Les causes de l’enfance exploitée se trouvent dans des réalités complexes et souvent à la croisée des problématiques : pauvreté et endettement, guerres et catastrophes naturelles, recherche effrénée du meilleur profit et main d’œuvre bon marché, systèmes éducatifs insuffisants.
Les facteurs économiques
La pauvreté est le premier facteur qui explique l’exploitation des enfants. La participation au travail familial (travail domestique et travaux des champs) est souvent une question de survie pour les familles. La pauvreté ne diminue pas, elle augmente même dans certains pays.
D’après le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), 165 millions de personnes ont basculé dans la pauvreté entre 2020 et 2023, à cause de la pandémie de Covid 19, des conflits et des chocs météorologiques. Entre 691 et 783 millions de personnes ont souffert de la faim en 2022, soit 122 millions de personnes supplémentaires depuis 2019 (FAO 2023) [1].
Dans un contexte de crise économique, de chômage et de bouleversements politiques ou climatiques, tous les facteurs sont réunis pour que des millions de personnes ne trouvent pas de travail fixe, aient recours au secteur informel et fassent travailler leurs enfants pour apporter un complément de revenu nécessaire au foyer.
Malgré les législations officielles qui interdisent le travail des enfants, les États eux-mêmes s’accommodent parfois de cette réalité économique, souvent difficile à contrôler, du fait que le travail s’effectue dans le cadre familial ou dans le secteur informel.
Attraits spécifiques de la main d’œuvre enfantine dans une économie mondialisée
Pourquoi employer un enfant plutôt qu’un adulte ? La plupart des employeur·ses ne sont pas à court d’arguments pour justifier cette préférence : leur petit gabarit – indispensable pour certains travaux comme ceux des mines de charbon par exemple –, leurs petites mains agiles pour les travaux industriels, agricoles, artisanaux, etc.
En réalité, les motivations sont d’un autre ordre. À quelques exceptions près, la plupart des travaux effectués par les enfants pourraient être donnés à des adultes mais ce qui motive l’employeur·se, c’est la docilité et le faible coût de cette main d’œuvre. Pour être compétitives et gagner des parts de marché, de nombreuses entreprises ont choisi de réduire leurs coûts en délocalisant leur production, dans des pays où la main d’œuvre est très bon marché et où la réglementation du travail est moins contraignante. Concrètement, cette délocalisation s’est traduite par la multiplication des sous-traitants dans le processus de fabrication (ateliers, petites usines, travailleur·ses à domicile…). Dans ces nombreux circuits de production, il est particulièrement aisé de dissimuler l’embauche des enfants et de ne pas respecter les lois en vigueur.
La question du travail des enfants doit donc être appréhendée dans le cadre d’une économie globalisée, l’enfant étant devenu·e l’un des maillons importants de la chaîne de production, considéré comme un atout incontournable du système économique mondial. Seule la mise en place de règles économiques mondiales fondées sur le respect des droits fondamentaux pourrait mettre un terme à cette situation d’« enfant travailleur·se », contraire à la dignité et aux droits des enfants.
Insuffisance de la scolarisation
Le travail des enfants est étroitement corrélé à leur possibilité de suivre une scolarité. En effet, si la famille est trop pauvre pour payer les livres scolaires et la cantine, et que ses besoins essentiels ne sont pas couverts, elle n’aura pas d’autre choix que d’envoyer ses enfants travailler. Or, un·e enfant qui pratique une activité professionnelle à temps plein n’a pas les moyens d’étudier.
L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) estime que 250 millions d’enfants dans le monde ne seraient pas scolarisé·es [2]. Globalement, le taux d’enfants non scolarisé·es avait considérablement diminué depuis quelques décennies, mais les moyennes cachent d’importantes disparités selon les régions, avec une augmentation en Afrique subsaharienne. L’exclusion des filles de l’enseignement en Afghanistan a d’autre part augmenté la proportion de filles non scolarisées. Il faut noter aussi qu’une partie des enfants officiellement scolarisé·es ne fréquentent l’école qu’occasionnellement.
Pour tous ces enfants privé·es de scolarité, le droit à l’éducation apparaît bien abstrait. Ayant à charge de ramener un salaire pour nourrir leur famille, il leur est impossible de suivre une scolarité. La priorité du BIT est donc d’assurer un travail décent aux adultes, afin que les enfants ne soient plus obligé·es de travailler pour la survie familiale et soient scolarisé·es.
D’autres défaillances, à un niveau plus politique, empêchent la scolarisation de tous les enfants, notamment dans les pays en développement, qui peinent à débloquer des budgets conséquents pour le secteur de l’éducation ou de la santé. La dette qu’ils ont contractée auprès des pays développés au sortir de la décolonisation a quadruplé entre 1980 et 2000. Dans certains pays, cette dette est même plus importante que le produit national brut.
L’aide au développement des pays du Nord, constamment revue à la baisse ces dernières années, est sans grande efficacité pour améliorer la situation.
La problématique du genre
L’expérience du travail ou de l’accès à l’éducation peut être très différente selon le sexe de l’enfant : lorsque les parents sont obligés de choisir lequel de leurs enfants pourra aller à l’école, le choix se porte plus facilement sur le garçon. On mise plus volontiers sur lui pour plusieurs raisons. Premièrement, parce que la répartition traditionnelle des rôles au sein de la famille veut que les filles assument une plus grande partie des tâches ménagères : dans de nombreux pays, les parents comptent sur les filles pour s’occuper des frères et sœurs, faire le ménage et la cuisine. Ensuite, parce que l’éducation des filles n’est pas considérée comme un investissement profitable puisqu’elles se marient jeunes et quittent le foyer familial assez rapidement. Les garçons, quant à eux, seraient les garants du patrimoine (métier du père, biens, terre…) ; c’est pourquoi la satisfaction des biens essentiels que sont la santé, l’alimentation et l’éducation leur est réservée en priorité.
Ainsi, les travaux domestiques sont la principale activité économique des filles et les postes d’employé·es de maison sont occupés quasi exclusivement par elles. La plupart des activités domestiques se déroulant dans la sphère privée, les petites et jeunes filles qui y participent sont d’autant plus exposées à toute sorte de violence et d’exploitation, loin des regards.
Santé publique : quand le Sida et le Covid arrachent l’enfance
Les pandémies de sida et de Covid 19 sont des facteurs aggravant les conditions des enfants, en particulier dans les pays africains.
Selon l’Unicef [3], en 2020, au moins 300 000 enfants ont été nouvellement infecté·es par le VIH, et 120 000 sont décédé·es de causes liées au sida. Et pendant cette même année 15,4 millions d’enfants ont perdu un de leurs parents à cause du sida.
Les diverses conséquences de la pandémie de Covid 19 ont également eu un impact important : fermeture des écoles, perte de revenus des parents, pénurie de main-d’œuvre et ont entraîné un recours accru au travail des enfants, notamment dans le secteur informel, tandis que la lutte contre le VIH (dépistage, mise en place de traitements) était fortement perturbée en raison de la pandémie.
Une étude récente estime qu’en mai 2022 au moins 7,5 millions d’enfants étaient devenu·es orphelin·es à cause du Covid 19, notamment en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud.
Les orphelin·es de père vivent généralement avec leur mère mais la réciproque n’est pas vraie : les orphelin·es de mère sont souvent éduqué·es par leur grand-mère ou une autre femme de la famille. Ainsi, au Zimbabwe et en Tanzanie, plus de 60 % de ces enfants sont recueilli·es par leur grand-mère. Souvent, ces femmes âgées comptent parmi les personnes les plus démunies de la population. Elles sont obligées de travailler, même à un âge avancé et, quand elles doivent accueillir plusieurs orphelin·es, leur famille s’enfonce alors dans une grande pauvreté qui oblige les enfants à travailler pour subvenir aux besoins familiaux.