Les enfants au travail

Panorama du travail et de l’exploitation des enfants dans le monde

, par CIDES

Le travail des enfants reste un phénomène mondial qui touche toutes les régions du globe. Les principaux chiffres qui émanent des grandes organisations internationales sont des extrapolations faites à partir d’observations de terrain et d’enquêtes auprès des ménages :
Dans le monde, 152 millions d’enfants âgé·es de 5 à 17 ans sont astreint·es au travail. Près de la moitié (72,5 millions) effectuent un travail dangereux qui met en danger leur santé, leur sécurité ou leur développement moral.
Un·e enfant sur cinq en Afrique est astreint·e au travail, ce qui en fait la région où le risque de travail des enfants est le plus élevé.
La moitié des enfants concerné·es vivent dans des pays à revenus faibles et intermédiaires.
Le problème est plus courant dans les pays vivant un conflit et une catastrophe.
Certains enfants travaillent 43 heures par semaine. Selon les estimations, les garçons astreints au travail sont plus nombreux que les filles, mais ces chiffres ne couvrent pas les tâches ménagères.

  • 70 % des enfants qui travaillent participent aux activités agricoles, principalement dans l’agriculture de subsistance et commerciale et la garde de bétail,
  • Un tiers des enfants qui travaillent sont complètement hors du système d’éducation, et celleux qui vont à l’école ont de mauvais résultats [1].

Les différentes sources ne concordent pas toujours car elles ne prennent pas en compte les mêmes données (âge ou type d’activité). Par ailleurs, il est difficile de mesurer l’ampleur du travail infantile quand il se confond avec le travail des adultes ou qu’il se déroule dans le domaine familial, ainsi que d’évaluer les activités illégales ou de connaître les chiffres de pays fermés aux organisations. Des millions d’enfants sont devenu·es « pratiquement invisibles » aux yeux de la communauté internationale et n’apparaissent pas dans les statistiques. Ce sont des enfants sans identité officielle mais aussi des enfants orphelin·es qui vivent dans la rue, des enfants marié·es avant l’âge légal, des enfants exploité·es à l’abri des regards.

En 2019, selon l’UNICEF, 166 millions d’enfants de moins de 5 ans dans le monde n’étaient pas enregistré·es à la naissance et 237 millions - soit un tiers des enfants dans cette catégorie d’âge - ne disposaient pas d’un acte de naissance.

Quelques exemples de secteurs qui embauchent massivement de la main d’œuvre enfantine

L’agriculture
70 % des enfants qui travaillent dans le monde participent aux activités agricoles, souvent dans le cadre du travail familial. Outre le fait qu’elles ne leur permettent pas de suivre une scolarité, ces activités présentent de plus en plus de dangers pour leur santé (machines dangereuses, nuisance des pesticides, etc.).

Les mines et les carrières
Petites mines et carrières font partie d’un secteur artisanal qui emploie des familles entières et concernerait un million d’enfants de 5 à 17 ans. En Amérique latine, dans les Andes, ces enfants font fréquemment vivre le reste de la famille. Leur petite taille leur permet d’atteindre des zones qui ne sont pas accessibles aux adultes et donc particulièrement dangereuses.
Le dernier rapport du Bureau international du travail (BIT) concernant ce domaine d’activité est alarmant : les enfants y sont exposé·es aux poussières, subissent des horaires excessifs et sont constamment exposé·es aux dangers des machines, des explosifs, du mercure.

Le secteur informel et les enfants des rues
Le secteur informel concerne les activités qui s’effectuent en marge du marché du travail classique, hors de la réglementation publique. Elles échappent donc au regard des gouvernements et des syndicats. Ce secteur toucherait 500 millions de personnes dans le monde et a beaucoup grossi dans les villes, à cause de la désertion des régions rurales. Beaucoup de personnes et d’enfants ont aujourd’hui recours à ce type d’activités précaires pour assurer leur survie : vente ambulante, cirage de chaussures, lavage de vitres, collecte de déchets à revendre…
Les « enfants en situation de rue » constituent une population particulièrement vulnérable, mais leur nombre est difficile à estimer, les situations recouvertes par ce terme étant d’ailleurs diverses : enfants qui travaillent dans la rue tout en ayant une famille et un domicile ou enfants en rupture avec leur milieu familial pour cause de pauvreté, maltraitance, guerre, etc. Iels sont victimes de malnutrition et de maladies, parfois toxicomanes, privé·es d’éducation, confronté·es à de multiples formes de violence, d’abus et de discriminations.

Les ateliers de misère ou « sweatshops » (ateliers de la sueur)
Les petits ateliers, dont l’objectif est de produire à des prix les plus bas possibles, sont de gros employeurs d’enfants dans la confection, la fabrication de tapis, la taille de diamants, la fabrication du verre…
Dans ces ateliers, les conditions de travail ont été souvent dénoncées, à juste titre, comme une forme d’esclavage : horaires de travail à rallonge, clandestinité, faible rémunération…

Les pires formes d’exploitation des enfants et risques encourus

Il s’agit de diverses formes d’esclavage, c’est-à-dire la mainmise d’un « propriétaire » sur un individu qu’il considère comme sa « marchandise » et donc corvéable à merci. Différentes formes de travail esclavagiste subsistent actuellement et concernent 8 à 9 millions d’enfants dans le monde, victimes notamment en Inde des formes traditionnelles de l’esclavage de castes, en Afrique et dans certains pays du golfe Persique, en Asie et dans certaines régions d’Amérique latine, de la servitude pour dettes ou encore de la vente d’enfants. D’autres formes plus contemporaines concernent la servitude domestique, la prostitution forcée, le travail clandestin. L’esclavage domestique existe sur tous les continents.

La misère fait perdurer ces systèmes esclavagistes, les enfants devant travailler pour rembourser une dette familiale se transmettant de génération en génération. D’autres, placé·es comme domestiques dans des familles en ville, se retrouvent sans droits et souvent maltraité·es.
Les cas les plus connus sont les « petites bonnes du Bénin » ou les « restavec » d’Haïti. Dans le cas d’Haïti, il y aurait 400 000 enfants réduit·es en esclavage par leur famille d’accueil (UNICEF).

Un autre phénomène de servitude extrême concerne les migrant·es, dont de nombreux·ses enfants sont victimes de réseaux de trafiquants qui assurent le passage des frontières : le trafic d’enfants entre le Mali et la Côte d’Ivoire, le travail forcé dans les plantations au Brésil, les réseaux de mendicité organisée en Europe en sont autant d’exemples [2].

Enfin, la traite d’enfants est une réalité qui s’amplifie : des bandes criminelles exportent chaque année des milliers d’enfants d’un pays à l’autre pour les faire travailler dans les plantations, dans des usines, dans les rues ou comme domestiques, ou encore dans des réseaux d’exploitation sexuelle, en prétextant que ces travaux servent à rembourser le prix de leur voyage. Un million d’enfants seraient victimes de ces pratiques opaques.

La prostitution

L’OIT estime que plus de 3 millions d’enfants seraient astreints au travail forcé, dont près de la moitié victimes d’exploitation sexuelle commerciale, mais ces chiffres ne représenteraient que la partie émergée de l’iceberg [3].
En cause : la pauvreté de certaines familles contraintes de vendre leur enfant et les réseaux internationaux qui profitent de la misère humaine, d’enfants qui vivent dans les rues ou dans des conditions extrêmement précaires, pour faire de l’argent, face à une demande qui ne faiblit pas. C’est le cas des enfants « confié·es » en Afrique ou des enfants des pays d’Europe de l’Est. Des millions d’enfants sont ainsi exploité·es dans l’industrie du sexe à des fins commerciales. Le développement du tourisme sexuel a contribué à amplifier considérablement ce fléau.

Ces enfants subissent viols, maladies, mauvais traitements et sont souvent infecté·es par le VIH.
Le développement des réseaux sociaux a favorisé l’apparition d’une cyberprostitution (qui, contrairement au racolage de rue, est difficilement repérable) dont les mineur·es et les jeunes majeur·es sont les premières victimes. En Europe, cette exploitation concerne aussi bien des mineur·es isolé·es fuyant les régions en crise, que des jeunes lycéennes réduites en esclavage sexuel après avoir été séduites par un faux profil [4].

Internet a également suscité une autre forme d’exploitation, la « pédopornographie », dont la progression est difficile à combattre, et l’ampleur très compliquée à mesurer.
La pandémie de Covid, avec l’arrêt du tourisme (et donc du tourisme sexuel) a donné naissance à une nouvelle forme de pédopornographie : le « live streaming ». Par l’intermédiaire des réseaux sociaux, des Européens commanditent des viols sur mineur·es qu’ils regardent en direct. Ce fléau est particulièrement répandu aux Philippines, mais sévit également au Brésil, au Mexique ou en Inde. Les sévices sont majoritairement commis au sein même des familles, et donc difficiles à détecter, et les structures d’accueil des petites victimes sont insuffisantes [5].

Les enfants soldats

Le recrutement d’enfants pour participer à des conflits armés est une réalité « massive et mondiale » selon l’UNICEF. Ce phénomène des enfants soldats toucherait 300 000 enfants et adolescent·es à travers le monde en 2022 [6].
Ces enfants font partie d’une tactique de guerre : ce sont des soldats au rabais, pas chers à équiper, à nourrir et, surtout, ils sont dociles, impressionnables et sensibles à l’autorité.
Ce recrutement massif est aussi lié au commerce des armes légères qui peuvent être maniées par des enfants.
Les guerres civiles poussent parfois les enfants à s’engager dans ces conflits : ce peut être un engagement volontaire, pour fuir la misère accrue par la guerre, par recherche de sécurité, pour des raisons d’identité de groupe ou par vengeance pour la mort d’un proche mais, le plus souvent, l’enrôlement est contraint et violent, notamment par le rapt. « On ne naît pas violent, on le devient. C’est si facile pour un enfant de devenir soldat  », déclarait Ishmael Beah, ancien enfant soldat en Sierra Leone.

Dans les zones de combat, les enfants enrôlé·es peuvent avoir de multiples fonctions : combattant·es, espion·nes, démineur·ses, messager·ères, cuisinier·ères, mais aussi parfois esclaves sexuel·les. Maltraité·es et contraint·es de commettre des atrocités, ces enfants subissent des préjudices moraux, physiques et psychologiques extrêmement graves.
Leur réinsertion dans la société pose de gros problèmes aux pays pauvres : à cause du manque d’écoles, des traumatismes subis, du rejet qu’iels provoquent, de l’apathie et de l’alcoolisme où iels sont plongé·es, ces enfants n’ont plus les capacités de se projeter dans un avenir, proche ou lointain.
D’ancien·nes enfants soldats du Sud-Soudan n’ont ainsi jamais été réinséré·es.
En 2007, une conférence internationale organisée par les autorités françaises et l’UNICEF a conduit à la signature des « Engagements de Paris », où 58 États se sont engagés à « lutter contre l’impunité, enquêter et poursuivre d’une manière effective les personnes qui ont illégalement recruté des enfants de moins de 18 ans dans des groupes ou des forces armées ».

En Colombie, la Juridiction spéciale de paix (JEP), tribunal établi pour juger les crimes commis pendant les cinq décennies de guerre civile, enquête sur plus de 18 600 cas de recrutement d’enfants soldats. Le tribunal a prononcé en mars 2023 des inculpations contre dix anciens guérilleros, pour le recrutement de mineur·es par les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) [7].

État des lieux dans les pays du Nord

Le travail des enfants n’a pas la même ampleur dans les pays du Sud que dans les pays occidentaux où, à cause de son illégalité, elle s’effectue loin des caméras et où elle a tendance à être minorée.

En Europe, des millions d’enfants sont au travail dans le commerce, l’industrie, le tourisme...
Les réalités sont diverses : de la tradition du « job » ou petit boulot, qui permet au jeune de se faire de l’argent de poche en dehors de ses heures de classe, au travail domestique ou familial à plein temps, pour compléter les revenus familiaux, il y a un gouffre important.

Au Royaume-Uni, l’un des pays où la législation sur le travail des enfants est intervenue le plus tôt, on compte plus de 2 millions d’enfants qui travaillent régulièrement. 36 % des écolier·ères seraient au travail avant 7 heures du matin ou après 19 heures le soir (chiffres du Trade Union Congress). Ce sont surtout les enfants de parents pauvres, notamment de parents immigré·es, qui travaillent dans les bars, des boutiques, des entreprises de nettoyage ou chez des particuliers, en dehors des heures de classe, pour offrir un complément de revenu à leur famille. Comme dans les pays en développement, les employeur·ses en profitent pour exploiter cette main d’œuvre malléable en les payant très peu, en allongeant leurs horaires de travail, en leur faisant prendre des risques qui conduisent bien souvent à des accidents du travail…

Aux États-Unis, le travail des enfants n’a jamais été complètement aboli ; par exemple environ 500 000 enfants de 12 à 17 ans travaillent dans l’agriculture, notamment dans les grandes exploitations de fruits et légumes des États du Sud (Floride, Californie, Texas…). La majorité d’entre elleux ne sont pas scolarisé·es. Beaucoup sont des enfants de migrant·es ou issu·es des groupes ethniques minoritaires (minorités noires et hispaniques). Ces enfants réalisent des tâches qui les exposent à des dangers certains, qu’il s’agisse de blessures liées au maniement des outils ou au contact avec les pesticides.

Selon l’Economic Policy Institute (EPI), dix États ont examiné en 2020 et 2021 des projets de loi visant à assouplir les restrictions sur le travail des enfants aux États-Unis (élargissement des types d’emplois, autorisation du travail de nuit…). Et le nombre de mineur·es impliqué·es dans des violations de la législation sur le travail des enfants est passé de 1 012 à 3 876 entre 2015 et 2022, soit une augmentation de 400 % [8].

Au Québec, où il n’y avait pas jusqu’à présent de limite d’âge pour travailler, le taux d’emploi des mineur·es dépasse 51 %. Un projet de loi a été déposé en mars 2023 pour fixer à 14 ans l’âge minimal pour occuper un emploi, et à 17 heures le nombre maximal d’heures hebdomadaires de travail rémunéré qu’un enfant de plus de 14 ans pourra effectuer (dont 10 heures pendant les jours de semaine où il est à l’école).

En France, la législation autorise le travail des enfants selon des conditions très encadrées, entre 14 et 16 ans - combiné à un cursus scolaire ou une formation - pour quelques cas bien spécifiques : l’apprentissage et l’insertion dans la vie professionnelle (contrats d’apprentissage, en alternance…), les travaux légers pendant les vacances d’été ou l’entraide familiale. Mais les cas de non-respect de ce cadre légal sont nombreux. En 2023, selon la défenseure des droits, plus de 100 000 enfants ne sont pas scolarisé·es, vivant dans des bidonvilles, notamment dans les départements d’Outre-mer, des hôtels sociaux ou membres de la communauté des gens du voyage. Les migrant·es non accompagné·es de moins de 18 ans sont particulièrement menacé·es, contraint·es souvent à la mendicité, au trafic de drogue ou au vol à la tire. Des mineur·es sous-louent également des comptes sur les plateformes (Deliveroo, Uber…) pour être livreur·ses.

Il existe aussi de nouvelles formes d’exploitation des enfants, sur les réseaux sociaux, par des parents « influenceurs ». Une loi a été votée en 2020 pour encadrer les horaires et les revenus des mineur·es dont l’image est diffusée sur les plateformes : le but est notamment d’éviter que le temps consacré à la réalisation des vidéos n’empiète sur le temps de repos, de loisirs et de devoirs des enfants. La loi exige également qu’une partie des revenus générés par cette activité soit placée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) jusqu’à la majorité de l’enfant.