Émergence de l’extrême droite et menaces à la démocratie au Brésil

La politique étrangère brésilienne - I

, par GUIMARAES Samuel Pinheiro

Le gouvernement du président Jair Bolsonaro, de son mentor spirituel et politique, le professeur Olavo de Carvalho, de son ministre des Affaires étrangères, Ernesto Araújo, du super ministre Paulo Guedes, économiste ultra-néolibéral, de son éminence grise, le député Eduardo Bolsonaro, est déterminé à réorienter radicalement l’ensemble de la politique extérieure (et intérieure) brésilienne. Cette réorientation passera par un alignement de toute la politique étrangère brésilienne sur la politique du gouvernement de Donald Trump, à commencer par le soutien à Israël.

Selon ces acteurs, la politique des gouvernements brésiliens précédents aurait été idéologique et aurait privilégié les relations avec des gouvernements de « gauche » non démocratiques. De même, elle aurait négligé et harcelé les pays développés, notamment les États-Unis, et aurait impliqué le Brésil dans des dossiers pour lesquels il n’avait aucun intérêt direct ni aucun pouvoir d’influence. Elle aurait aussi porté peu d’attention aux intérêts commerciaux et économiques du Brésil et aurait contrarié et opposé les intérêts états-uniens en Amérique du Sud. Enfin, elle aurait également créé un climat hostile vis-à-vis du capital multinational.

La politique étrangère de Jair Bolsonaro, avec ses excès verbaux, ses attitudes serviles et ses « interprétations » inédites de l’Histoire, reprend la politique de certains gouvernements précédents qui se différencient les uns des autres en fonction des circonstances de l’époque, mais qui avaient pour orientation générale commune de s’aligner sur la politique étrangère états-unienne.

Avec le Président Bolsonaro, le Brésil a désormais non seulement une politique étrangère, mais une politique générale de gouvernement qui cherche à satisfaire par anticipation, et sans la moindre réciprocité, les revendications historiques des États-Unis : réduction de l’État central au minimum, en termes de fonctionnaires et de structures administratives ; transfert de compétences de l’État aux États fédérés et aux municipalités ; privatisation généralisée, déréglementation générale et absence de contrôle sur les entreprises ; ouverture radicale de l’économie et du secteur financier ; réduction de Petrobrás, la plus importante entreprise brésilienne, à une petite entreprise pétrolière non intégrée ; privatisation de toutes les banques publiques ; autonomie de la Banque Centrale ; octroi de la concession de la base militaire d’Alcântara ; destruction des programmes stratégiques, en particulier celui du sous-marin nucléaire ; affaiblissement de la Chancellerie brésilienne en abaissant les niveaux hiérarchiques et en misant sur l’inexpérience.

Aux vues des caractéristiques du Brésil et de ses vulnérabilités, les actions concrètes de politique étrangère devraient toujours s’efforcer de : maintenir les meilleures relations et des relations impartiales avec tous les Etats d’Amérique du Sud ; créer et renforcer un système de sécurité politico-militaire en Amérique du Sud et dans l’Atlantique Sud ; créer et renforcer un système dissuasif de défense nationale ; instaurer des programmes de coopération avec de grands États tels que les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Inde, la France et l’Allemagne ; contribuer activement, discrètement et impartialement, à une solution des crises ; participer activement aux conférences sur les sujets mondiaux tels que l’environnement, la pauvreté, les races, les genres, etc. ; coopérer avec les pays en développement sur des projets de développement, sans imposer de « conditionnalités » ; diversifier son commerce international pour ce qui est des produits, leurs destinations et origines ; ouvrir de nouveaux marchés pour l’activité des entreprises brésiliennes ; promouvoir la révision des mécanismes de décision des organismes internationaux pour obtenir les conditions d’une meilleure participation du Brésil ; conquérir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Or, le gouvernement de Jair Bolsonaro est allé, de front, à l’encontre des actions suggérées ci-dessus.

La participation du Brésil à l’Alliance du Pacifique et du Groupe de Lima, qui s’oppose au Vénézuéla, enfreint les principes d’autodétermination et de non-intervention. La menace militaire que cela représente génère du ressentiment, tout cela dans le but de contenter les États-Unis et leur campagne pour renverser le gouvernement du Vénézuéla.

De même, le Brésil fait la promotion d’une alliance Pro-Sul, unissant des gouvernements de droite, et de la fin de l’UNASUL, se tournant ainsi vers l’OEA, organisation au sein de laquelle l’influence états-unienne est historique.

Bolsonaro a également réduit les fonds alloués aux programmes stratégiques militaires (cybernétique, spatial, nucléaire) tout en promouvant l’exploitation de l’uranium par des entreprises étrangères, la vente de Embraer à Boeing, et assiste au démantèlement du Centre des études de défense, de l’UNASUL, à Quito.

Dans le même sens, la participation discrète du Brésil à des réunions et à des conférences mondiales, où un profil bas est adopté et aucune proposition importante n’est présentée, tient au fait que les Nations Unies sont considérées un instrument néfaste au service d’un soi-disant « mondialisme » et d’ingérence extérieure dans les affaires nationales à travers des actions de « marxisme culturel ».

Le Mercosul quant à lui a été discrédité, le Brésil plaidant pour sa transformation (dissolution) en une zone de libre-échange afin de négocier des accords bilatéraux avec les États-Unis et d’autres pays développés. Le Brésil ne montre pas un grand intérêt à renforcer la coopération avec l’Argentine, alors même que son gouvernement est sympathisant de celui du Brésil, pas plus qu’avec l’Afrique.

Le Brésil s’est délibérément écarté de toute politique de coopération avec les pays en développement, dans le cadre de ce qui s’appelle la Coopération Sud-Sud qui, à son sens, ne lui a apporté aucun bénéfice.

Dans leur gestion, Guedes/Bolsonaro/Araújo ne manifestent aucune préoccupation quant à la perte de l’apport des industries manufacturières au total des exportations, pas plus qu’en ce qui concerne le processus marqué de désindustrialisation — résultat d’une politique monétaire de revalorisation de la monnaie (le Real) et de contrôle de l’inflation — ni même pour ce qui est de la diversification du commerce extérieur.

L’aide à l’internationalisation des entreprises de capital brésilien, en concurrence avec des mégaentreprises multinationales, non seulement en Afrique et en Amérique latine, mais également aux États-Unis et en Europe, a été considérée « criminelle ». Le gouvernement a autorisé la désorganisation et la destruction de grandes entreprises brésiliennes, contrairement d’autres pays où les hommes d’affaires accusés de corruption ont été punis, mais les entreprises sauvées.

La lutte pour la redistribution des quotas et du droit de vote au FMI et à la Banque Mondiale a été abandonnée en raison de l’opposition états-unienne et de la volonté de Bolsonaro de s’aligner inconditionnellement sur les intérêts états-uniens.

Ni le Président Bolsonaro, ni le ministre Araújo n’accordent d’importance à l’objectif historique de politique étrangère brésilienne (ils s’y opposent même), qui consiste à permettre au Brésil d’occuper un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, et à coopérer avec le Japon, l’Allemagne et l’Inde pour y parvenir.

À rebrousse-poil de la « politique » étrangère de Bolsonaro/Araújo — qui semble fondée sur des visions religieuses de lutte entre le Bien et le Mal, entre l’Occident et l’Orient, entre les valeurs chrétiennes et celles des autres (religions ?) et où Trump est le Sauveur de l’Occident — une politique étrangère réaliste pour le Brésil devrait prendre en compte sa situation géographique, les particularités de sa société, de son économie et de son État, tout comme ses points faibles et son potentiel.

Le Brésil se situe en Amérique du Sud, face à l’Atlantique sud et à 23 États d’Afrique occidentale. Sa position est celle-ci, et non toute autre position utopique.

Pour cette raison, il doit mettre au cœur de sa politique étrangère l’Amérique du Sud, l’Atlantique et l’Afrique occidentale, sans limiter pour autant ses intérêts et ses actions à ces régions-là.

L’Amérique centrale et le nord de l’Amérique du Sud, où se trouve le Canal du Panama, passage militaire et commercial vital pour les États-Unis, constituent des domaines d’influence de ce pays, sa zone stratégique la plus importante, et reconnue comme telle depuis sa déclaration par les grandes puissances de l’époque.

L’objectif stratégique permanent états-unien est d’éviter, de façon active et énergique, toute situation d’urgence, dans quelque région du monde que ce soit, de la part d’un pays ou d’une association d’États qui risquerait de défier son hégémonie et son influence politique, militaire et économique.

Cette priorité états-unienne est encore plus aigüe et sensible en ce qui concerne les Caraïbes, l’Amérique centrale et le nord de l’Amérique du Sud, comme le révèlent les déclarations états-uniennes à propos de la présence russe dans ce secteur.

La politique brésilienne en Amérique du Sud (et encore plus en Amérique centrale et dans les Caraïbes) doit, par conséquent, être prudente, mais ferme et active, et éviter de se laisser entraîner et de se conformer aux intérêts hégémoniques des États-Unis, centre de l’impérialisme.

Le Brésil présente d’énormes disparités territoriales, de population, de ressources et de potentiels par rapport à ses dix voisins frontaliers dont le développement, la prospérité, la stabilité et la coopération sont extrêmement importants pour les objectifs nationaux brésiliens.

Les difficultés de nature économique rencontrées par nos voisins peuvent se transformer en instabilité sociale, puis en instabilité politique avec d’éventuels débordements susceptibles d’affecter le Brésil, sous la forme migratoire ou d’actions, y compris armées, de groupes clandestins. Les objectifs nationaux brésiliens, c’est-à-dire ceux de la grande majorité du peuple brésilien et non pas, forcément, des classes hégémoniques et des élites dirigeantes qui gouvernent en son nom, sont d’améliorer le système démocratique, de promouvoir le développement économique, de réduire les injustices sociales et de défendre la souveraineté nationale.

La démocratie brésilienne est fragile et la participation populaire, déclarée souveraine par la Constitution de 1988, est dévoyée dans ses procédures par les intérêts des classes économiques et politiques hégémoniques, par le biais de leurs instruments d’action et de l’élite dirigeante (ministres, hauts-fonctionnaires, politiques, etc.) qui travaille en son nom.

L’influence des intérêts politiques et économiques des Empires et des Puissances sur ces processus politiques, exercée au fil du temps, est et a toujours été considérable. Elle a, le plus souvent, été mise en oeuvre par des agents internes, grâce à leurs liens avec les classes dominantes de l’Empire états-unien.

Le nombre de pays voisins et l’écart entre les dimensions des pays, tout comme les ressentiments historiques hérités du processus de formation du territoire brésilien et les tensions entre les États voisins, qui réémergent aujourd’hui, sont tels que le Brésil doit bien se garder d’interférer dans leurs processus politiques.

Chaque pays voisin a connu une évolution politique, économique et sociale particulière, résultant d’interactions des forces intérieures et extérieures, et ce n’est pas au Brésil de juger leurs bien-fondés ni de prendre parti, sous peine de provoquer des rancœurs inutiles et qui seraient difficiles à surmonter.

Le Brésil (ses élites dirigeantes et ses classes dominantes) prendrait très mal une quelconque ingérence des États voisins dans sa politique intérieure. D’ailleurs, certains groupes agitent régulièrement l’« épouvantail » de l’ingérence (cubaine, vénézuélienne, chinoise) pour plaider en faveur d’actions de politique étrangère. Il est vrai que les classes dominantes brésiliennes (et leur élite dirigeante) ne ressentent pas l’ingérence de l’impérialisme états-unien dans la politique et l’économie brésilienne, justement parce qu’ils sont souvent leur allié.

Toute politique étrangère se doit d’être vigilante vis-à-vis de toute tentative d’ingérence extérieure (lesquelles sont incessantes) dans ses processus de politique intérieure et de toute initiative « multilatérale » en ce sens, afin d’être en mesure de les contrecarrer.