Quand l’espoir cède à la colère : la rue gronde en Iran

Une politique discriminante et répressive envers les minorités

, par AFPICL-BU HDL

L’Iran est une mosaïque ethnique et linguistique qui comprend quatre ensembles principaux :
  les persanophones (Persan·es, Kurdes, Gilaks, Mazanis, Lors, Baloutches, etc.),
  les turcophones (Azéri·es, Turkmènes, Qashqâïs),
  les sémitiques (Arabes, Assyrien·nes)
  les Géorgien·nes, les Arménien·nes [1].

À cet ensemble s’ajoutent les minorités religieuses dans une République islamique où l’islam chiite est la religion d’État. Les religions juive et chrétienne [2] ainsi que le zoroastrisme [3] sont reconnus par la Constitution de la République islamique et ont droit, chacun·e, à un siège ou deux au Parlement iranien. La pratique de ces religions est toutefois limitée par la loi et les libertés de culte sont très restreintes. Le port du foulard est obligatoire même pour les femmes non musulmanes. Le sunnisme est présent dans les minorités ethniques habitant dans les provinces périphériques du pays et dans le sud (Arabes, Baloutches, Kurdes). Les musulman·es sunnites n’ont droit à aucune représentation institutionnelle, à aucun lieu de culte et se sentent marginalisé·es face à un pouvoir qui craint les extrémistes sunnites. Reconnues ou non, les minorités religieuses n’ont pas accès à certains emplois (justice, armée), ni à la présidence de la République réservée aux chiites. Quant au bahaïsme [4], il est interdit et ses pratiquant·es n’ont aucun droit civil ou politique et sont persécuté·es par le pouvoir iranien.

Intérieur du temple sacré zoroastrien, situé à 70 km de Yazd, dans une grotte à Tchakt-Tchakt. Photo : IB (DR)

Les ethnies non persanes ont été marginalisées sous la dynastie Pahlavi (1925-1979) et la République islamique n’a pas dérogé à cette règle. La société iranienne et le pouvoir se sont centrés autour de l’identité perse et chiite alors que les autres groupes ethniques sont victimes d’actes discriminatoires. En matière de pratiques culturelles, ils n’ont pas la possibilité d’enseigner leur langue maternelle dans les écoles et de la pratiquer dans les universités et les médias contrairement à ce que stipule l’article 15 de la Constitution de 1979 [5]. Ils sont également discriminés en matière d’accès au logement, à l’éducation et à l’emploi. La politique territoriale reflète aussi cette discrimination. Les Persan·es occupent majoritairement le plateau central de l’Iran tandis que les autres ethnies sont dans les périphéries. Il s’avère que les provinces périphériques [6] et les petites et moyennes villes où vit une grande partie des groupes minoritaires sont pauvres et peu bénéficiaires d’investissements économiques malgré leur attente d’une meilleure répartition des richesses et d’un juste retour des profits engrangés par les ventes de pétrole et de gaz. Dans ces régions défavorisées, se livrer à la contrebande de marchandises ou au trafic de drogues est un des moyens d’échapper à la pauvreté. Touchées directement par la crise économique, le chômage et la cherté de la vie, les populations issues des minorités ont participé aux manifestations qui ont secoué de nombreuses villes iraniennes, de décembre 2017 à janvier 2018 et en novembre 2019, et qui ont été brutalement réprimées. Elles font partie des victimes dénombrées. La répression est tout autant brutale face aux aspirations autonomistes des Kurdes au nord-ouest de l’Iran ou des Baloutches dans le sud-est ou encore dans la province arabophone de Khouzistan au sud-ouest qui se concrétisent par des violences ou parfois des attaques contre les forces de sécurité de l’État. Le pouvoir iranien justifie ses représailles en présentant les minorités comme un danger pour la sécurité du pays, voire pour son unité car, selon lui, elles sont manipulées par des puissances étrangères (États-Unis, Arabie saoudite, Israël) à la recherche d’une déstabilisation de l’Iran par tous les moyens. Les autorités n’hésitent pas à emprisonner et à condamner celles et ceux qui portent des revendications même de manière pacifique comme le font les militant·es des droits des minorités. Flagellations, amputations, tortures sont de plus en plus appliquées à titre « de sanction judiciaire [7] » sans oublier la peine de mort employée contre des Kurdes, des Arabes et des Baloutches, mais aussi contre les minorités religieuses (sunnites, bahaïs) [8].

Les derniers troubles concernent plus récemment des manifestations d’Azéri·es dans les provinces Nord-Ouest de l’Iran (Erdebil, Azerbaïdjan oriental et Azerbaïdjan occidental) en soutien au gouvernement de l’Azerbaïdjan qui a repris possession d’une grande partie du Haut-Karabakh [9] en novembre 2020, après six semaines de combats. Des dizaines d’arrestations ont eu lieu pendant et après les manifestations [10]. Les provinces citées sont densément peuplées par le groupe ethnique azéri [11]. Les autorités iraniennes se méfient de ses velléités nationales, avivées par les Turc·ques et les Azerbaïdjanais·es. Par ailleurs, le pouvoir central iranien a tenté de conserver une certaine neutralité dans ce conflit en raison des relations commerciales établies avec l’Arménie. En définitive, sa position a évolué en faveur de l’Azerbaïdjan. Mais il craint des tensions entre les communautés arménienne et azérie vivant en Iran.

La question des discriminations ethniques et religieuses est une réalité ancienne toujours présente dans la société iranienne et que la République islamique a plutôt traitée de façon sécuritaire. Le nationalisme iranien s’est certes renforcé dans la population pendant la guerre contre l’Irak (1980-1988) ainsi que sous la contrainte des sanctions économiques européennes et étatsuniennes successives. Cela n’a pas empêché les minorités de manifester contre le pouvoir autoritaire central iranien qui les a discriminées, au gré des gouvernements. Les réponses apportées à leurs revendications au fil des années démontrent une absence de réelle prise en compte de la question des minorités en Iran par les politiques publiques. Globalement, les minorités n’ont pas tant aujourd’hui un désir d’autonomie, qualifié systématiquement par le pouvoir de séparatisme, qu’une volonté d’en finir avec les discriminations économiques et sociales dont elles sont victimes.

Notes

[2Les chrétiens et les juifs sont des « gens du Livre » dans l’islam.

[3Religion pratiquée dans l’empire perse avant l’arrivée de l’islam.

[4Religion (ou secte selon certain·es) se réclamant d’un courant chiite messianique et interdite depuis la révolution de 1979.

[5Article 15 : « Le persan est la langue et l’écriture officielles et communes du peuple iranien. Les documents, la correspondance, les textes officiels et les manuels scolaires doivent tous être dans cette langue et cette écriture. Cependant, l’utilisation des langues régionales et ethniques dans la presse, les médias et l’enseignement de leur littérature dans les écoles, parallèlement à la langue persane, est librement autorisée. »

[6« La localisation des populations non persanophones à la périphérie du territoire national résulte d’une volonté politique ancienne des souverains iraniens de bloquer ou de déporter dans les marges de l’Empire des « populations tampons » : Azéris (turcophones), Kurdes, Baloutches, Lors, Turkmènes, Caspiens, Arabes… ». Extrait de : Bernard Hourcade, « Cartes iraniennes », Outre-Terre, n° 16, 2006/3, p. 37-45.

[9Territoire intégré à l’Azerbaïdjan, peuplée d’Arménien·es, qui a fait sécession en 1991. Depuis septembre 2020, la République azerbaïdjanaise tentait de reprendre possession de ce territoire. La guerre a pris fin en novembre 2020.

[10Ghazal Golshiri, « L’Iran apporte son soutien à l’Azerbaïdjan dans sa guerre contre l’Arménie », Le Monde, site web, 28 octobre 2020.

[11Il représente entre 25 à 30 % de la population iranienne.