistes, voire, bien que sous des formes différentes, catholiques ou évangélistes (voir notamment les Philippines). Elle induit des déséquilibres qui mettent en danger la cohésion de sociétés souvent pluriethniques et marquées par des régionalismes anciens.
Comme dans bien d’autres parties du monde, les conséquences inégalitaires de la mondialisation capitaliste érodent les équilibres politiques et sociaux en Asie du Sud-Est et soulèvent la question d’une possible politique de déglobalisation au moins partielle de l’économie. Conjuguées au chaos climatique et à une crise écologique multiforme, l’ordre néolibéral provoque des déplacements de populations et des migrations internationales sans précédents.