Quand l’espoir cède à la colère : la rue gronde en Iran

S’affranchir définitivement de l’accord nucléaire ?

, par AFPICL-BU HDL

L’économie iranienne va mal mais la pression étatsunienne n’a pas fait plier le pays, qui a décidé de répondre fermement aux États-Unis et de refuser toute perspective de renégociation de l’accord. L’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France n’ont pas soutenu la politique étatsunienne à l’égard de l’Iran et ont tenté de préserver l’accord. Les trois pays se sont abstenus au Conseil de sécurité de l’ONU lors du vote d’une résolution voulue par les États-Unis pour rétablir les sanctions internationales. Mais l’Iran attendait plus de la part des autres pays signataires de l’accord, en particulier qu’ils lui permettent de contourner les sanctions étatsuniennes. Pour les y obliger, les autorités iraniennes ont commis graduellement des infractions à l’accord[(Lire à ce sujet la partie chronologie de ce dossier.]]. Elles ont ainsi relancé le programme d’enrichissement de l’uranium. Le stock d’uranium faiblement enrichi a dépassé le niveau autorisé par l’accord (pas plus de 300 kg). Les rapports de l’AIEA en attestent [1]. L’assassinat à Téhéran de Mohsen Fakhrizadeh, « père » du programme nucléaire militaire iranien, le 27 novembre 2020, est une provocation d’Israël, d’après les autorités iraniennes, pour pousser l’Iran à la riposte et empêcher toute reprise des négociations avec les États-Unis. Les autres signataires de l’accord souhaitent que la situation se normalise et que l’accord survive. Début janvier 2021, le gouvernement iranien, sous la pression du Parlement à majorité conservatrice, a décidé la mise en route du processus d’enrichissement à 20 %. C’est suffisant pour alimenter un réacteur de recherche, mais encore loin des 90 % nécessaires à la fabrication d’une bombe atomique. La ligne rouge a-t-elle été franchie ?

Manifestation pour la paix en Iran, Boston (États-Unis). Photo prise le 25 janvier 2020 par Kai Medina (Mk170101) (CC BY-SA 4.0)

Pendant sa campagne électorale, Joe Biden, successeur de Donald Trump, avait laissé entendre qu’il reviendrait dans l’accord si l’Iran en respectait à nouveau le cadre. Mais il souhaite également négocier d’autres points avec l’Iran, tels que la libération de prisonniers américains, le respect des droits humains, le programme balistique ou l’influence régionale iranienne. Le guide suprême, Ali Khamenei, dans une allocution télévisée début janvier 2021, a réitéré l’exigence de levée des sanctions américaines avant tout retour des États-Unis dans l’accord, montrant ainsi que les conservateurs et les ultranationalistes sont en position de force en Iran. Le retrait soudain des États-Unis de l’accord nucléaire a coûté cher aux modérés lors des élections législatives, en février 2020, qui ont donné une très large majorité aux conservateurs et aux ultranationalistes au Parlement, malgré une abstention massive. Quelle confiance l’Iran peut-il accorder aux États-Unis qui ont piétiné un accord international, alors que l’Iran respectait ses engagements ?

Une société dans l’impasse 

L’arsenal des sanctions économiques prises contre l’Iran n’a pas déstabilisé le régime au point de le faire tomber. Le parti conservateur est revenu en force au Parlement et l’élection présidentielle de juin 2021 est promise à un candidat sortant de ses rangs. Les premières victimes de ces sanctions sont en réalité le peuple iranien qui souffre, les classes populaires qui sont encore plus pauvres, les classes moyennes qui se paupérisent. La pandémie de coronavirus n’a fait qu’accentuer ce phénomène. Quant aux écarts de richesses, ils se creusent de plus en plus. La perte de confiance des Iranien·nes en leurs gouvernant·es, qu’ils et elles soient du parti réformateur ou conservateur, est aujourd’hui immense. Beaucoup ne croient plus aux mensonges du discours officiel. La population a exprimé sa colère et ses revendications. Elle attend des réformes pour que sa situation économique s’améliore. Il faudra patienter encore quelques mois pour savoir si la ligne dure qui risque d’arriver au pouvoir va prendre en compte au moins une partie des revendications portées par les manifestant·es ou si elle se consacrera uniquement aux enjeux de sa politique régionale et internationale, traitant toute contestation par la répression et la brutalité.