Le Nigéria : un pays créatif, inégalitaire et déchiré

Pétrole : malédiction ou richesse ?

, par CRIDEV, LA CASE

Avec une production journalière de 2 millions de barils, la rente pétrolière est l’objet de toutes les convoitises. Depuis les années 60, le pétrole a rapporté plus de 600 milliards de dollars au Nigéria.

Nigeria et pétrole
Photo : Amis de la Terre

Le plus grand producteur africain est le quatorzième producteur mondial avec des réserves estimées à 37,5 milliards de barils. Le pétrole constitue près de 79 % des exportations totales du Nigéria ce qui en fait la première source d’exportation du pays. Il n’est donc pas étonnant que la lutte impitoyable pour le pouvoir politique se mène aussi pour avoir le contrôle sur l’argent du pétrole.

L’exploitation pétrolière a commencé dans les années 1950, sous le monopole des compagnies britanniques BP et Shell. Aujourd’hui, de nombreuses compagnies nationales et étrangères se partagent la production sous forme de partenariat avec l’organisme national NNPC (compagnie nationale nigériane du pétrole). 80 % de la production est concentrée dans le delta du Niger et notamment dans les trois États du Sud-Nigéria – Delta, Rivers, Akwa Ibom.

La majeure partie de la production brute est exportée vers les États-Unis et l’Europe. Paradoxalement, le Nigéria importe pour 10 milliards de dollars de pétrole. Les consommateur·rices nigérian·es doivent subir des pénuries constantes de produits pétroliers raffinés dans les stations-service. Les quatre raffineries publiques ne sont pour la plupart, en effet, pas fonctionnelles par manque d’entretien. La population locale doit payer le prix fort pour un pétrole raffiné à l’étranger. Aussi, le pétrole domestique (importé à 70 %) a longtemps été subventionné pour un coût de 8 milliards de dollars (4 % du PIB) soit 25 % du budget annuel du gouvernement.

En 2012, un rapport parlementaire nigérian a révélé que cette politique de subvention était inefficace et alimentait la corruption. Le gouvernement a tenté de baisser les subventions sur le prix de l’essence mais, devant les protestations populaires, il a dû faire marche arrière. Néanmoins, en mai 2023, la subvention aux carburants a été supprimée suite à l’élection du nouveau président Bola Tinubu. Bien qu’attendue par certains décideurs politiques, cette suppression a donné lieu à une triple hausse des prix à la pompe pour les Nigérian·es.

Afin de remédier au problème de production de pétrole domestique du pays, plusieurs mesures ont été prises au cours des dernières années.

Ainsi, la Petroleum Industry Bill qui vise à améliorer la transparence du secteur pétrolier a été promulguée en 2021, après plusieurs années de contestation d’acteurs locaux (la répartition des ressources du pétrole suivant un système de péréquation entre l’État fédéral, les 36 États et les gouvernements locaux a généré des réseaux locaux de clientélisme et de corruption très puissants).

De plus, l’inauguration en mai 2023 de la raffinerie Dangote Industrie Limited, plus grande raffinerie du continent africain, vise à mettre fin à la dépendance à l’importation des produits raffinés. Sa capacité de production est estimée à 53 millions de litres de pétrole raffiné par jour, comparée à une consommation locale estimée à 33 millions de litres par jour.

Gaspillage du gaz

Le Nigéria a aussi les neuvièmes ressources de gaz au monde mais n’en profite guère.
La majorité des champs de pétrole ne dispose pas d’infrastructures pour capturer et transporter le gaz. Le Flaring gas (gaz qui brûle dans les torchères) tourne autour de 50 % suivant les champs de pétrole alors que le taux mondial est autour de 5 %. C’est une perte estimée à environ 2 milliards de dollars par an. Avec de nouvelles infrastructures et la production de gaz liquéfié, les revenus du gaz pourraient dépasser ceux du pétrole dans la prochaine décennie, d’autant plus que, depuis la guerre en Ukraine, l’Union européenne cherche à diversifier ses approvisionnements en gaz. Un projet de gazoduc transsaharien a été pensé afin de relier le gaz nigérian au marché européen en passant par le Maroc ou l’Algérie mais reste à concrétiser.

Les dégâts sur l’environnement et sur les populations

L’exploitation du pétrole est la principale cause de la dégradation de l’environnement au Nigéria (pollution de l’eau, destruction de la biodiversité, etc.).
Faute de surveillance et d’entretien des infrastructures, des zones entières (terres arables, sources d’eau potable, réserves naturelles) ont été polluées par les déversements d’hydrocarbures. Les torchères de gaz provoquent également des pollutions importantes (générant des maladies respiratoires) et dégagent des gaz à effet de serre.

Le PNUE (programme des Nations unies pour l’environnement) prévoit qu’il faudrait trente ans pour dépolluer le delta du Niger. Les terres et rivières étant durablement touchées, la population locale, les agriculteur·rices et les communautés de pêcheur·ses sont obligé·es d’aller ailleurs pour se nourrir. Les effets à long terme des intoxications et leurs conséquences sur la santé seront probablement catastrophiques.

Résistances des populations

Les populations locales du delta du Niger se battent pour faire reconnaître les dommages et coûts environnementaux provoqués par l’exploitation pétrolière et toucher les dividendes de cette richesse en termes d’infrastructures (eau, électricité, routes, etc.).

L’écrivain et activiste Ken Saro-Wiwa était une des figures de premier plan de ce combat. Membre de la minorité ethnique des Ogoni, il a fondé le MOSOP (Mouvement pour la survie des Ogoni), qui a mené plusieurs manifestations pour dénoncer les dégâts environnementaux provoqués par l’exploitation pétrolière sur les terres habitées par les Ogoni. Accusé d’avoir organisé le meurtre de chefs traditionnels ogoni pro-gouvernement, il a été exécuté en 1995 sous le gouvernement militaire de Sani Abacha.

Depuis, plusieurs actions ont été menées afin de faire reconnaître les dommages environnementaux causés dans un climat de corruption des élites politiques et économiques.
En 2008, un conflit violent a opposé les populations ogoni à la multinationale Shell dans l’État du Rivers, en raison de fuites massives (estimées à 600 000 litres par jour) dans un oléoduc, faute d’entretien des installations par les compagnies pétrolières.

Shell, la principale compagnie active au Nigéria, a fini par reconnaître une certaine responsabilité dans cette dégradation de l’environnement, après le dépôt d’une plainte des autorités et des organisations civiles locales devant la Haute Cour de justice du Royaume-Uni. Néanmoins, pour se dédouaner, Shell a accusé le trafic illégal d’être responsable de ces dégâts (l’équivalent de 250 000 barils seraient volés chaque jour soit 10 % de la production).

En effet, des gangs très puissants se sont créés. Ils pratiquent enlèvements, sabotages de pipelines, souvent avec la complicité d’acteurs locaux (forces armées, gouverneurs, etc.). La corruption des élites politiques et économiques des États du delta est endémique et laisse la porte ouverte au crime organisé.

Shell a tout de même été condamné en janvier 2013 pour son implication dans plusieurs marées noires et, en 2021, après treize années de procès, à dédommager quatre paysans nigérians pour les dégâts causés par les fuites de pétrole.