Retour sur l’histoire d’une révolution
Peu de temps après avoir obtenu son indépendance de l’Espagne, en 1821, le Nicaragua, petit pays d’Amérique centrale, est envahi par une troupe de mercenaires étatsuniens au service d’une faction rebelle dont fait partie le flibustier William Walker, qui se proclame président en 1855 et instaure l’esclavage. La doctrine Monroe est à l’œuvre [1] : toute une série d’interventions militaires étatsuniennes ponctuent la vie politique du pays (1895, 1899, 1909, 1912). La dernière commence en 1926 et dure sept ans, lorsque les troupes étatsuniennes sont délogées militairement par un dénommé Augusto César Sandino [2]. Celui-ci est assassiné l’année suivante par le directeur de la Garde nationale et nouveau dictateur qui s’installe avec l’aide des États-Unis : il s’agit d’Anastasio Somoza García, fondateur de la dynastie Somoza.
Une trentaine d’années plus tard, en 1961, se crée le FSLN (Front sandiniste de libération nationale), inspiré par la rébellion menée par Sandino et par le renversement de la dictature de Baptista à Cuba en 1959. Après dix-huit années de lutte et bénéficiant de la politique d’ouverture du Président des États-Unis, Jimmy Carter, qui adosse sa politique étrangère sur le respect des droits humains, le FLSN met fin à quarante ans de dictature de la famille Somoza grâce à une victoire militaire totale.
Le premier gouvernement sandiniste est assuré par une junte révolutionnaire. Un élan de solidarité internationale accompagne le nouveau processus de transformation de la société nicaraguayenne. En 1984, Daniel Ortega est élu président. Son gouvernement est porteur de promesses et marqué par des visées égalitaires, avec l’abolition de la peine de mort, une grande campagne d’alphabétisation, la priorité donnée à l’enseignement et à des programmes de santé primaire, un début de réforme agraire et une constitution démocratique votée en 1987. Une grande partie de la population récupère la liberté de parole perdue et s’implique activement dans les projets impulsés.
En 1981, Ronald Reagan est élu Président des États-Unis. Il décide alors de mener une guerre économique implacable contre l’expérience sandiniste [3], renforcée par un appui militaire à des groupes armés contre-révolutionnaires, la « Contra », depuis leurs bases implantées dans les pays voisins - principalement le Honduras. En 1983, le régime nicaraguayen, pour assurer sa défense et maintenir son projet, se voit dans l’obligation d’instaurer le service militaire qui devient très vite impopulaire. Les soupçons de corruption ajoutés aux interventions étrangères conduisent le FSLN à perdre les élections en 1990 et entraînent l’arrêt de l’expérience utopiste sandiniste.
De 1990 à 2006, les trois gouvernements qui se succèdent mènent une politique économique libérale qui remet en cause les acquis sociaux. La corruption réapparaît. Le pays sombre dans une pauvreté chronique.
Daniel Ortega met à profit cette traversée du désert pour refaçonner à son service le parti sandiniste. Il revient au pouvoir en 2006 et est réélu en 2011 et en 2016. Mais ce n’est pas le sandinisme des années révolutionnaires qui est de retour. Pour assurer son pouvoir, Daniel Ortega fait des concessions aux forces conservatrices et le modèle économique et social qu’il met en place se situe dans la continuité de celui appliqué par les administrations de droite qui l’ont précédé [4]. Il passe un pacte avec le grand patronat (Cosep) lui garantissant, entre autres, la paix sociale.
Dans un contexte économique international favorable, le pays enregistre quelques bons résultats qui lui valent le soutien d’une grande partie de la population (finies les pénuries d’eau, d’électricité, d’essence, remise en marche de centres de santé dans tout le pays, programmes sociaux pour l’habitat populaire, soutien à l’agriculture paysanne…, etc.) et qui sont salués par les institutions financières internationales.
Mais la situation se dégrade à partir de 2015. Une crise économique, sociale et politique s’installe et plusieurs foyers de contestation se manifestent contre les politiques gouvernementales. La révolte populaire qui éclate en avril 2018 et qui est, à la surprise générale, très violemment réprimée par le gouvernement d’Ortega a en effet des causes profondes.