Nicaragua : aux origines du grand embrasement

Un pouvoir victime ou coupable ?

, par CDTM 34

Un pouvoir victime ou coupable ?

Plusieurs lectures des violences politiques qui embrasent le Nicaragua depuis avril 2018 sont possibles. De nombreux piliers de la révolution nicaraguayenne qui ont dirigé le pays jusqu’en 1990 font aujourd’hui partie des opposant·es. Pour elles·eux, la révolte qui secoue le pays est légitime dans la mesure où elle dénonce le régime d’Ortega qui a trahi les idéaux sandinistes. Cette thèse est relayée par les ami·es de la révolution sandiniste de l’autre côté de l’Atlantique.

Au plan international, la gauche est divisée sur l’appréciation de la politique menée par Daniel Ortega et sur la répression exercée par son régime. Celles et ceux qui le défendent font valoir qu’il a toujours le soutien d’une partie de la population [1] et lui trouvent des excuses considérant que les États-Unis sont largement responsables de la déstabilisation de ce petit pays d’Amérique centrale. Il·elles occultent le fait que le FMI et les institutions financières internationales et étatsuniennes l’ont largement soutenu dans la réalisation de réformes structurelles visant à réduire les dépenses publiques et à se lancer dans des programmes favorables au capital privé et aux entreprises étrangères.

Pour celles et ceux qui critiquent la dérive autoritaire d’Ortega, « au Nicaragua, il n’y a pas de socialisme, il y a l’usage d’une rhétorique de gauche pour couvrir une oligarchie qui vole l’État » [2]. Il·elles dénoncent un usurpateur qui revendique un projet socialiste, sandiniste et démocratiquee mais qui a mis en place un régime autocratique, conservateur sur le plan sociétal et néolibéral sur le plan économique [3].

Un avenir démocratique à construire

Dans un contexte fragilisé et lourd de privations quotidiennes et de menaces sécuritaires, l’avenir du pays est très incertain.
Deux ans après l’embrasement du pays et la révolte populaire contre le régime Ortega-Murillo, la répression des forces de sécurité et des groupes armés pro-gouvernementaux contre les opposant·es politiques, les organisations de la société civile et les journalistes se poursuit de façon ciblée et le couple présidentiel s’accroche au pouvoir. À la crise politique s’ajoutent une crise économique et sociale avec une baisse de l’activité économique et de la consommation et, à partir d’avril 2020, une crise sanitaire. La gravité de la pandémie de COVID19 est niée par le président qui dissimule l’information sur la situation sanitaire, menace et limoge le personnel médical qui ne suit pas les consignes officielles [4]. Des militant·es pour la défense des droits humains dénoncent des massacres dans les communautés amérindiennes miskitos perpétrés par de grands propriétaires qui profitent de la focalisation générale sur la pandémie pour s’approprier des terres.

L’opposition au régime d’Ortega s’organise pour préparer l’élection présidentielle de 2021, le battre par les urnes et mettre en place une démocratie durable au Nicaragua.
Plusieurs mouvements de lutte – jeunes, paysan·nes, femmes, défenseur·ses des droits - sont apparus ces dernières années et se sont retrouvés dans la vague de contestation depuis le grand embrasement de 2018 ; leur convergence avec l’ensemble des forces d’opposition, indispensable pour conduire à l’échec l’hégémonie ortéguiste, est difficile. Car cette coalition nationale est hétérogène. Outre les organisations civiles, elle regroupe des partis politiques de gauche et de droite, des ancien·nes « contras », des représentant·es du patronat et de l’Église. L’approche des élections présidentielles génère un accroissement des tensions internes. La définition d’un projet sociétal et économique susceptible de fédérer les différentes forces de l’opposition semble être une condition indispensable pour renverser le pouvoir en place. Le défi à relever est essentiel pour l’avenir démocratique du pays.