Autoritarisme, corruption et plus du même style : le Liban a un nouveau gouvernement

, par OpenDemocracy , EL HOURI Walid

Le défi que les nouveaux ministres du pays devront affronter est énorme, mais à première vue, il semble peu possible qu’ils apportent de véritables solutions.

Paysage post-explosion du 4 août 2020 à Beirut. Sur un mur urbain, un graffiti déclare : "C’est mon gouvernement qui a fait ça". Crédit : Gregor Enste (Heinrich-Böll-Stiftung) (CC BY-SA 2.0)

Les propos du nouveau ministre de l’information libanais, George Kordahi, un présentateur de télévision et admirateur tant du dictateur syrien Bashar al-Assad que du prince royal saudi Mohammed Bin Salman, n’annoncent rien de bon pour les journalistes libanais·es.

Lors de sa première déclaration publique depuis sa nomination à la tête du ministère qui encadre les médias du pays, il a déclaré qu’il « souhaitait que les médias libanais s’abstiennent de recevoir des invités qui décrivent le pays comme se dirigeant vers un effondrement ».

Le nouveau ministre a des projets pour le secteur des médias libanais. Et à en juger par ses déclarations sexistes et racistes antérieures, ceux-ci ne concerneront pas la lutte contre le harcèlement ou la discrimination. Son projet est de créer un comité pour superviser ce qui est diffusé et publié dans les médias.

Il ne censurera pas les médias, explique-t-il, mais il attend des médias qu’ils s’autocensurent.

Les paroles de celui qui est plus connu comme l’hôte de la version arabe de « Qui veut devenir un millionnaire » ne sont pas vraiment une surprise, mais plutôt un avertissement. Le Liban n’est pas seulement en chute libre financièrement, il a subi une réduction sévère de la liberté d’expression ces deux dernières années.

Des journalistes et des activistes ont subi une répression judiciaire et extrajudiciaire et des manifestant·s ont régulièrement subi des violences de la part d’agents de l’État et de milices liées aux partis au pouvoir.

Kordahi n’est qu’un des acteurs douteux parmi les nouveaux visages du nouveau gouvernement libanais. Les défis qu’ils devront affronter sont énormes ‒ et à première vue, il semble incertain qu’ils puissent apporter de véritables solutions.

Un nouveau Premier Ministre

Le nouveau gouvernement libanais a été formé plus d’un an après la démission de Premier ministre Hassan Diab. Durant la période intermédiaire, l’État a dépensé 10,4 milliards de dollars sans aucun projet clair. La démission de Diab a eu lieu juste après la gigantesque explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui a détruit des pans entiers de la capitale, tué 218 personnes et en a blessé 7.000, dont 150 qui s’en sont sorties avec un handicap physique. L’explosion « a provoqué d’importants dommages psychologiques » et déplacé plus de 300.000 personnes, selon Human Rights Watch.

Depuis, l’institution responsable des échecs, négligences et corruptions qui ont provoqué la détonation de tonnes de nitrate d’ammonium stockés dans des entrepôts délabrés au côté de feux d’artifice au beau milieu d’une zone résidentielle, a activement bloqué une enquête sur ce crime. Récemment, un Projet d’enquête sur le crime organisé et la corruption a découvert qu’un réseau de commerce de produits chimiques contrôlé par des Ukrainiens ‒dissimulés derrière un voile de proxys et d’entreprises de façade, certaines d’entre elles au Royaume Uni‒ serait derrière cette cargaison.

Au Liban, les familles des personnes tuées par l’explosion ont été régulièrement attaquées par les forces de sécurité lorsqu’elles exigent la vérité et la justice pour leurs êtres chers.

Après des mois d’hésitation et des milliards de dollars gaspillés sans projet ni supervision, alors que le pays subissait des pénuries de carburant, d’électricité, de médicaments et d’espoir, les acteurs politiques clés se sont mis d’accord pour désigner le milliardaire Najib Mikati comme Premier ministre (PM), chargé de réduire l’effondrement économique.

Mikati n’est pas un inconnu dans le système politique libanais. Il a été deux fois Premier ministre et a été accusé de corruption dans plusieurs opérations financières. En 2019, le procureur de l’État libanais a déposé une plainte contre lui après la dénonciation, dans des médias libanais, de millions de dollars qui auraient été reçus abusivement par Mikati et des membres de sa famille en prêts et subventions de logement. Mikati avait nié les accusations et le dossier avait été abandonné.

Plus récemment, en juillet, la nouvelle compagnie du Premier Ministre, M1 Group, a acheté la filiale birmane de la compagnie norvégienne de telecom, Telenor, après que son propriétaire ait décidé de quitter le pays plutôt que de remettre des données à la junte militaire du Myanmar qui voulait développer une technologie d’interception permettant à ses autorités de pouvoir espionner ses utilisateur·rices.

De nombreuses personnes au Myanmar craignent que M1 accepte de coopérer avec la junte, en particulier depuis que l’entreprise de télécommunication de Mikati a fleuri sous les dictatures au Soudan, en Syrie et au Yémen.

De nouveaux visages

Mikati n’est que la pointe de l’iceberg. Le Liban s’enfonce de plus en plus profondément dans une crise financière, provoquée par ce que certains ont décrit comme un « schéma Ponzi régulé par l’État », dans un pays rongé par la mauvaise gestion et la corruption aux plus hauts échelons de ses autorités financières et de son système banquier.

Le nouveau ministre des Finances, Youssef Khalil, est l’ancien directeur des opérations financières de la Banque centrale libanaise, ce qui signifie qu’il était dans une position de prise de décision dans les politiques financières qui ont conduit à la crise actuelle. La Banque centrale du Liban est sous observation intense depuis que la monnaie locale a entamé sa chute libre fin 2019. Le gouverneur de la banque, Riad Salameh, fait l’objet d’une enquête en Suisse, en France et au Liban pour blanchiment d’argent et détournement de fonds.

Plus récemment, le gouverneur a été arrêté à l’aéroport de Paris parce qu’il transportait 90 000 euros non déclarés dans une valise. Il a déclaré aux enquêteurs « qu’il avait oublié qu’ils étaient là ».

Une autre figure intéressante est Walid Fayad, le nouveau ministre de l’Énergie. Fayad, qui a été chargé de résoudre les incessantes coupures d’électricité, avait été licencié et poursuivi en justice par son ancien employeur, la firme conseil Booz Allen Hamilton, pour « activités illicites et mauvaise conduite ». Fayad a nié toutes ces allégations et l’affaire a ensuite été réglée en marge des tribunaux.

Quant au nouveau ministre des Affaires sociales, Hector Hajjar, il fait face à une situation sociale et économique catastrophique dans un pays où le taux de pauvreté a grimpé à 82 % selon les Nations unies, et les pénuries de nourriture, d’eau, de médicaments, de carburant et d’autres produits quotidiens ont réduit la vie de la plupart des gens à une question de survie.

Et pourtant Hajjar semble proposer des projets non-conventionnels. Dans une interview récente, le ministre a suggéré que les parents qui ont des difficultés pour trouver des couches pour leurs enfants n’avaient qu’à utiliser et réutiliser des serviettes de table. Hajjar a dit « qu’il venait de rentrer de Chine », où « aujourd’hui, les Chinois n’utilisent pas de couches ».

Le ministre semble ignorer les 1,45 millions de tonnes de couches que les Chinois·es utilisent chaque année. Il a aussi omis d’expliquer aux parents libanais·es comment laver les dites serviettes alors qu’il n’y a ni électricité ni eau, et que le prix du savon explose.

Rien de bon

Le nouveau gouvernement ne donne aucun signal de rupture avec l’establishment qui a mis le Liban sur les genoux. Le gouvernement n’a pas encore déclaré de plan concret pour affronter cette crise multi-niveaux. Mais étant donné qu’il représente presque tous les principaux partis qui ont dirigé le pays pendant des décennies, il est peu vraisemblable qu’il mette en place de véritables réformes ou changements face à la corruption et à la mauvaise gestion, jusque-là caractéristiques de la gouvernance du pays.

Cependant, le simple fait que ce gouvernement soit formé après plus d’un an de blocage indique une forme d’accord entre les élites politiques. Et avec divers partis locaux affiliés à différentes puissances externes, que ce soit l’Iran, l’Arabie saoudite, les États-Unis ou la France, tout accord interne est certain de refléter un accord international.

Avant la formation du gouvernement, le Liban avait signé un accord pour recevoir du gaz égyptien via un pipeline qui traverse la Jordanie et la Syrie. Un tel accord était menacé de sanctions états-uniennes par le Caesar Act, qui interdit tout commerce avec le régime syrien. Mais tout semble indiquer qu’il pourrait y avoir une exception.

Quelques mois auparavant, un accord avait été passé entre l’Irak et le Liban : le premier enverrait un million de tonnes de pétrole lourd au second, en échange de marchandises et de services.

Cet accord intervient alors que l’Irak, un des principaux exportateurs de pétrole, souffre lui-même de pénurie sévère. Ceci pose la question des détails de l’accord, en particulier parce que le pétrole lourd fourni par l’Irak ne peut pas être utilisé au Liban mais doit être échangé avec un tiers parti pour du pétrole qui puisse être utilisé par les centrales du pays. Selon le site d’information en ligne Daraj, une source irakienne a affirmé qu’un service possible à fournir en échange du pétrole pourrait être les banquiers libanais. Malheureusement pour l’Irak, le savoir-faire des banques libanaises est probablement ce qui a mené le petit pays au grave effondrement financier, et ne serait que de peu d’utilité à la santé financière de l’Irak.

Un nouvel accord de partage du pouvoir parmi l’élite politique responsable de l’effondrement du pays n’annonce rien de bon pour les habitant·es du Liban, mais ce pourrait être un signe que le pays a touché le fond et qu’il est temps de préparer les prochaines élections générales de mai 2022.

En attendant, pendant que ces accords sont conclus et que les politicien·nes libanais·es fêtent leurs succès creux sur les ruines d’un pays, les gens continuent à faire la queue pour l’essence, les médicaments et la nourriture et, à en juger par les longues files d’attente quotidiennes de personnes demandant leur passeport, il semble que l’espoir s’est envolé.

Lire l’article original en anglais sur le site de OpenDemocracy