Les causes de l’enfance exploitée se trouvent dans des réalités complexes et souvent à la croisée des chemins : pauvreté et endettement, guerres et catastrophes naturelles, recherche effrénée du meilleur profit et main d’œuvre bon marché, systèmes éducatifs insuffisants.
Les facteurs économiques
La pauvreté est le premier facteur qui explique l’exploitation des enfants. La participation au travail familial (travail domestique et travaux des champs) est souvent une question de survie pour les familles. La pauvreté ne diminue pas, elle augmente même dans certains pays. Aujourd’hui, dans le monde, 40 % de la population mondiale vit avec moins de 2 $ par jour et 880 millions de personnes souffrent de la faim (chiffres PNUD). Dans les 20 pays les plus riches du monde, le Bureau International du Travail rappelle que 10 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté l’absence ou l’insuffisance des revenus parentaux est aussi une cause du travail forcé des enfants. Dans un contexte de crise économique, de chômage et aussi de croissance démographique mondiale, tous les facteurs sont réunis pour que des millions de personnes ne trouvent pas de travail fixe, aient recours au secteur informel et fassent travailler leurs enfants pour apporter un complément de revenu nécessaire au foyer.
Malgré les législations officielles qui interdisent le travail des enfants, les Etats eux-mêmes s’accommodent parfois de cette réalité économique. En Ouzbékistan, gros pays exportateur de coton, le gouvernement autorise ainsi la fermeture des écoles au moment de la récolte du coton. La récolte n’étant pas mécanisée, les besoins de main d’œuvre sont très importants durant cette période. Pour participer à l’effort national, ce sont ainsi des millions d’enfants qui sont privés d’école pendant deux mois et qui travaillent dans des conditions éprouvantes, sans percevoir de rémunération en contrepartie.
Attraits spécifiques de la main d’œuvre enfantine dans une économie mondialisée
Pourquoi employer un enfant plus qu’un adulte ? La plupart des employeurs ne sont pas à cours d’arguments pour justifier cette préférence : leur petit gabarit – indispensable pour certains travaux comme ceux des mines de charbon par exemple –, leurs petites mains agiles pour les travaux industriels, agricoles, artisanaux, etc.
En réalité, les motivations sont d’un autre ordre. A quelques exceptions près, la plupart des travaux effectués par les enfants pourraient être donnés à des adultes mais ce qui motive l’employeur, c’est la docilité et le faible coût de cette main d’œuvre. Pour être compétitives et gagner des parts de marché, de nombreuses entreprises ont choisi de réduire leurs coûts en délocalisant leur production, dans des pays où la main d’œuvre est très bon marché et où la réglementation du travail est moins contraignante. La première marque de la chaussure de sport aux Etats-Unis, Nike, est emblématique de la délocalisation du travail : elle ne possède pas d’usines de fabrication et ne travaille qu’avec des sous-traitants en Asie.
Concrètement, cette délocalisation s’est traduite par la multiplication des sous-traitants dans le processus de fabrication (ateliers, petites usines, travailleurs à domicile…). Dans ces nombreux circuits de production, il est particulièrement aisé de dissimuler l’embauche des enfants et de ne pas respecter les lois en vigueur.
La question du travail des enfants doit donc être appréhendée dans le cadre d’une économie globalisée, l’enfant étant devenu l’un des maillons importants de la chaîne de production. Il est considéré comme un atout incontournable du système économique mondial. Seule la mise en place de règles économiques mondiales fondées sur le respect des droits fondamentaux pourrait mettre un terme à cette situation d’ « enfant travailleur », contraire à la dignité et aux droits des enfants.
Insuffisance de l’éducation
Le travail des enfants est étroitement corrélé à leur possibilité de suivre une scolarité. En effet, si la famille est trop pauvre pour payer les livres scolaires et la cantine, et que ses besoins essentiels ne sont pas couverts, elle n’aura pas d’autre choix que d’envoyer ses enfants travailler. Or, un enfant installé dans une activité professionnelle à temps plein n’a pas les moyens d’étudier. Actuellement, 75 millions d’enfants dans le monde sont privés de scolarité primaire (Unesco), un chiffre important mais qui tend à diminuer ces dernières années (ils étaient 103 millions en 1999). Ce sont pour la plupart des enfants qui ont commencé à travailler en très bas âge. Les chiffres sont plus inquiétants en ce qui concerne l’enseignement secondaire que seuls 46 % des garçons dans le monde et 43 % des filles peuvent suivre. En Afrique subsaharienne, seul un enfant sur 5 suit une scolarité dans le secondaire.
Pour tous ces enfants privés de scolarité, le droit à l’éducation apparait bien abstrait. Ayant à charge de ramener un salaire pour nourrir leur famille, il leur est impossible de suivre une scolarité. La priorité du BIT est donc d’assurer un travail décent aux adultes afin que les enfants ne soient plus obligés de travailler pour la survie familiale et soient scolarisés.
D’autres défaillances, à un niveau plus politique empêchent la scolarisation de tous les enfants, notamment dans les pays en développement qui peinent à débloquer des budgets conséquents pour le secteur de l’éducation ou de la santé. La dette qu’ils ont contractée auprès des pays développés au sortir de la décolonisation a quadruplé entre 1980 et 2000. Dans certains pays, cette dette est même plus importante que le produit national brut.
L’aide au développement des pays du Nord, constamment revue à la baisse ces dernières années est sans grande efficacité pour améliorer la situation.
La problématique du genre
L’expérience du travail ou de l’accès à l’éducation peut être très différente selon le sexe de l’enfant : lorsque les parents sont obligés de choisir lequel de leurs enfants pourra aller à l’école, le choix se porte plus facilement sur le garçon. On mise plus volontiers sur lui pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que la répartition traditionnelle des rôles au sein de la famille veut que les filles assument une plus grande partie des tâches ménagères : dans de nombreux pays, les parents comptent sur les filles pour s’occuper des frères et sœurs et faire le ménage et la cuisine. Ensuite, parce que l’éducation des filles n’est pas considérée comme un investissement profitable puisqu’elles se marient jeunes et quittent le foyer familial assez rapidement. Les garçons, quant à eux, seraient les garants du patrimoine (métier du père, biens, terre…) ; c’est pourquoi l’accès aux biens essentiels que sont la santé, l’alimentation et l’éducation leur sont réservés en priorité.
Ainsi, les travaux domestiques sont la principale activité économique des filles et les postes d’employés de maison sont occupés quasi exclusivement par elles. La plupart des activités domestiques se déroulant dans la sphère privée, les petites et jeunes filles qui y participent sont d’autant plus exposées à toute sorte de violence et d’exploitation, loin des regards.
Santé publique : quand le Sida arrache l’enfance
Le Sida est un facteur aggravant les conditions des enfants, en particulier dans les pays africains. A la fin de 2005, en Afrique subsaharienne, 12 millions d’enfants avaient perdu un parent à cause du Sida et les prévisions pour l’avenir sont très inquiétantes. L’Unicef prévoit qu’en 2010, 15,7 millions d’enfants auront perdu un parent de cette maladie.
Les orphelins de père vivent généralement avec leur mère mais la réciproque n’est pas vraie : les orphelins de mère sont souvent éduqués par leur grand-mère ou une autre femme de la famille. Ainsi, au Zimbabwe et en Tanzanie, plus de 60 % des enfants orphelins sont recueillis par leur grand-mère. Souvent, ces femmes âgées comptent parmi les personnes les plus démunies de la population. Elles sont obligées de travailler, même à un âge avancé et quand elles doivent accueillir plusieurs orphelins, leur famille s’enfonce alors dans une grande pauvreté qui oblige les enfants à travailler pour subvenir aux besoins familiaux.