Aujourd’hui, l’Afrique du Sud (RSA) est une véritable démocratie avec séparation des pouvoirs et décentralisation. Première puissance militaire, économique et politique d’Afrique, elle représente plus de 40% de la richesse africaine et semble faire exception à la pauvreté généralisée. Premier partenaire commercial de la France en Afrique, parmi les premiers producteurs au monde de platine, d’or, de vanadium et de chrome, l’Afrique du Sud est un gros exportateur minier et son économie est très dynamique.
Selon l’OCDE, l’Afrique du Sud a vu son PIB par habitant croître d’environ 20% en 7 ans. De 1999 à 2007, la croissance économique était continue, avec un taux moyen situé à 4% et un point culminant à 5,4% en 2006. De plus, les déficits budgétaires et la dette ont été réduits. Enfin, les entrées de capitaux étrangers avaient progressé de 111% en 2008, notamment dans le secteur automobile dont la RSA (République Sud-Africaine) avait fait, avant la crise, un axe stratégique de sa politique économique.
Pour la toute jeune classe moyenne noire, ce n’est pas seulement une réussite mais une revanche sur le passé. Même le township de Soweto est en pleine mutation : des lotissements cossus y font leur apparition et le centre commercial qui y a été érigé il y a trois ans est l’un des plus grands d’Afrique.
Grâce au BEE (politique gouvernementale du Black Economic Empowerment), des Noirs ont pu accéder à des capitaux et à des postes stratégiques au sein de l’Etat ou dans le monde des affaires, dont ils étaient auparavant privés. Les membres de cette élite, surnommés les « Black Diamonds », témoignent que célébrité et argent ont enfin su mélanger Noirs et Blancs.
Résolument inscrite dans la mondialisation, l’Afrique du Sud affiche « la stabilité d’un pays développé avec le dynamisme d’un pays émergent » (site de promotion de l’économie sud-africaine : http://southafrica.info). C’est LA grande puissance continentale, celle qui concentre le plus de richesses et d’activités. Pas étonnant que la Communauté européenne la considère comme « le grand frère africain », d’une importance énorme pour le développement de l’ensemble de la sous-région d’Afrique australe (Lodewijk Briët, ambassadeur de l’Union européenne auprès de l’Afrique du Sud, in Le Courrier, mars-avril 2010, p. 47).
Avec un tel palmarès, l’Afrique du Sud fait figure d’eldorado du Sud et attire la convoitise de nombreux migrants. Aujourd’hui, une part difficile à chiffrer parmi les millions de migrants chassés par les conflits du continent africain converge vers la RSA.
Depuis 10 ans, la politique dramatique de Robert Mugabe au Zimbabwe a conduit près de 3 millions de personnes à s’installer en Afrique du Sud. Il faut dire que le pays jouit d’une politique en matière de droit d’asile que l’on rencontre dans très peu d’autres pays du monde. Après la proclamation de la nation « arc-en-ciel » en 1994, les traités internationaux sur les migrants et les demandeurs d’asile ont été transposés dans la constitution dont un article est particulièrement favorable aux réfugiés. Ainsi, un réfugié, dans l’attente de la réponse à sa demande d’asile, a accès pendant deux ans à tous les services publics et au droit au travail. Bien entendu, dans la pratique, les choses sont moins idylliques. Ainsi, il n’existe que cinq centres de traitement des demandes d’asile pour neuf provinces. En 2007, à peine 13% des dossiers avaient été traités. La procédure qui, théoriquement dure six mois, peut parfois atteindre 10 ans !
Si le phénomène migratoire est ancien, beaucoup de Sud-Africains pensent cependant qu’il date de 1994 et l’afflux de réfugiés des pays voisins n’est pas sans inquiéter la population dans son ensemble. Depuis les émeutes de 2008, violences et effusions de sang dans les townships se succèdent, alors que l’évêque Paul Verryn, responsable de l’église méthodiste de Johannesbourg et fervent défenseur des réfugiés, exhorte son pays à ouvrir ses frontières, comme, dit-il, « l’Afrique du Sud a un jour ouvert ses frontières intérieures » (Cité dans Le Courrier, mars-avril 2010, p. 44).
Quelques ombres au tableau...
D’un point de vue économique, l’horizon s’est noirci depuis 2012. Le rand sud-africain (ZAR) a perdu 20 % de sa valeur sur l’année 2013. La dette intérieure de l’État a augmenté à 42.5 % du produit intérieur brut (PIB) sur l’exercice 2012/13, alors qu’elle était de 36.2 % deux ans plus tôt. Outre la hausse plus rapide des importations par rapport à celle des ventes, l’alourdissement de la facture énergétique, lié à l’augmentation des importations d’hydrocarbures et à la hausse du cours du pétrole, a joué un rôle substantiel dans l’accroissement du déficit (les produits et dérivés pétroliers représentaient en 2012 le second poste d’importations du pays, soit 22,7 % des achats totaux).
De plus, l’Afrique du Sud est de nouveau confrontée à une recrudescence des violences aux personnes. Pour la première fois depuis 2006, le nombre de meurtres —en baisse moyenne de plus de 27% de 2003 à 2012— a augmenté de 0,6% sur l’année 2012-13 avec près de 45 meurtres par jour.
Le bilan des différents gouvernements qui se sont succédés ces vingt dernières années doit aussi être quelque peu nuancé. L’échec de la politique d’éducation (24% des adultes âgés de plus de 15 ans sont illettrés), la non reconnaissance de la priorité de la lutte contre le SIDA, l’extrême violence qui fait de l’Afrique du Sud le second pays en terme de crimes après la Colombie, sont autant d’aspects moins positifs du bilan de l’ANC qu’il est difficile d’ignorer.
De même, l’ANC ne peut plus se permettre de se reposer uniquement sur sa réussite des années 1990. Sur le plan politique, le parti est divisé et n’a plus la même légitimité qu’à la sortie de l’apartheid. Pire, certains, comme Richard Pithouse, estiment qu’il est tellement corrompu et a tellement dégénéré qu’il est devenu aujourd’hui « un danger pour l’intégrité de la société ».
Mouvement engagé dans la libération nationale, l’ANC serait devenu un « moyen pour l’avancement personnel » (Pithouse Richard, Afrique du Sud, la dégénérescence de l’ANC, CETRI), récompensant les anciens de la lutte devenus managers, chefs d’entreprise, dorénavant davantage préoccupés par leurs intérêts privés que par l’intérêt du peuple. Le BEE ne s’est finalement adressé qu’à une minorité influente, souvent issue de l’ANC.
Compromis dans des ventes d’armes et autres pratiques douteuses, le parti de Mandela ne s’est illustré dernièrement que par l’accroissement d’une « élite prédatrice » qui a remplacé la justice sociale au profit d’une stratégie minimaliste visant à contenir les aspirations populaires en satisfaisant leurs besoins élémentaires de survie plutôt que de « favoriser un épanouissement humain universel » (Ibid.).
Surtout, le système de clientélisme et de patronage par lequel l’ANC cimente le soutien politique au niveau local a biaisé les projets de développement qui ne visent souvent qu’à consolider des alliances à la base des structures du parti. Sans réelle vision politique, le parti ne fait que garantir « des droits politiques libéraux à la classe moyenne cependant qu’on coupe court aux droits politiques fondamentaux des pauvres » (Ibid.).