Angola : l’oligarchie autoritaire face à la faiblesse des contre-pouvoirs

Résistances cabindaises et réponses du régime angolais

, par Forum Réfugiés

Il est très difficile de décrire la situation cabindaise en raison du blackout imposé par les autorités angolaises et par suite du peu d’informations fiables venant du terrain.

Le Cabinda est un territoire d’Afrique centrale d’une superficie de 7 270 km², délimité par la République du Congo (Congo Brazzaville) et la République Démocratique du Congo (RDC).

Son territoire est composé au nord de forêts et savanes et au sud d’une plaine côtière (100 kilomètres) présentant un fort potentiel pétrolier découvert à la fin des années 1960 (officiellement, près du tiers de la production pétrolière angolaise soit 1,2 million de barils par jour). Le bois constitue l’autre richesse de ce territoire.

Intégré au royaume de Loango avant la colonisation portugaise, le Cabinda est consacré en tant qu’entité politique par le traité de protectorat signé le 1er février 1885 à Simulambuco, qui constitue l’acte fondateur du mouvement indépendantiste. Mais cette reconnaissance est vite freinée puisque, dès 1956, le Cabinda est rattaché à l’Angola par le gouvernement de Salazar.

Lors de l’indépendance angolaise en 1975, l’Angola annexe le Cabinda, ce qui permet aux autorités angolaises de garder une mainmise indirecte sur le pétrole cabindais exploité principalement par des concessions américaines. Toujours opposés à la domination portugaise puis angolaise, les Cabindais ont exprimé des revendications d’abord culturelle et politique, puis uniquement politiques par la lutte armée pour les uns, pour les autres par l’expression au sein d’une société civile qui peine à avoir voix au chapitre. Outre les intérêts économiques, les réticences angolaises à reconnaître l’indépendance de cette province révèlent les difficultés du régime à mettre en place le processus de transition politique.

Le mouvement indépendantiste cabindais

L’identité cabindaise s’est construite bien avant la découverte des gisements pétroliers. Historiquement, la province cabindaise se révèle être plus proche de l’espace culturel et linguistique de l’embouchure du fleuve Congo que de l’Angola.

Suite à la décision de Salazar du rattachement de Cabinda à l’Angola (1956), des mouvements nationalistes cabindais revendiquent l’autonomie et fusionnent au sein du FLEC (Front de Libération de l’Enclave de Cabinda). 1974 marque le début de la lutte armée du mouvement. Installé dans la forêt cabindaise du Mayombe et comptant environ 5000 hommes, le mouvement a bénéficié du soutien du Zaïre et du Congo-Brazzaville (sous Pascal Lissouba). A ce jeu se mêlent les compagnies pétrolières, comme par exemple la compagnie française Elf [1].

Dans les années 1980-90, le mouvement est affaibli par des scissions internes et un retrait de ses appuis extérieurs (chute de Mobutu au Zaïre, arrivée au pouvoir de Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, favorable au régime angolais). En 2002, alors que la guerre civile avec l’UNITA cesse dans tout l’Angola, l’armée régulière angolaise se redéploye au Cabinda (avec près de 30 000 soldats) et recourt à des « opérations de nettoyage » (déclarations officielles de l’État angolais). Le conflit est de basse intensité : des attaques sont menées par le FLEC (enlèvement d’expatriés travaillant sur les plateformes pétrolières, attaques de soldats angolais), auxquelles répondent des vagues de répression de l’armée angolaise sur la population civile. Le bilan humain reste très difficile à évaluer (plusieurs milliers de victimes), il n’y a ni média ni ONG présents sur le terrain.

Cette répression provoque la fuite massive des populations vers les Congos (principalement dans la province du Bas-Congo en RDC et au Congo-Brazzaville dans la région du Niari) où leurs conditions de vie sont précaires et les incursions de l’armée angolaise violentes et fréquentes.

Parallèlement à la lutte armée, la cause indépendantiste se prolonge au sein du clergé. Depuis une trentaine d’années, des membres du clergé cabindais dénoncent les violations des droits de l’Homme et de la société civile. Mpalabanda, association civique créée en 2004, a réuni au-delà des clivages idéologiques des différents groupes armés, des sympathisants de tous horizons : hauts cadres cabindais de l’administration angolaise, étudiants, personnes issues des classes moyennes et membres de l’Eglise. L’association a collecté des preuves d’atteintes aux droits de l’Homme perpétrées non seulement par le gouvernement mais également par des membres du FLEC. Publiant des rapports détaillés, Mpalabanda les a diffusés très largement via Internet.

Réponses et stratégie du régime angolais

Face à ces différentes formes d’expression, le régime angolais intervient sur le mode de la répression. Pour tuer dans l’œuf le mouvement cabindais, la stratégie des autorités angolaises est la suivante : elle demande un interlocuteur valable pour ouvrir le dialogue, « tout en travaillant à l’atomiser (…) et à en récupérer les dissidents pour les retourner contre leurs anciens compagnons d’armes. » [2].

Il en est de même pour l’Eglise cabindaise, vecteur fort de la cause indépendantiste. Nombre de prêtres sont surveillés ou arrêtés. En 2006, le gouvernement angolais est entendu par le Vatican qui nomme un évêque proche de l’oligarchie angolaise (Dom Filomeno Vieira Dias) : l’Eglise est scindée entre, d’une part, l’Eglise de Sao Tiago acquise à la cause indépendantiste et, de l’autre, l’Eglise officielle de Cabinda. Concernant la société civile, l’interdiction de l’association Mpalabanda en 2007 pour incitation à la violence et à la haine du gouvernement constitue un coup d’arrêt à toute expression des violations des droits humains.

Les intérêts économiques ne sont pas sans rapport avec cette politique répressive. Les bénéfices générés par l’exploitation pétrolière ne profitent guère aux populations locales : politique sociale et d’éducation inexistante, forte inflation, activité agricole inexistante d’où une malnutrition importante.

L’organisation de l’espace cabindais répond à cette fracture entre, d’une part, les exploitants du pétrole, et, de l’autre, la population locale (60 % de la population vit en milieu rural).

Sur la côte atlantique, les compagnies pétrolières principalement américaines, ont installé des plates-formes sur la ville de Malongo (surnommée Little America) dans laquelle seuls les Cabindais ayant un permis de travail peuvent entrer.

Il n’y a pas de contacts entre les expatriés et la population cabindaise. Aussi, dans cette zone, le conflit est absent alors que le reste du territoire est livré à la guerre et aux déplacements de populations. Par ailleurs, bien que les plates-formes cabindaises ne représentent officiellement que 29 % de la production nationale, le pétrole cabindais rapporte en réalité à l’Angola la moitié de sa rente pétrolière, soit 8 milliards de dollars : ce flou statistique révèle le manque de transparence des comptes gouvernementaux.

Mais au-delà des intérêts économiques, cette attitude révèle la difficulté des autorités à ouvrir l’espace démocratique et à concevoir la libre expression, non comme une menace mais comme un bienfait pour tous. Ainsi, lors du scrutin législatif de septembre 2008, l’observateur européen Richard Howitt a indiqué que des intimidations et des achats de voix avaient eu lieu à Cabinda, alors même que très peu de personnes se sont déplacées suite à l’appel au boycott des principaux groupes indépendantistes. Le rapport de Human Rights Watch sur Cabinda paru en juin 2009 [3] fait état de 38 personnes arrêtées entre septembre 2007 et mars 2009 par les services de renseignements angolais ayant subi des tortures et autres violations des droits humains. Depuis, des grèves notamment de travailleurs sociaux à Cabinda ont fait l’objet d’une violente répression et d’arrestations arbitraires, de même que d’autres rassemblements qui ont mené certains manifestants à des peines de prison.

Notes

[1MABEKO-TALI Jean-Michel, « La question de Cabinda : séparatismes, habiletés luandaises et conflits en Afrique centrale » in Lusotopie, 2001, p. 49-62

[2MABEKO-TALI, Jean-Michel, « Entre économie rentière et violence politico-militaire : la question cabindaise et le processus de paix angolais » in Politique Africaine, n°110, 2008/06, p.72

[3« They put me in the hole » Military detention, torture and lack of due process in Cabinda, New York : HRW, juin 2009