Un cadre législatif important mais pas assez influent
Historiquement, la reconnaissance progressive des droits des enfants se met en place à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle. Les principaux textes sur les droits des enfants ne seront promulgués qu’au XXe siècle.
En France, la Révolution française marque un pas important dans la reconnaissance de l’enfant comme individu à part entière. Au XIXe siècle, une série de lois (lois Lakanal - 1795, Guizot - 1833, Falloux - 1850, 1867, Ferry - 1882) se penchent sur la question scolaire et introduisent les notions d’école laïque, d’enseignement supérieur, de scolarité obligatoire dans le primaire… Parallèlement, des lois ou décrets règlementent le travail : dès 1813, les enfants de moins de 10 ans sont interdits de travail dans les mines ; en 1874, la durée de travail pour les enfants est limitée à 6 heures pour les 10/12 ans et 12 heures pour les enfants de plus de 12 ans.
Les premiers textes qui traitent des droits de l’enfant, appréhendés de façon plus globale, ne se mettent en place qu’en 1924, quand l’Union Internationale des Secours aux enfants tente de codifier leurs droits dans la « Déclaration de Genève ». Cette première déclaration n’est limitée qu’à l’affirmation de quelques principes assez vagues.
La concrétisation de ces droits intervient en 1959 avec la Charte des droits de l’enfant, rédigée par l’ONU, qui institue notamment la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, puis avec la Convention des Droits de l’Enfant, adoptée par l’Assemblée des Nations Unies en 1989. Le préambule de cette dernière insiste sur la nécessité de protection des enfants. Cette convention est la plus ratifiée de l’histoire : à ce jour, 192 pays l’ont signée. Les Etats-Unis sont les grands absents, puisqu’à l’époque, la peine capitale pour les mineurs était encore en vigueur dans le pays, alors que la convention l’avait fortement proscrite. Aujourd’hui, bien qu’ayant interdit la peine capitale pour mineurs, les Etats-Unis n’ont toujours pas ratifié cette convention.
En 1990 a lieu le premier sommet mondial pour l’enfance, au siège de l’ONU. Il se solde par une déclaration mondiale en faveur de la survie, de la protection et du développement de l’enfant. La même année, une déclaration mondiale sur « l’Education pour tous » est promulguée en Thaïlande.
En ce qui concerne les pires formes du travail, de nouvelles législations internationales sont lancées à partir de 2000. Des traités multilatéraux sont élaborés pour faire de la traite des êtres humains une infraction pénale avec, par exemple, le Protocole de Palerme (2000).
Pour les enfants soldats, l’Unicef a mis en place le programme « DDRR » : Désarmement, Démobilisation, Réhabilitation, Réintégration. Récemment, la conférence « libérons les enfants de la guerre » (Paris 2007) a énoncé des mesures condamnant le recrutement des mineurs comme soldats et les personnes qui les recrutent.
Ce dispositif législatif a le mérite de fixer un cadre légal mais étant donné qu’il n’est pas contraignant, l’embauche des enfants reste massive dans de nombreux Etats, dans des conditions semblables à celles qui sont dénoncées dans les différents textes juridiques internationaux. En réalité, les plans nationaux pour l’abolition du travail des enfants et les différentes lois promulguées restent appliqués de façon assez aléatoire. Le problème étant d’ordre socio-économique, il est parfois impossible de soustraire les enfants d’une activité qui rapporte un revenu essentiel au foyer. Et tant qu’un véritable changement ne pourra être opéré à ce niveau-là, pour fournir à chaque adulte un travail décent, tous les programmes et toutes les sanctions mises sur pied n’auront qu’une portée limitée.
Les initiatives de la société civile pour éliminer les pires formes d’exploitation
Interpeller les Etats et les organisations internationales
L’universitaire indien Kailash Sayarthi crée en 1981 la fondation Bachpan Bachao Andolan « sauver l’enfance » pour lutter contre le travail des enfants et lance les marches d’enfants travailleurs pour attirer l’attention du public et des autorités sur la situation des enfants.
La « Marche mondiale contre le travail des enfants », qui se déroule de janvier à juin 1998, est reçue par les autorités des 98 Etats traversés. Des enfants du monde entier prennent part à cette mobilisation d’envergure, sous le slogan « de l’exploitation à l’éducation ». Ils s’adressent directement aux délégués de la Conférence Internationale du Travail pour plaider leur cause et utilisent cette marche pour renforcer la pression sur les gouvernements et sensibiliser les opinions publiques. Soutenue par 800 organisations non gouvernementales, associations et syndicats, cette marche a eu des retentissements. La prise de conscience qui en a suivie a débouché sur l’élaboration de la « Convention sur les pires formes de travail humain » (convention n° 182), adoptée par l’Organisation Internationale du Travail en 1999 et ratifiée par plus de 90 % des Etats membres, elle vise à faire respecter les droits des enfants.
Les derniers bilans de l’OIT font état d’avancements « très positifs ». Ainsi, 88 pays se sont engagés depuis 1992 dans le Programme international pour l’abolition du travail des enfants (IPEC) et depuis 1998, environ 1 million d’enfants ont été soustraits de leur travail. L’objectif de ce programme est d’abolir progressivement le travail des enfants dans le monde entier, en responsabilisant les Etats et en les appuyant dans leurs efforts pour combattre ce fléau. Les principales exigences de ce programme sont de :
- traiter en priorité les pires formes du travail des enfants
- venir en aide aux catégories les plus vulnérables, notamment les filles
- reconnaître que si la pauvreté est une cause, elle n’est pas une excuse
- inscrire la question du travail des enfants dans les cadres mondiaux
- donner la priorité à l’Afrique.
- Interpeler les multinationales
Mobilisation des ONG : campagnes internationales et mobilisations locales
Les campagnes d’opinion cherchent à instaurer de nouvelles exigences dans les modes de production des multinationales et procèdent ainsi à une sorte de surveillance des entreprises. Depuis une dizaine d’années, de nombreuses campagnes internationales ont dénoncé les modes de production des principales marques de sport, notamment en observant les conditions de travail dans les sweatshops, les ateliers de la sueur. Une pression particulière s’est établie sur les sponsors olympiques. Les ONG locales dénoncent les conditions dans les petits ateliers, avec des actions aux formes multiples, pouvant passer par la libération par la force des enfants travailleurs. Elles peuvent porter plainte en justice pour obtenir des décisions contraignant les gouvernements. En 2006, l’ONG Bachpan Bachao Andolan (BBA), qui exigeait la libération des 50 000 enfants prisonniers des usines illégales de broderie à Delhi, a décidé que le gouvernement devait mettre en place un plan d’action pour libérer et réinsérer les enfants contraints au travail.
D’autres formes de sensibilisation apparaissent comme « l’activisme actionnarial » : certaines ONG font de l’entrisme afin de convaincre les assemblées générales des entreprises qu’une mauvaise image de leur société peut être dommageable. Dans le textile, ce discours des ONG fait l’objet de toutes les attentions : les multinationales ont effectivement une puissance symbolique, parce qu’elles vendent des styles de vie à travers leurs marques. Elles sont donc très sensibles à leur réputation et n’hésitent pas à concevoir des codes de conduite quand elles sentent que leur image se ternit.
Codes de conduite, labels, boycott : armes efficaces ou pernicieuses ?
Depuis quelques années, des mouvements de consommateurs, de travailleurs, d’écologistes ont poussé les entreprises à adopter des codes de conduite ou à labelliser leurs produits. L’instauration de labels sociaux ou environnementaux sur certains produits (banane, cacao, tabac…) est un gage de respect du droit des travailleurs ou de préservation de la planète. Ce peut donc être également un moyen de prendre position contre l’exploitation des enfants. En impliquant tous les acteurs de la chaîne, afin de contraindre exportateurs et fournisseurs à interdire le travail des enfants, le label garantit un produit socialement responsable, plus éthique car fabriqué dans des conditions décentes et sans avoir recours au travail des enfants.
Suite aux interpellations de la société civile, et notamment des ONG, les entreprises ont également défini des codes de conduite ou chartes de principes qui témoignent des mesures sociales ou environnementales qu’elles entendent appliquer dans leur propre fonctionnement.
Cependant, ces formes de lutte présentent des limites. En premier lieu du fait que sanctions, boycott ou labels ne concernent que l’industrie d’exportation (5 % de la main d’œuvre enfantine) alors que la majorité des enfants travailleurs se consacrent à des tâches domestiques). Ensuite, des actions de boycott de produits importés fabriqués par des enfants peuvent parfois déplacer le problème : que deviennent les enfants qui perdent l’opportunité d’un emploi dans ce secteur ? En 1993, les sanctions lancées par la loi Harkin du Congrès américain, qui interdisait l’importation de marchandises produites par des enfants aux Etats-Unis, ont eu un résultat désastreux. En particulier au Bangladesh, où 50 000 enfants qui travaillaient dans le textile ont été soustraits de leurs emplois et contraints à trouver des travaux plus dangereux…
Enfin, concernant les codes de conduite et les labels, ils ne sont pas non plus exempts de critiques. Elaborés la plupart du temps par les entreprises elles-mêmes, ces codes et chartes de bonne conduite ne sont pas assortis de mesures contraignantes pour les faire respecter. Bien souvent, ces codes sont utilisés comme des instruments de marketing et ont peu d’impact sur le comportement réel des entreprises et sur le progrès social.
Renforcer l’éducation
Le droit à l’éducation est un droit fondamental
« L’éducation est la bonne réponse au travail des enfants ». C’est le constat observé par la campagne actuelle de l’OIT. Mais pour de nombreux pays du Sud, cette possibilité de scolarisation obligatoire reste abstraite. D’une part, par manque de moyens : il manquerait actuellement plus de18 millions d’instituteurs dans le monde. D’autre part, parce que pour nombre de familles, l’éducation reste un investissement considérable, hors de portée des ressources du foyer.
Mais de nombreux gouvernements et sociétés civiles ont pris conscience de la nécessaire revalorisation de l’éducation, comme moyen de faire reculer la pauvreté et de contribuer au développement. Des initiatives concernant les infrastructures, la qualité de l’enseignement, la fourniture des repas, des vêtements, des bourses d’études… mobilisent actuellement la plupart des pays.
Au Brésil, par exemple, le programme d’éradication du travail des enfants « Bolsa Escola », mis en place par le ministère de l’assistance sociale, a distribué des sommes mensuelles aux familles en échange du retour des enfants de 6 à 14 ans à l’école. Un autre programme, « Jeunes Agents », consiste à verser directement une sorte d’allocation aux jeunes de 15 à 17 ans de familles pauvres, lorsqu’ils sont scolarisés ou qu’ils participent à des activités communautaires. En 2002, 40 000 adolescents brésiliens ont participé à ce programme.
Travail des enfants : abolitionnistes et antiabolitionnistes ? Perspectives et principes de réalité
Après la prise de conscience des années 90, des positions affirmées divisent les acteurs de la lutte contre le travail des enfants. Certains militent pour une éradication totale du travail des enfants par leur scolarisation obligatoire et effective. C’était la direction prise par les grandes organisations internationales et syndicales. Mais les pratiques ont semé le doute sur la possibilité d’atteindre ce but parce qu’actuellement, le nombre d’enfants non scolarisés reste impressionnant ; d’autre part, parce que le boycott ou la législation coercitive ont une portée limitée.
Une position plus pragmatique s’est développée au cours des dernières années, aux côtés des syndicats d’enfants et des enfants travailleurs eux-mêmes, soutenus par des ONG et des travailleurs sociaux. Ce courant de pensée dénonce toute forme d’exploitation des enfants et s’oppose à l’interdiction totale du travail des enfants. Il fait valoir que ces enfants revendiquent un travail décent, réglementé, et que leur objectif étant soit d’apporter un revenu à leur famille, soit de s’émanciper, en cas de violence familiale ou d’abandon, ils refusent d’être considérés comme des victimes.
Ces associations d’enfants travailleurs sont nées dans les années 1975 -1985 en Amérique latine et ont servi d’exemple en Afrique et en Inde. Leur but est de joindre au travail une possibilité de scolarisation et de formation. En 1996, la déclaration de Kundapur (Inde) récapitule les revendications des enfants travailleurs : la reconnaissance de leurs difficultés mais aussi leurs propositions en tant que mouvement qui se constitue, leur volonté d’exercer un travail dans des conditions décentes et sécurisées, de bénéficier de formations professionnelles, de recevoir un enseignement adapté à leur situation et à leurs horaires. Ils réclament surtout, une prise de position des Etats et des institutions internationales sur les causes de leur exploitation à savoir en premier lieu, la pauvreté et les inégalités.
Autoriser le travail… en l’adaptant aux réalités locales
Un exemple : Manthoc - Pérou
Créée en 1976 à Lima, au Pérou, l’association Manthoc est l’un des mouvements pionniers d’adolescents et d’enfants travailleurs. En 2006, l’association comprenait 3500 membres actifs. En combinant programmes de travail et programmes d’éducation, Manthoc permet aux enfants de suivre une scolarité tout en travaillant, avec un cadre de travail réglementé notamment au niveau des horaires (en général, quatre heures par jour).
Pour améliorer les conditions de vie des enfants travailleurs, Manthoc a développé de multiples activités qui leur profitent directement : offre de formations qualifiantes ; soutien technique et financier pour aider les jeunes à intégrer le marché du travail ; création de micro-entreprises solidaires où travaillent ces jeunes et qui sont parfois même autogérées par eux ; achat d’habitats solidaire mis en location et gérés par les jeunes travailleurs… L’association fait ainsi partie du Réseau péruvien de commerce équitable et des mouvements de tourisme solidaire du Pérou.
Des foyers ont également été mis en place pour accueillir les jeunes, et veiller à leur développement, en leur fournissant les nécessités de base, une écoute, un cadre collectif épanouissant pour la vie personnelle et professionnelle.
Manthoc dispense aussi une éducation, basée sur une pédagogie de justice sociale, d’équité, de paix, de respect des hommes et de la planète. Cette école allie savoirs intellectuels et manuels, s’inspirant des principes d’économie solidaire et conforte ses élèves dans leur position de citoyens actifs, capables d’influer sur les politiques publiques.